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Les journalistes attendent leur loi

Samar Al-Gamal, Mercredi, 21 décembre 2016

Les journalistes sont au rendez-vous avec une nouvelle loi. Le texte qui organise la scène médiatique a été approuvé par le parlement sur fond de critiques du Conseil suprême de la presse.

Les journalistes attendent leur loi

Une nouvelle loi sur les journalistes vient d’être approuvée par le parlement. Son élaboration était exigée par la Constitution de 2014. De nouveaux organismes chargés de la gestion de la presse devraient, en vertu de cette loi, voir le jour, mais aussi une loi qui régit le métier.

Ainsi, pendant des mois, un projet appelé la « loi unifiée sur la presse et les médias audiovisuels » a été élaboré. Fruit d’un travail entre le gouvernement et le syndicat des Journalistes, elle a été approuvée par le Conseil des ministres et envoyée au Conseil d’Etat. Mais à la surprise des journalistes, le gouvernement a décidé de diviser le texte en deux projets de loi.

Le premier a été envoyé au parlement qui l’a approuvé et l’a envoyé à son tour au Conseil d’Etat pour examiner sa constitutionnalité. Ce texte, qui vient d’être approuvé, concerne uniquement la création des trois autorités qui devraient superviser les médias : le Conseil suprême des médias, l’Organisme de la presse écrite et celui de l’audiovisuel. L’autre projet de loi qui, de loin, est le plus important, sera revu ou préparé par les trois instances une fois celles-ci créées. Ce projet doit en principe activer les articles de la Constitution liés à la liberté de la presse et son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif ainsi que la création des journaux sur simple notification, l’annulation des peines de prison à l’encontre des journalistes et la libre circulation de l’information (articles 68, 70, 71 et 72).

Un consensus qui n’a pas duré

« Nous étions arrivés à un consensus avec le gouvernement. Pourtant, il n’était pas prévu que ce projet de loi sur les trois instances soit envoyé au parlement. Nous n’étions pas au courant des différentes modifications qui se faisaient. Et à la dernière minute, on a appris que la loi a été divisée en deux projets différents », explique le président du syndicat des Journalistes, Yéhia Qallach (lire entretien page 4). Le syndicat, ainsi que le Conseil suprême de la presse, se sont élevés contre cette démarche, et dans une dernière tentative, le conseil a envoyé une lettre de quatre pages au président du parlement, dont l’Hebdo a obtenu une copie, expliquant sa position.

Dans ce texte, le conseil propose l’ajout à la loi d’une clause transitoire qui oblige les nouvelles instances à apporter leurs remarques sur le second projet de loi dans un délai de 15 jours après leur première réunion, leur silence signifierait un aval. La clause exige aussi que le parlement approuve la loi en tant que texte ad hoc et avant la fin de l’actuelle session parlementaire.

Mais Ali Abdel-Aal, président du parlement, n’a pas discuté la lettre avec les députés.

Youssef Al-Qaïd, journaliste et député membre de la commission des médias au parlement, explique pourtant qu’un article a été ajouté exigeant des nouveaux conseils d’examiner la loi durant leur première réunion. « Désormais, il leur reviendra de préparer un projet de loi et de l’envoyer au parlement, mais sans date limite », explique Al-Qaïd.

« Cela signifie que les nouveaux organismes vont travailler avec les lois en vigueur qui bafouent la liberté de la presse et qui contredisent la Constitution », interprète Salah Eissa, secrétaire général du Conseil suprême de la presse.

Magdi Al-Agati, ministre des Affaires juridiques, a voulu mettre fin à la controverse en déclarant que la séparation de la loi en deux projets distincts a été faite sur « recommandation du Conseil d’Etat sans pourtant préciser pourquoi l’autre partie est restée lettre morte ».

Le différend va d’ailleurs au-delà de cette division de la loi et touche aux articles fondamentaux. Alors que la Constitution, dans ses articles 211, 212 et 213, insiste sur l’indépendance de ces instances, la nouvelle loi donne au pouvoir exécutif la prééminence en ce qui a trait à leur formation. Sur les 13 membres du Conseil suprême des médias, seuls 4 seront nommés par des instances élues et le reste est nommé par le pouvoir (lire articles controversés, page 4).

Ainsi, il revient au chef de l’Etat de nommer les présidents des 3 conseils. Il nommera aussi 2 personnalités publiques. Le syndicat des Journalistes et celui de l’Audiovisuel désigneront 4 noms, mais ils doivent envoyer 8 noms au président de la République pour choisir parmi eux.

