La Libye semble en passe de tourner la page de Daech. Ce groupe, qui avait réussi à s’établir dans le pays, bat désormais en retraite, notamment à Syrte, depuis le lancement de l’offensive «
Al-Bunyan Al-Marsous » par des brigades affiliées au gouvernement d’union nationale de Tripoli. Daech est donc en train de perdre la plus importante de ses positions stratégiques. Des experts militaires estiment qu’il lui serait difficile de reconstruire ses capacités qui lui avaient permis de s’établir à Syrte pendant plus d’un an. Si jamais Daech parvient à garder une présence en Libye, ce serait donc sous la forme de cellules dormantes dispersées dans le centre et le sud du pays. Dans une interview accordée à l’
Hebdo, Abdel-Rahman Salama, un chercheur libyen vivant à Tobrouk, affirme que Daech s’effondre en Libye. «
L’organisation a provisoirement réussi à exploiter la phase de transition qui a suivi la chute de Kadhafi pour s’implanter à Derna et Benghazi. Mais l’entrée à Benghazi de l’armée nationale en mai 2014 a déclenché son compte à rebours », explique-t-il. Et d’ajouter : «
Je peux vous assurer que s’en est fini avec Daech en Libye. Ses combattants occupent une zone qui ne dépasse pas les 3 km2, ils s’abritent derrière les femmes tout en négociant la création de passages sûrs ». Mohamad Hégazy, porte-parole de l’armée nationale du général Khalifa Haftar, affirme à son tour qu’après avoir perdu son QG en Libye (en référence à Syrte), Daech est «
fini en tant que groupe ».
Mais le chapitre le plus important devrait commencer au moment de la sortie entière de Daech de la scène. Alors même que l’affrontement final avec ce groupe se poursuit, et avant qu’il ne prenne fin, les forces du général Haftar ont lancé le 11 septembre une offensive — cette fois, contre les forces du gouvernement d’union nationale de Faïez Al-Sarraj — pour prendre le contrôle du Croissant pétrolier. Une démarche qui annonce la reprise du conflit intestin entre l’est et l’ouest et qui constitue une épreuve pour l’accord de Skhirat. Dès la signature de cet accord, le gouvernement de Sarraj a placé la lutte antiterroriste et la réinsertion des milices armées au coeur de ses priorités, et ce, dans l’objectif de protéger la zone du Croissant pétrolier, l’une des plus importantes ressources économiques du pays. Déjà en janvier 2015, le gouvernement a annoncé le lancement de l’offensive « Al-Bunyan Al-Marsous » destinée à acculer l’EI dans ses derniers retranchements. La résistance de l’EI au début des combats a fléchi après l’intervention des Etats-Unis en août de la même année. Le groupe a battu en retraite et des dizaines de ses combattants ont pris la fuite.
Intervention hostile
Mais les différends politiques entre l’est et l’ouest ont refait surface, notamment en ce qui concerne « l’armée nationale » du général Haftar et qui se trouve actuellement face à face avec les forces du gouvernement d’union nationale. Dans ce contexte, l’opération du 11 septembre lancée par les forces de Haftar, et qui lui a permis sans grande résistance de mettre la main sur les principaux ports pétroliers de Syrte, a été considérée comme une intervention hostile dirigée contre les forces gouvernementales qui cherchaient à contrôler ces mêmes sites. Exprimant son inquiétude, Ibrahim Bitelmal, chef du Conseil militaire de Misrata, fidèle au gouvernement d’union nationale, a affirmé : « Haftar peut maintenant lancer des bombardements aériens sur Syrte pour tuer nos hommes sous couvert de combattre les djihadistes ». Le chercheur libyen Al-Hussein Al-Messry explique que les commandants des forces de Misrata souhaitent voir le général Haftar disparaître de la scène. « Voilà donc à quoi ressemblerait la prochaine phase du conflit », dit-il. « Jusqu’ici, les parties politiques rivalisaient dans la guerre contre l’EI. Après la disparition de celui-ci, elles se retourneront les unes contre les autres », ajoute le chercheur qui estime que le général Haftar a plus de chance d’en sortir gagnant.
Ambitions de Haftar
Ainsi, la disparition des milices de l’EI de Syrte ne signifie pas la fin des hostilités, mais ouvrira la porte à la reprise des conflits locaux. Après avoir étendu son contrôle sur le Croissant pétrolier, le général Haftar ne cache plus ses ambitions politiques. Lors d’une interview récente, il a affirmé que la Libye avait besoin d’un dirigeant militaire. Beaucoup d’analystes estiment qu’il ne reconnaîtra jamais le gouvernement d’union nationale, même si celui-ci accepte le compromis qui consiste à le nommer ministre de la Défense. Mais Haftar devra surmonter la vague de dénonciation occidentale qui a suivi son offensive du 11 septembre. Dans une déclaration conjointe, six pays occidentaux ont exigé que le contrôle de toutes les installations pétrolières reviennent « sans réserve ni délai » au gouvernement d’union nationale. Un nouvel épisode se déroulera à Paris, qui organise la semaine prochaine une rencontre sur la Libye avec la participation, outre des deux autorités qui se disputent le pouvoir, du Qatar, de la Turquie, des Emirats et de l’Egypte. Ces deux derniers pays sont accusés par l’Occident de soutenir le général Haftar contre le gouvernement de Sarraj. Alors que Le Caire accuse Doha de soutenir des factions djihadistes en Libye pour promouvoir les islamistes. Selon l’envoyé spécial de l’Onu en Libye, Martin Kobler, la question du soutien des forces armées du gouvernement d’union nationale sera à l’ordre du jour de ces réunions. « Paris cherche à concerter avec Londres et Washington pour faire rentrer dans l’ordre les factions armées en Libye », estime de son côté une source libyenne informée. Des observateurs pensent qu’un accord serait possible si les parties libyennes s’accordaient sur une même solution, ce qui est, selon eux, peu probable. En dernière analyse, le conflit libyen entre dans une nouvelle phase où Daech n’occupe plus la place centrale. Parallèlement aux combats contre ce groupe qui se poursuivront, l’avenir du conflit libyen prendra forme en fonction de nouvelles alliances locales, régionales et internationales. La rencontre de Paris en esquissera les premiers contours.
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