La marine russe en route vers la syrie.
(Photo : Reuters)
Depuis presque une décennie, la Russie a fait de grands pas dans la mise en place d’un programme de coopération militaire avec certains pays de la région du Moyen-Orient. Moscou cherche notamment à moderniser ses chantiers navals, pour être présente d’une façon permanente avec sa marine militaire dans la région. Depuis les années 2011-2013, elle envoie en Méditerranée des navires de guerre pour effectuer des exercices militaires de grande ampleur. A l’époque, le quotidien britannique The Guardian avait signalé que le gouvernement russe cherche à prouver la force de sa marine. Aujourd’hui, la Russie a déjà effectué un retour remarqué sur la scène moyen-orientale. Une région traditionnellement importante pour la diplomatie russe où l’Amérique était maître du jeu.
La crise syrienne a été une occasion parfaite pour l’ours russe afin de redorer son blason et renforcer sa présence dans la région. L’intervention militaire russe, en septembre 2015, a changé le cours de la guerre en Syrie et a sauvé le régime de Bachar Al-Assad. Selon les experts, la Russie tenait à combler le vide créé par le retrait américain des crises du Moyen-Orient, notamment en Iraq. En octobre dernier, la Russie a ainsi transformé ses installations portuaires à Tartous, dans le nord-ouest de la Syrie, en une base navale permanente. « La région passe actuellement par une période de déstabilisation et de remise en question des alliances traditionnelles et les activités militaires russes ont soulevé des inquiétudes parmi les acteurs-clés. L’Arabie saoudite, par exemple, est complètement contre la politique russe en Syrie et a fait marche arrière à toute normalisation de ses relations avec Moscou », explique Mohamad Ezz Al-Arab, spécialiste du Golfe au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques d’Al-Ahram (CEPS). Pour lui, l’Arabie saoudite n’échangera pas ses relations avec les Etats-Unis par celles avec la Russie. « Néanmoins, Saoudiens et Russes s’entretiennent, se rencontrent et maintiennent quelques relations sur le plan économique. Mais, la situation des relations avec Moscou peut changer avec l’arrivée d’une nouvelle administration américaine », poursuit-il. Le Qatar ainsi que les autres pays du Golfe, membres ou non du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), suivent presque la même politique que l’Arabie saoudite à différentes échelles. L’Egypte est, peut-être, le seul pays arabe de la région à avoir soutenu le projet militaire russe aux Nations-Unies au sujet d’Alep.De plus, l’Iran, qui soutient militairement et politiquement le régime de Bachar Al-Assad, entretient d’excellentes relations avec la Russie. Et ce rapprochement inquiète, certainement, les pays du Golfe et à leur tête l’Arabie saoudite.
La stratégie de la Russie
La puissance militaire retrouvée de la Russie a inquiété le monde. S’agit-il d’un vrai rapprochement entre Moscou et quelques capitales, notamment arabes, de la région ? Ou s’agit-il d’une simple démonstration de force ? Il semblerait que c’est une stratégie russe à long terme qui aura sans doute un impact sur les pays de la région. En Afrique du Nord, des pays comme l’Algérie, le Maroc et la Tunisie sont en train de renforcer leur coopération militaire avec la Russie. Confrontés à la menace de Daech, ces pays cherchent à améliorer leurs systèmes de sécurité par l’achat des armes russes. En 2015, l’Algérie a acheté une douzaine de chasseurs-bombardiers russes pour un montant d’environ 600 millions de dollars, ainsi que des hélicoptères d’attaque. Et en 2016, Moscou lui a livré un satellite qui permettrait de surveiller la situation à ses frontières avec la Libye, la Tunisie, le Mali et le Niger. En effet, l’Algérie et la Syrie sont les seuls pays arabes à avoir signé, officiellement, un partenariat stratégique avec la Russie. L’Iraq, les Emirats arabes unis et l’Egypte commandent aussi des armes russes.Pour certains analystes, ce renforcement militaire russe peut s’inscrire dans un cadre qui dépasse les limites d’une stratégie moyen-orientale. « Il s’agit plutôt d’une orientation de la politique étrangère russe et de ses intérêts internationaux à la lumière de ses relations tendues avec les Etats-Unis et certaines puissances européennes. La Russie veut devenir un pôle important, après une période unipolaire depuis les années 1990. L’actuel renforcement de la présence militaire russe au Moyen-Orient nous rappelle l’Union soviétique et le temps de la guerre froide, lorsque les Soviétiques envisageaient de rouvrir des bases militaires à l’étranger comme en Egypte à l’époque de l’ancien président Gamal Abdel-Nasser », souligne Nourhane Al-Cheikh, professeure des relations internationales à l’Université du Caire.
« En intervenant militairement en Syrie, la Russie n’a pas cherché à s’affirmer comme une puissance hégémonique. La démonstration de force en Syrie avait notamment pour but de faire comprendre aux Etats-Unis et à leurs alliés qu’il ne saurait y avoir de négociations multilatérales dans la région — et au-delà — en excluant la Russie », explique Ekaterina Stepanova, chercheur à l’Institut d’économie mondiale et de relations internationales de Moscou (IMEMO), dans une étude publiée récemment en ligne sur Cairn.info.La Russie joue déjà un rôle de premier plan au Moyen-Orient mais la question du degré de son implication militaire dans la région reste à déterminer. Elle adopte une stratégie qui s’inscrit dans la durée et qui n’est pas encore très claire.
Lien court: