« J’espère que la deuxième session parlementaire sera plus calme que la première », a lancé Ali Abdel-Aal, président du parlement, en dressant le bilan de la session. Les députés sont donc en vacances parlementaires, mais ils reviendront à nouveau sous la coupole le 4 octobre prochain pour entamer la deuxième session. Pour beaucoup d’analystes, le bilan de cette session est très mitigé. Si pour certains, cette session parlementaire est loin d’être satisfaisante, et a été marquée par la mainmise du gouvernement sur la législation, pour d’autres, il est prématuré de porter un jugement sur la performance du parlement, surtout dans les conditions économiques et politiques actuelles et le fait que plus de 70 % des députés faisaient cette année leur rentrée pour la première fois au parlement. Réuni pour la première fois, le 10 janvier 2016, ce parlement intervient après une longue période de vide législatif de plus de trois ans. Le dernier parlement, celui des Frères musulmans, avait été dissous, en juin 2012 sous le Conseil militaire, par la Cour constitutionnelle à cause de l’invalidité de certaines dispositions de la loi électorale. Le premier défi qui se dressait face au nouveau parlement était de réviser en un temps record, 15 jours, un arsenal juridique formé de 342 lois promulguées en son absence. Toutes ces lois sont passées d’une façon assez mécanique.
Elaborer un nouveau règlement interne était un autre défi. Cette tâche a été achevée au terme de 20 séances publiques. Sur les 392 articles de ce nouveau règlement, l’article 95 relatif à la formation des coalitions parlementaires a été le plus contesté puisqu’il exige un minimum de 150 députés issus d’au moins 15 gouvernorats pour former une coalition (lire page 5). Un article, selon certains, « taillé sur mesure » au profit de Fi Daem Misr, la coalition pro-gouvernementale. Alors que le parlement attendait que son règlement soit validé par le Conseil d’Etat, le débat s’est installé sur les élections des commissions parlementaires. Dans un contexte très tendu, ces élections, qui ont pris fin le 28 avril, ont été dominées par la coalition Fi Daem Misr (Soutien à l’Egypte) qui a récolté à elle seule 16 commissions sur un total de 25.Pour Akram Al-Alfi, expert parlementaire, la session législative n’a commencé effectivement que fin avril, c’est-à-dire 4 mois et demi après la formation du parlement. Selon Rami Mohsen, président du Centre des consultations parlementaires, « on ne peut pas considérer vraiment l’adoption du règlement interne, inspiré dans sa totalité de l’ancien, comme une réalisation législative de ce parlement ». 96 séances parlementaires ont été tenues en 289 heures et 39 minutes, au cours desquelles 567 députés ont pris la parole et 55 sont restés silencieux. Outre les 341 lois approuvées, le parlement a adopté 82 lois dont 50 sont de nature financière et administrative, ainsi que 27 conventions et 7 décrets présidentiels. « La moitié des séances étaient des séances de procédures. Ces séances ne reflétant pas le fond de l’activité parlementaire. Sur le plan quantitatif, si le nombre global des lois montre que la session a été très productive, sur le fond, elle était loin des aspirations économiques et sociales des Egyptiens », dit Al-Alfi. Et d’ajouter : « En adoptant un ensemble de lois impopulaires, comme la TVA, et un budget qui prévoit la levée progressive des subventions, le fossé s’est élargi entre le parlement et la rue. Ce qui importe pour le citoyen ce n’est ni le nombre des lois approuvées ni leur appellation mais comment elles se répercutent sur sa vie ».
Absence de priorités
Le parlement a adopté des lois importantes comme la construction des églises ou la lutte contre le terrorisme, mais d’autres aussi importantes sont toujours au placard (lire page 4). Pire, comme l’explique Abdallah Al-Mogazi, professeur de droit à l’Université du Caire : « Le parlement a violé d’une façon flagrante la Constitution en ajournant l’adoption des lois qui devaient être approuvées durant la première session parlementaire, comme stipule l’article 241. L’agenda législatif manque de priorité ». En fait, sur les 24 nouvelles lois dont la promulgation était exigée par la Constitution, une seule loi, celle sur la construction des églises, a été approuvée et à la hâte et en une seule séance aux dernières heures avant la fin de la session. Parmi les lois non adoptées figurent la loi sur la justice transitionnelle et celle sur les municipalités. Kamal Afifi, membre de la commission des lois, dévoile que ces lois « sont en cours d’études approfondies et elles seront en tête de l’agenda législatif de la prochaine session », en excluant que le parlement soit poursuivi pour inconstitutionnalité. Afifi justifie ce retard par le « manque de temps », car le Conseil des députés avait commencé ses travaux tardivement en janvier. En plus, de nombreux députés n’avaient pas d’expérience juridique et il y avait aussi le problème de l’absentéisme des parlementaires. « A ceci s’ajoute aussi la lenteur du gouvernement pour envoyer ses projets de loi au parlement. Chose étrange, le gouvernement ne prend la démarche que lorsqu’il apprend qu’un député va présenter un projet de loi », explique Afifi qui fait porter la responsabilité aussi au gouvernement.
« Il y avait une volonté délibérée que les propositions de loi présentées par les députés ne soient pas examinées avant celles présentées par le gouvernement », dit Amr Hachem Rabie (voir entretien page 5). La relation entre le gouvernement et le parlement durant la session était en effet déséquilibrée en faveur du gouvernement. « Il était difficile d’ajuster ce déséquilibre à court terme, tant que la coalition Fi Daem Misr existait », explique Rabie. Il suffit de dire que parmi les 82 lois adoptées par le parlement, 2 seulement étaient présentées par des députés. Ce qui a provoqué des remous sous la coupole. Anissa Hassouna, députée et membre de la commission des droits de l’homme, a vu son projet de loi sur la lutte contre la discrimination reporté « jusqu’à ce que le gouvernement présente le sien ». « Aucun texte juridique ne donne la priorité au gouvernement. Est-ce que le parlement est élu pour faire passer seulement les lois du gouvernement ? », s’interroge Mohsen. Selon Al-Alfi, le parlement a voulu « éviter d’entrer en conflit avec l’appareil exécutif, en donnant la priorité aux projets de loi présentés par le Conseil des ministres ».La seule confrontation entre le parlement et le gouvernement a été lorsque le premier a refusé de faire passer la loi sur la fonction publique (voir page 4). Toutefois, cette loi qui devait être adoptée lors de la séance de clôture a été reportée à la prochaine session à cause de l’absence de quorum. Le parlement a poussé aussi le gouvernement à réduire la TVA de 14 % à 13 %. Il s’agit là d’un autre point positif pour le parlement.
Sur le plan de la surveillance parlementaire, la commission d’enquête qui a réussi à détecter la corruption dans l’affaire des livraisons de blé, poussant le ministre de l’Approvisionnement, Khaled Hanafi, à démissionner, est considérée comme le point fort de cette session parlementaire. Cette commission a tenu 85 séances sur la question. Toutefois, d’une façon générale, comme l’explique Mohsen, la surveillance à été en-deçà des attentes pour un parlement qui est doté de pouvoirs plus larges que les précédents, puisque plusieurs autres crises, comme la fuite des examens du bac, ou la hausse du prix du dollar sont passées sous silence. « Parmi les 12 outils de surveillance inscrits dans le règlement interne, le parlement n’a utilisé que 3, à savoir les interrogations, les interpellations et les commissions d’enquête. Il a omis d’autres outils comme le retrait de confiance des ministres. Une première dans l’histoire des parlements égyptiens : cette session s’est terminée sans que le Conseil des députés examine une seule question adressée au gouvernement », conclut Mohsen.
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