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Attentat contre l'église Al-Botrossiya : Le choc

May Al-Maghrabi, Mardi, 13 décembre 2016

L'attentat contre la Cathédrale copte orthodoxe de Abbassiya, qui a fait 25 morts et des dizaines de blessés, a soulevé une vague de condamnations.

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Colère et indignation

L’attentat contre la Cathédrale copte orthodoxe du Caire, qui a fait 25 morts dimanche, a été commis par un kamikaze portant une ceinture explosive, a annoncé lundi le président Abdel-Fattah Al-Sissi lors des funérailles nationales organisées pour les victimes. « L’auteur de l’attentat est Mahmoud Chafiq Mohamad Moustapha, il a 22 ans et il s’est fait exploser à l’aide d’une ceinture explosive, ce n’était pas une bombe. La police a passé la nuit à rassembler les parties du corps du kamikaze et à l’identifier », a précisé le président Sissi. Il a ajouté que quatre complices, trois hommes et une femme, avaient été arrêtés et que d’autres étaient encore recherchés dans le cadre de l’enquête. Devant des dignitaires civils et religieux, coptes et musulmans, le président a assuré : « C’est un coup qui nous a fait mal, mais qui ne va pas nous briser ».

Le président Sissi avait aussi décrété trois jours de deuil national. Pendant la cérémonie, retransmise sur plusieurs chaînes de télévision, le président et le pape de l’Eglise copte, Tawadros II, ont accompagné les cercueils portés par des militaires et recouverts de drapeaux égyptiens. Dans la matinée, le pape avait béni les cercueils des victimes de l’attentat rassemblés dans l’église de la Vierge Marie au Caire, devant plusieurs centaines de fidèles, dont beaucoup étaient en larmes. Cette attaque est « un coup dans le coeur de l’Egypte », avait estimé le chef de l’Eglise copte. Dans un communiqué, l’Eglise a rappelé que « l’unité nationale qui unit les Egyptiens sur la terre bénie d’Egypte ne sera pas touchée et que les coptes s’attendent à une vengeance équitable des coupables ». C’est la première fois que le site de la cathédrale est attaqué. Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier visant la communauté copte depuis le 1er janvier 2011, quand une attaque suicide avait fait plus d’une vingtaine de morts à la sortie d’une église, à Alexandrie. Aucun mouvement n’a revendiqué cette explosion.

Moments atroces

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Il était environ 10h lorsqu’une explosion houleuse a secoué l’église Al-Botrossiya, jouxtant la Cathédrale copte orthodoxe de Saint-Marc dans le quartier de Abbassiya au Caire, détruisant le toit de l’église, les portes et les murs. Le bilan est lourd : 25 morts et 47 blessés. Les premières informations parlaient d’une bombe de 12 kilos de TNT qu’aurait laissée une femme à la salle de prière. La plupart des victimes étaient des femmes et des enfants. Dans la salle de prière des femmes où s’est produite l’explosion, le désastre est partout : les débris jonchaient le sol de l’église couvert de sang et des cadavres des victimes. Les rescapés sont sous le choc. « J’ai perdu ma femme et ma fille en un clin d’oeil, je n’arrive pas à le croire. Quelle est la faute qu’elles ont commise ? », hurle le père de Verena, l’une des victimes de l’attentat. « Mes enfants sont morts, je les ai vus découpés en morceaux. Comment suis-je sortie sans eux ? », murmurait une femme copte stupéfaite, les regards égarés à sa sortie de l’église suite à l’explosion.

Qui est le kamikaze et ses complices ?

Lundi soir, le ministère de l’Intérieur publiait un communiqué donnant des informations détaillées sur le kamikaze et les quatre suspects arrêtés. L’auteur de l’attaque, Mahmoud Chafiq Mohamad Moustapha, né en 1994, étudiait à la faculté des sciences au Fayoum, où il habitait. Accusé de port d’armes lors d’une manifestation islamiste, il avait été arrêté en 2014. La justice l’a innocenté de cette accusation, mais il a été condamné à deux ans de prison, pour manifestation sans autorisation. Selon Nabil Naïm, ancien cadre de la Gamaa islamiya, Mahmoud Chafiq Mohamad Moustapha était un élément takfiri dangereux appartenant à un groupe radical, au Fayoum, baptisé « Al Chawkiyine », adoptant une idéologie takfirie. Il a adhéré au groupe Province du Sinaï et a été formé par le terroriste Adel Habara dans la péninsule. « Il y a une relation étroite entre les takfiris d’Egypte et les organisations terroristes à l’étranger qui les instrumentalisent pour saper l’Etat égyptien », ajoute-t-il. Cette analyse est en accord avec le communiqué du ministère de l’Intérieur, qui affirme que les suspects arrêtés avaient adhérés au groupe Ansar Beit Al-Maqdess. Le communiqué affirme que l’un des suspects arrêtés était parti en 2015 au Qatar qui l’a mobilisé pour exécuter des actes terroristes visant la stabilité et la sécurité de l’Egypte. Il s’agit de Mohab Moustapha Sayed Qassem. « Il avait reçu du Qatar un soutien financier et logistique pour commettre des attaques terroristes en Egypte. A son retour en Egypte, il est parti dans le Sinaï pour rejoindre Ansar Beit Al-Maqdess qui l’a entraîné sur la fabrication et l’usage des explosifs et des armes automatiques », lit-on sur le communiqué.

