Le 3 novembre 2016. Une date cruciale dans l’histoire de l’économie égyptienne. Le gouvernement égyptien a entrepris une série de décisions économiques capitales longtemps attendues. D’abord, le matin tôt, la Banque Centrale d’Egypte (BCE) a décidé le flottement de la livre égyptienne pour la première fois dans son histoire, la dévaluant ainsi jeudi dernier de 47,7 %, faisant passer le prix d’un dollar à 13 L.E. en moyenne. Elle a aussi annoncé le passage à un régime de change libre. Les banques commerciales ont été autorisées à échanger avec une marge de +10 % à -10 % dans un premier temps jusqu’à 13h (heure locale) jeudi, ensuite l’intervention de la BCE a été levée. La BCE a lancé une enchère exceptionnelle de 100 millions de dollars à 13 L.E. le dollar. Le prix du dollar a varié au cours de la première semaine entre 14 et 18 L.E.
Il s’agit en fait, selon le communiqué de la BCE, « de passer à un régime de change libéralisé pour contrer toute distorsion sur le marché national d’échange des devises étrangères ». « La libéralisation du taux de change est une étape historique sans précédent. Elle vise à corriger la gestion des ressources monétaires de manière qu'elle soit compatible avec les normes internationales », a dit le gouverneur de la BCE, Tareq Amer, lors d’une conférence de presse tenue le jour de la décision. Il a aussi révélé que le gouvernement étudiait cette décision depuis décembre 2015.
Selon lui, cette décision permettra de corriger une situation économique détériorée au cours des 5 dernières années. « L’Egypte a perdu des investissements énormes vu l’instabilité du marché de change et notre conscience ne nous permettra pas d’accumuler les pressions sur le budget de l’Etat ». Le gouverneur a aussi ajouté que « la présence des deux prix du dollar sur le marché n’était plus tenable. Et les banques seront les premiers gagnants d’une telle décision », expliquant que les banques ont pu multiplier par 8 leurs fonds en dollars suite à la décision. En plus, au cours de la première semaine qui a suivi cette décision, la Bourse a enregistré une hausse entre 3 et 7 %, ce qui confirme les paroles du gouverneur.
L’Egypte a vu ses réserves de dollars fondre ces dernières années. Elles ont atteint 19,6 milliards en septembre 2016, soit 50 % de moins qu’en 2011, avant la révolution de 2011. La baisse des revenus du tourisme ainsi que celle des investissements étrangers directs ont aggravé la pénurie de dollars sur le marché. Dans un premier temps, les banques se sont trouvées incapables de satisfaire les besoins de leurs clients. Du coup, les investisseurs, comme les citoyens, ont eu recours au marché parallèle pour satisfaire leurs besoins. Résultat : le prix du dollar sur le marché a atteint un record de 18 L.E. alors que son prix officiel était de 8,98 L.E. Un écart énorme qui a poussé citoyens et hommes d’affaires à marchander de plus en plus sur le dollar, aggravant la crise.
Plusieurs autres mesures
Pour répondre à une crise monétaire aiguë qui affecte l’économie du pays, plus de cinq ans après la révolution de 2011, « le gouvernement n’a pas d’autre choix. Il devait sans doute prendre cette décision pour stabiliser le marché », dit Hani Guéneina, chef du département des recherches auprès de la banque d’investissement Beltone.
La décision de la BCE s’inscrit dans le cadre d’un ensemble de réformes liées à l’obtention d’un prêt du FMI de 12 milliards de dollars (sur trois ans) pour soutenir l’économie égyptienne. La politique d’austérité, condition de l’obtention du prêt, inclut des réformes comme la réduction des subventions publiques et l’imposition d’une nouvelle TVA.