La composition des 3 conseils comprendra aussi des représentants du Conseil d’Etat, de l’Organisme de lutte contre le monopole, du Conseil des universités et de l’Organisme des télécommunications. Deux autres figures publiques seront nommées par le parlement. Dans sa lettre au parlement, le Conseil suprême de la presse réclamait ainsi un amendement de cet article de façon à ce que les élus (et non l’exécutif) dominent le Conseil suprême des médias et des deux autres autorités.

Une étape dans la lutte des journalistes

Diaa Rachwane, ancien président du syndicat des Journalistes et qui a travaillé sur l’élaboration du projet de loi initial, estime cependant que cette loi est une grande étape dans la lutte des journalistes. « La loi a annulé les peines de prison dans les délits d’opinion et les a remplacées par des amendes », dit Rachwane. Mais le montant des amendes est passé de 100 000 à 500 000 L.E. Selon Rachwane, le texte approuvé par le parlement est identique à 97 % à celui élaboré par le syndicat. Le seul différend concerne la composition des organismes. Dans le texte du syndicat, le pouvoir pouvait nommer 10 des 17 membres du Conseil.

Le syndicat des Journalistes, mais aussi certains députés qui ont rejeté la loi, tels Khaled Youssef ou Youssef Al-Qaïd, comptent désormais sur le Conseil d’Etat pour rejeter le texte pour inconstitutionnalité, car il ne s’agit pas d’une loi unifiée comme le stipule la Constitution.

Mais c’est un long processus qui prendra au moins un mois. Lundi, le parlement a approuvé une loi créant un syndicat pour l’audiovisuel, le premier en Egypte. Entre-temps, la relation entre les journalistes et l’Etat est tendue, selon Al-Qaïd. « Une tension que le pouvoir actuel aurait pu éviter », dit-il. Ceci intervient au moment où la relation entre le syndicat et l’Etat est à ses plus bas niveaux sur fond d’une bataille juridique.

Pour la première fois, le président du syndicat, Yéhia Qallach, et deux autres membres du conseil d’administration, ont été condamnés à deux ans de prison. Qallach était accusé d’avoir donné refuge à des journalistes recherchés. Pour la première fois également, les locaux du syndicat avaient été investis par les forces de l’ordre.

La presse en Egypte connaît des moments difficiles. Outre la question des libertés, la crise économique pèse sur les institutions déjà en panne. La dévaluation de la monnaie n’a fait qu’augmenter le coût de la production et baisser le niveau de vie des journalistes déjà précaire (lire page 4). « La presse écrite est au bout du souffle », croit Rachwane, qui estime que les nouveaux organismes peuvent servir de bouée de sauvetage. Certains espoirs misent aussi sur la presse électronique, mais dans un pays où l’analphabétisme est assez élevé et encore plus l’analphabétisme électronique, il semble difficile que celle-ci prenne la relève. « La situation restera telle qu’elle en attendant la nouvelle loi : une presse dans le chaos, des journaux électroniques sans droits ni règles, et le gouvernement continuera à contrôler les journaux nationaux en fonction des anciennes lois régissant le travail des médias », explique Eissa. Rachwane affirme, lui, que les journalistes ont décidé de former un comité pour discuter du projet de loi sur l'exercice du métier avec le parlement et le gouvernement.

Comment est formé le Conseil suprême

Selon l’article 9 de la loi, le Conseil suprême des médias est formé de 13 membres :

1. Un président du conseil nommé par le président de la République.

2. Un vice-président du Conseil nommé par le conseil spécial des affaires administratives du Conseil d’Etat.

3. Le président de l’Organisme de protection de la concurrence et de lutte contre le monopole.

4. Un représentant de l’Organisme national de régulation des télécommunications, choisi par le président du conseil d’administration de l’Organisme.

5. Deux journalistes choisis par le conseil du syndicat des Journalistes non membres du Conseil.

6. Deux hommes de médias choisis par le conseil du syndicat de l’audiovisuel non membres du Conseil.

7. Deux personnalités publiques ou experts choisis par le président de la République.

8. Deux personnalités publiques ou experts choisis par la Conseil des députés, non membres du parlement et choisis sur recommandation de son bureau.

9. Un représentant du Conseil suprême des universités choisi parmi les professeurs de médias des universités égyptiennes.

Chacune de ces instances doit proposer au président de la République le double du nombre de candidats requis, afin qu’il choisisse parmi eux, et ce, au cours des trois mois précédant l’échéance du Conseil.

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