Al-Ahram Hebdo : Le parlement a approuvé la loi sur les trois autorités qui superviseront la presse et les médias, comment voyez-vous cette loi ?
Yéhia Qallach : D’une manière générale, nous rejetons cette loi car elle reflète une grande domination du pouvoir exécutif au détriment des autres pouvoirs. En plus, la loi ouvre la porte à la corruption. Et, afin de comprendre les raisons qui résident derrière ce refus, il est indispensable, tout d’abord, de savoir les racines de la crise actuelle entre le gouvernement et le syndicat des Journalistes. En fait, la nouvelle Constitution de 2014 renferme plusieurs articles avantageux pour le métier de journaliste, qui concrétisent une longue histoire de lutte des journalistes, et dont l’application doit garantir à la presse plus de liberté et d’indépendance. Et, le but était d’ajuster le statut de la presse écrite et des médias audiovisuels à cette nouvelle Constitution.
Le syndicat des Journalistes avait formé un comité de 50 membres en octobre 2014 afin de rédiger une nouvelle loi unifiée sur la presse et les médias avec la participation du syndicat, du Conseil Suprême de la Presse (CSP), de l’Union de la radio et de la télévision, des médias privés, de professeurs, d’experts en médias et de juristes. Ce comité a achevé le projet de loi en août 2015 et l’avait remis au président de la République et au gouvernement. Ce dernier avait des remarques sur le projet. Et c’est dans ce cadre qu’un nouveau comité, présidé par le ministre de la Planification, Achraf Al-Arabi, a été mis en place afin de discuter les différentes remarques. Et après plusieurs sessions, on est arrivé à un consensus avec le gouvernement. Nous étions d’accord sur la majorité des articles de la loi. Mais surprise, le projet de loi, qui a été envoyé par le gouvernement au Conseil d’Etat, n’était pas conforme à ce consensus. Donc, le syndicat a formulé de nouveau ses remarques au Conseil d’Etat. Certaines d’entre elles ont été alors prises en considération. Puis, notre lien avec le projet a été complètement coupé.
Une fois son travail terminé, le Conseil d’Etat a remis le projet au gouvernement qui l’a remis à son tour au parlement. En réalité, cette démarche a reflété un manque de transparence et une volonté de la part du pouvoir de garder un contrôle et une domination sur les outils médiatiques. Nous n’étions pas au courant des différentes modifications qui se faisaient. Et à la dernière minute, on a appris que la loi a été divisée en deux, l’une sur les trois autorités qui superviseront la presse et les médias — celle qui a été récemment acceptée par le parlement —, et l’autre sur l’exercice même du métier de journalisme, qui est en cours de discussion.
— Quelles sont vos remarques sur les articles de cette loi ?
— La commission des législations au sein du syndicat des Journalistes a publié un rapport critiquant certains articles de cette loi. Le syndicat et le Conseil suprême de la presse ne s’opposent pas aux modifications faites par le gouvernement uniquement parce qu’elles ont mené à la division de la loi en deux, mais, parce que la démarche du gouvernement n’a pas respecté le principe de « l’unité de la législation ». En modifiant ces deux lois, le gouvernement n’était pas soucieux de traduire tous les articles constitutionnels et les lois qui renfermaient des acquis pour la profession. Et surtout l’article 72 de la Constitution, selon lequel l’Etat s’engage à assurer l’indépendance des organes de presse et des médias dont il est propriétaire, afin de garantir la neutralité et l’expression de toutes les opinions. En outre, dans l’article 1 de la loi, suite aux changements faits par la commission des médias au parlement, l’obligation que le propriétaire du journal soit égyptien a été annulée. Ce changement reflète une grande contradiction avec les tendances du pouvoir actuel visant à protéger la sécurité nationale du pays.
— La question législative est-elle la seule raison de la crise de la presse actuelle ?
— On ne peut pas nier l’importance de l’aspect législatif, mais la crise de la presse est complexe. La marge de liberté, à titre d’exemple, est une autre dimension de cette crise. A chaque fois que cette marge s’élargit, le métier prospère, et vice-versa. Il y a aussi des facteurs économiques qui peuvent paralyser les organes de presse. Citons, entre autres, le grand nombre des diplômés égyptiens chaque année, et les pressions qui en résultent sur le marché du travail. On souhaite que les nouvelles lois sur la presse puissent améliorer la situation.
— Quelles solutions préconisez-vous ?
— On a toujours l’espoir de tenir un dialogue avec le parlement afin d’échanger les différentes opinions d’une façon démocratique et parvenir à un consensus qui mettra fin à la crise. Si la tenue d’un tel dialogue avant la ratification finale est impossible, nous allons dialoguer avec les représentants des trois autorités qui seront créées. Et en ce qui concerne la deuxième partie de la loi, ou plutôt la deuxième loi, celle sur l’exercice du métier de journalisme, ce sera la vraie bataille, parce que le projet de loi, après les modifications apportées par le gouvernement, renferme plusieurs violations qui représentent un coup fatal pour le métier. Le syndicat a décidé de former un comité afin de réviser cette loi et d’émettre ses remarques. Celles-ci seront envoyées au président, au premier ministre, et aux membres du parlement. On souhaite que nos remarques soient prises en considération. Sinon, cela sera une grande perte pour le pays.
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