C’est ainsi que le jour même de l’annonce de la décision du flottement, vers minuit, le gouvernement a annoncé une autre décision aussi choquante qu’importante : la hausse des prix des produits pétroliers, dans le cadre du programme de restructuration de l’énergie (voir page 4). Ces deux décisions interviennent une semaine après des déclarations de Christine Lagarde, directrice exécutive du Fonds Monétaire International (FMI), assurant ainsi que l’Egypte ne pourra obtenir le prêt du FMI que suite à des mesures sérieuses en ce qui concerne la création d’un taux de change flexible ainsi que la restructuration des subventions accordées à l’énergie.
Réactions diverses
Malgré la sévérité de ces deux décisions, qui interviennent alors qu’une hausse des prix dans tous les secteurs frappe déjà le pays, les experts économiques, les hommes d’affaires et les investisseurs ont applaudi ces décisions, surtout celle de la BCE de faire flotter la L.E. « Nous sommes bien conscients des craintes de la population concernant l’incapacité de la BCE à pouvoir satisfaire actuellement les besoins en dollars, mais l’aggravation de l’écart entre le prix du dollar sur les deux marchés, officiel et parallèle, menaçait la stabilité monétaire du pays », explique Guéneina. Or, ajoute-t-il, tout a été bien calculé. Le gouvernement s’attend à recevoir des aides monétaires de la Chine et du FMI au cours des 6 prochaines semaines. « Ces sommes seront capables de diversifier les ressources du gouvernement », dit-il.
L’Egypte avait signé la semaine dernière un accord avec la Chine consistant en un échange de la monnaie entre les deux pays. L’Egypte va ainsi recevoir de la Chine une somme de 2,7 milliards de dollars. En même temps, il est prévu que le FMI accorde à l’Egypte la première tranche du prêt et qui est estimée à 2,5 milliards de dollars au cours des prochaines semaines, selon Tareq Amer. En outre, les banques ont commencé à récupérer des dollars, suite au lancement de nouveaux certificats d’investissement : d’abord, la BCE a approuvé une hausse exceptionnelle du taux d’intérêt de 300 points, pour atteindre 14,75 %, 14 jours avant la date de la réunion concernant la fixation du taux d’intérêt de la BCE. Elle a également lancé des certificats en L.E. de 16,5 % et de 20 % en vue de pousser les gens à transformer leurs économies en L.E. « Il s’agit de réduire la demande jusqu’à l’amélioration des mécanismes de l’offre sur le marché », explique Guéneina.
Selon la banque d’investissement Prime, une telle décision permettra un afflux du dollar à travers les chaînes légales, à savoir les exportations et les investissements. « Même les importateurs devraient profiter d’une telle décision avec la disponibilité du dollar dans les banques », dit le rapport de Prime.
Malgré cet optimisme, les craintes sont toujours là. « Faire réussir ces mesures nécessite d’autres mesures économiques tout aussi amères sur le court terme. Une politique d’austérité et des mesures de protection sociale pour compenser la hausse des prix », ajoute Guéneina, dans un papier analytique publié par Beltone suite à la décision de la dévaluation.
Suite à la hausse des prix du dollar et à celle des produits pétroliers, une hausse des prix touchera tous les secteurs. Selon Beltone, le taux d’inflation enregistrera son niveau le plus élevé au cours du premier semestre de 2017, pour atteindre entre 25 et 30 %. « Evidemment, c’est la classe moyenne et les classes défavorisées qui payeront la facture », prévoit Kamal Al-Sayed, professeur d’économie à l’Université de Aïn-Chams. Al-Sayed insiste sur le fait qu’une intervention du gouvernement pour régler les prix sur le marché, assurer des subventions en espèces et une modulation du système fiscal est urgente pour que le fardeau soit assumé par les différentes classes de la société. Or, une telle intervention semble incertaine, car, comme le montrent les 17 décisions adoptées la semaine dernière par le Conseil suprême de l’investissement, le gouvernement parie sur les hommes d’affaires pour relancer l’économie. Au détriment du simple citoyen.
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