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Ebranlement des assises économiques

Par Ibrahim Al-Ghitany, Jeudi, 06 octobre 2016

La branche libyenne de Daech recule face à l’érosion de ses ressources économiques et aux revirements des conflits locaux.

Ebranlement des assises économiques
Daech a perdu la moitié de ses ressources économiques en Iraq et en Syrie. (Photo : Reuters)

En s’emparant de la ville de Syrte, le groupe Etat islamique (Daech) n’a peut-être pas entièrement misé sur les installations pétrolières comme principale source de financement pour son maintien et sa progression en Libye. L’un des facteurs l’ayant empêché de compter sur le pétrole est notamment la présence des « gardiens des installations pétrolières » dans la zone du Croissant pétrolier. Les opérations militaires des forces du général Khalifa Haftar, ainsi que le lancement de l’offensive nommée Al-Bunyan Al-Marsous, ont fini par priver Daech de cette ressource.

Ceci n’a pas empêché le groupe de lancer des raids intermittents contre ces installations ne serait-ce que pour montrer sa capacité de déstabiliser ce pays déjà en lambeaux.La branche libyenne de Daech a plutôt construit son assise économique en Libye à travers le pillage des banques, le commerce des armes provenant des bases militaires attaquées, les transferts d’argent provenant de l’organisation-mère en Iraq et en Syrie, l’imposition d’impôts aux tribus et aux habitants dans les zones sous son contrôle (à hauteur de 2,5 % des revenus), ou encore la confiscation des denrées et des marchandises et l’implication dans les filières d’immigration illégale vers l’Europe à travers les positions stratégiques qu’il contrôle sur le littoral méditerranéen.

Mais le recul de la branche libyenne de Daech et l’érosion de sa hiérarchie souterraine ont eu des conséquences négatives sur ses finances. Par ailleurs, le recul de Daech en Iraq et en Syrie a fait perdre à l’organisation-mère au moins la moitié de ses ressources économiques. Celle-ci n’a plus sa capacité d’exportation qui avait atteint entre 50 000 et 60 000 barils, ayant perdu la mainmise sur les sources, alors que son réseau complexe de financement commence à se dégrader à cause de la situation politique et militaire sur le terrain, ce qui a considérablement réduit le financement des branches à l’étranger, dont celle de la Libye. Ainsi, il semble que Daech n’a plus la puissance économique qui lui permet de progresser en Libye, surtout après les accords conclus entre les factions politiques qui voient en ce groupe un ennemi commun et dans la lutte contre lui un crédit de légitimité.

A la recherche d'une nouvelle source de financement

Il est donc raisonnable de conclure que Daech ne sera jamais capable de reconstituer son économie en Libye même s’il parvient, chose peu probable, à reconstruire sa hiérarchie organisationnelle. Il ne lui resterait plus qu’à se diriger vers les régions du sud, à la recherche d’un nouveau bastion, là où le conflit est moins embrasé, et où il serait possible d’embrigader de petites tribus subsistant grâce au pétrole du nord-ouest. Mais même dans ce cas, la branche libyenne de Daech restera sous la menace des factions qui se font concurrence dans la guerre antiterroriste. Ce scénario serait donc à son tour peu probable, vu l’état de dispersion où se trouve déjà l’EI. Il est tout aussi improbable de compter sur le soutien d’autres groupuscules africains ayant prêté allégeance à Daech, comme Boko Haram, étant donné que ces groupuscules sont trop pauvres pour pouvoir assurer un soutien financier au Daech Libyen.

Ceci dit, la branche libyenne de Daech n’est pas entièrement finie. Il se peut qu’elle ait recours, pour survivre, à des agissements de bandits armés, comme ce fut déjà le cas en Iraq et en Syrie : l’enlèvement d’étrangers pour des rançons, l’attaque des camions-citernes utilisés dans le transport du pétrole, pour ensuite le revendre au marché noir, la contrebande, les activités mercenaires, etc. Ce qui revient à dire qu’en l’absence d’accord politique, la branche libyenne de Daech ne sera plus qu’un groupuscule affilié à d’autres organisations.

En mai dernier, la cohésion du Daech libyen s’est lézardée suite aux affrontements avec les milices de Misrata, bras armé du gouvernement de Sarraj. Plusieurs de ses combattants de premier plan ont pris la fuite vers Syrte, alors que parmi les déserteurs figurait un ressortissant érythréen responsable de la collecte d’impôts. Celui-ci a pris la fuite avec l’argent de la zakat, donnant le mauvais exemple à tous ceux qui ont rejoint l’organisation pour gagner leur vie, et dont beaucoup seraient tentés de faire de même.

De même, Daech jouait un important rôle dans l’immigration clandestine à travers la Libye vers les pays du Sud de l’Europe. Selon les rapports officiels, Zouara, Sabratha et Syrte sont les principaux points de départ. Ces villes sont contrôlées par Daech, qui en profite à des fins terroristes, mais aussi financièrement. Avec la perte de Syrte, cette ressource est à son tour sensiblement réduite.

*Président du département de l’économie au Centre régional pour les études stratégiques.
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