Sommet de l'Otan à Varsovie, le 8 juillet 2016.
(Photo : Reuters)
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Aujourd’hui, notre partenariat passe à la vitesse supérieure », s’est félicité le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, depuis le futur Centre régional Otan-Koweït qui ouvrira ses portes avec la nouvelle année 2017. Ce bureau est considéré comme la première présence régionale de l’Alliance atlantique, dans le Golfe, et constituera une plateforme pour le développement de la coopération militaire entre l’Otan et le Koweït, ainsi que les autres pays du Golfe. Parallèlement, l’Otan s’implique de plus en plus en Méditerranée, renforçant son champ d’action et se rapprochant notamment du sud de la Méditerranée avec la création d’un centre de renseignements en Tunisie dédié à la lutte contre le terrorisme en Afrique du Nord. L’Otan a renforcé par ailleurs la coopération sécuritaire avec les pays du Maghreb, dont le Maroc. «
Les conditions de sécurité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qui se sont dégradées de manière significative dans l’ensemble de la région, ont de profondes répercussions sur notre sécurité. Le terrorisme, en particulier les attaques perpétrées par Daech, a atteint un niveau d’intensité sans précédent, il s’étend à l’ensemble du territoire des Alliés, et il constitue désormais une menace immédiate et directe pour nos pays », peut-on lire dans le communiqué publié suite au sommet de l’Otan, à Varsovie en juillet 2016.
La question qui se pose à présent est pourquoi ce regain d’intérêt pour cet espace régional dans la stratégie de défense et de sécurité collective de l’Alliance atlantique ? « Les tentatives de l’Otan d’élargir sa présence dans la région ne sont pas du tout nouvelles », explique Sameh Rached, spécialiste des affaires militaires régionales. Il semblerait toutefois que l’Otan essaye de tirer plus profit des bouleversements sécuritaires qui ravagent la région pour élargir sa présence jusqu’à présent limitée et qui fait face à des obstacles.
Avis partagé par Talaat Mossallam, expert militaire. Selon lui, cette ouverture de l’Otan à la région a commencé après la fin de la guerre froide et la disparition du seul ennemi de l’Amérique, à savoir l’URSS. « L’Alliance atlantique s’est retrouvée ainsi face à un problème de légitimité, concernant sa raison d’être », dit Mossallam. Une nouvelle approche doctrinale a été alors approuvée lors du sommet de Rome en novembre 1991, en mettant en place un processus d’élargissement de l’Otan aux nouveaux pays d’Europe de l’Est ainsi que l’engagement dans la gestion des crises « out of area » hors de son territoire traditionnel.
Dans la perspective de sa transformation fonctionnelle d’une organisation de défense collective à une organisation de sécurité collective, l’Otan, comme précise Mossallam, a lancé deux programmes de coopération visant la Méditerranée et le Moyen-Orient : le Partenariat Méditerranéen de l’Otan (PMO) et l’Initiative de Coopération d’Istanbul (ICI).
Immigration illégale, drogue et terrorisme
La première initiative PMO signée en 1994 avec 7 pays méditerranéens : le Maroc, la Tunisie, la Mauritanie, l’Egypte, Israël, la Jordanie, l’Algérie, portait sur une coopération en matière de lutte contre les menaces potentielles pour les membres de l’Otan, comme l’immigration illégale, les drogues et les activités terroristes. A l’époque, la vision du secrétaire général de l’Otan, Javier Solana, était que la sécurité de la région euro-atlantique était étroitement liée à celle de la Méditerranée. Toutefois, ce dialogue méditerranéen, comme l’explique le diplomate Rakha Hassan, membre du Conseil égyptien des affaires étrangères, n’a pu ni évoluer ni se transformer en partenariat, puisqu’il se heurtait à des questions politiques comme le conflit israélo-palestinien. La mauvaise image de l’Otan chez l’opinion arabe, méfiante de cette coopération qui allait en parallèle avec des interventions militaires américaines destructives notamment en Iraq, entravait également l’engagement militaire et politique de l’Otan dans la région. La coopération se limitait seulement au domaine de l’entraînement et de l’échange des expertises militaires. « Après les attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis, l’alliance a vite adopté une nouvelle stratégie en orientant sa boussole géographique vers la région du Golfe sous prétexte d’adopter un plan d’action contre le terrorisme », estime Rached. Et d’ajouter : « La région du Golfe a pris une place plus accrue dans la stratégie de défense de l’Otan après les attentats de septembre ». Dix ans après la signature du PMO, l’Alliance atlantique a lancé une autre initiative nommée « l’Initiative de Coopération d’Istanbul (ICI) » signée en 2004 avec 4 pays du Golfe, à savoir le Koweït, les Emirats arabes unis, le Qatar et Bahreïn. L’Arabie saoudite et Oman sont restés en dehors du cadre de cette initiative, alors que ces deux pays représentent plus de 70 % des dépenses militaires du Golfe, ce qui a fragilisé l’initiative. « La formule de coopération bilatérale (Otan+1), avec chaque pays à part, a rendu également cette initiative inefficace, puisqu’elle empêche de cette façon d’adopter une vision unifiée des pays du CCG, concernant la stratégie de coopération avec l’Otan », estime Mossallam. Selon Rakha, le refus de l’adhésion de l’Arabie saoudite à cette initiative s’explique par la crainte de s’impliquer dans cette alliance et de voir un jour Téhéran lui-même membre. C’était aussi un signe de protestation contre le désengagement américain par rapport à la sécurité du Golfe.Quant au Koweït, un pays proche à la fois de l’Iraq et de l’Iran, il n’a affiché aucune réserve sur la coopération avec l’Otan et a même signé en mars dernier un accord pour faciliter le transit des forces de l’Otan via le territoire koweïtien. Selon Rached, cette démarche peut sur le moyen terme évoluer, avec l’élargissement du fossé entre l’Occident et la Russie qui renforce sa présence en Méditerranée. Ce bureau pourrait, selon lui, se transformer d’un jour à l’autre en une base militaire de l’Otan dans le Golfe.
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