Pour certains experts, cet attentat met en avant les défaillances sécuritaires. « L’infiltration des armes au sein de l’église montre une grave défaillance sécuritaire. Nous sommes en période de fêtes et la sécurité devait être renforcée autour des églises », s’insurge Amir Ayad, membre de l’Union des jeunes de Maspero, un mouvement créé après la révolution de 2011 par des jeunes coptes. Selon lui, les autorités auraient dû se mobiliser et augmenter de vigilance. Indignés, plusieurs centaines de coptes ont manifesté dimanche devant la cathédrale dénonçant une notable défaillance sécuritaire et appelant à la destitution du ministre de l’Intérieur. Mais l’expert sécuritaire, Mohamad Noureddine, trouve injuste d’accuser les forces de sécurité de relâchement. Il explique que le rôle de la police se limite à sécuriser les églises de l’extérieur. « Quand j’étais en service, les églises refusaient catégoriquement à la sécurité de fouiller les gens à l’entrée des lieux de culte, surtout les femmes. C’est la sécurité privée des églises qui se chargeait de cette mission », explique Noureddine. Il ajoute que les services de sécurité ne sont pas à blâmer dans cet attentat. « L’identification en moins de 24 heures du coupable prouve que les services de sécurité sont compétents. Eux aussi ont payé de leur vie pour lutter contre le terrorisme », défend Noureddine.

L’unité nationale visée

Quant aux motifs de cet attentat, les experts s’accordent à dire que l’attaque vise en premier lieu à donner du fil à retordre au gouvernement. Selon Gamal Assad, penseur copte, les coptes paient la facture de leur soutien à la révolution du 30 juin contre le président islamiste destitué Mohamad Morsi et sa confrérie. « Les coptes paient le prix de leurs choix politiques. Aujourd’hui, pour des raisons politiques, les islamistes visent directement les coptes en les accusant d’avoir comploté avec l’armée pour destituer l’ancien président Morsi, oubliant que des dizaines de millions d’Egyptiens sont descendus dans les rues le 30 juin », s’exprime Assad. Toutefois, il affirme que tous les Egyptiens sont conscients du complot visant l’unité nationale.

Depuis la destitution de Mohamad Morsi, en 2013, les coptes ont été à plusieurs reprises pris pour cible. Au moins 60 églises ont été attaquées, dont 37 incendiées ou endommagées, ainsi que des dizaines d’écoles, de maisons et de commerces coptes. Sameh Eid, spécialiste des mouvements islamistes, estime qu’outre l’unité nationale, c’est le soutien de l’Eglise copte au régime qui a été visé. « Les minorités ethniques ou religieuses sont toujours vulnérables et les groupes terroristes les utilisent pour déstabiliser le pays. En visant les coptes en Egypte, le message des terroristes, certes, soutenus et financés par des services de renseignements étrangers, est de montrer que le régime du président Sissi est incapable de protéger les coptes qui l’ont soutenu depuis la révolution de 30 juin. Il s’agit aussi d’une tentative de raviver les tensions sectaires, une carte gagnante souvent employée pour fragiliser les régimes en place », estime Eid. Il rappelle que vendredi, deux attentats à la bombe ont provoqué la mort de six policiers au Caire et d’un passant au nord de la capitale, avant d’être revendiqués par le groupe extrémiste Hasm (Voir page 4). En visant les chrétiens, le retentissement à l’étranger sera beaucoup plus large, et c’est le but de ces organisations terroristes. « L’attaque sert aussi la stratégie des groupes islamistes qui cherchent à compromettre toute opportunité de redresser l’économie et le tourisme, en faisant croire que la situation en Egypte est hors de contrôle et que l’Etat est incapable de lutter contre le terrorisme », ajoute-t-il.

Quant à Noureddine, il trouve que cet attentat a été aussi un acte de représailles. Pour lui, ce n’était pas par hasard que l’attaque de l’église est intervenue au lendemain de la confirmation par la Cour de cassation de la condamnation à mort de Adel Habara, un terroriste condamné pour avoir dirigé la massacre de Rafah, en 2013, qui avait causé la mort d’une trentaine de soldats dans les rangs de l’armée. « Fort fragilisés par la campagne militaire antiterroriste menée par l’armée au nord du Sinaï, ces groupes terroristes, qui ont des agendas dictés par des pays comme le Qatar et la Turquie, veulent discréditer les efforts sécuritaires dans la lutte contre le terrorisme », estime Noureddine.

Des solutions controversées

Le ministre de la Justice, Hossameddine Abdel-Réhim, a annoncé, lundi, que le code de procédures pénales sera amendé et envoyé au parlement dans un délai d’un mois. Les peines seront durcies et les procédures de jugement dans les procès de terrorisme seront accélérées. Lors d’une séance urgente tenue lundi au parlement, le président du parlement, Ali Abdel-Al, est allé plus loin, en affirmant que « face à cette vague terroriste, le parlement n’hésitera pas à modifier la Constitution, si nécessaire, pour déférer les terroristes devant les tribunaux militaires ». Il a chargé la commission des lois d’étudier les modifications proposées par les députés sur le code de procédures pénales ainsi que sur les législations relatives au terrorisme. Mais les députés sont divisés. Certains trouvent cette mesure nécessaire pour lutter contre le terrorisme, tandis que d’autres pensent que les lois actuelles sont suffisamment dissuasives et que la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect de la Constitution, de l’Etat civil et des libertés.

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