Si Téhéran, plus d’un an après la signature de l’accord nucléaire de Vienne, a marqué un certain rapprochement envers l’Occident, dans la région du Golfe, son chemin reste bloqué. Pour les pétromonarchies, l’Iran post-sanctions représente un danger pour la sécurité du Golfe. Le retour du «
gendarme du Golfe », surnom attribué à l’Iran à la fin des années 1960, est la plus grande crainte des pays du Golfe. A l’époque, le retrait des Britanniques a repositionné le Téhéran du Shah en tant que grande puissance montante face à l’Arabie saoudite et l’Iraq. Et ceci, grâce à sa capacité militaire de premier plan et ses fortes relations avec l’Occident, et en particulier les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et même Israël. De plus, l’exploitation des puits de pétrole en était aussi à ses débuts dans la plupart des monarchies du Golfe qui se trouvaient économiquement à la traîne, et «
la balance des forces s’inclinait fortement vers Téhéran », comme l’indique Nourhane Al-Cheikh, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Puis le paysage a vite changé et Téhéran a perdu ses privilèges ainsi que son surnom. En 1979, la révolution islamique lancée par Khomeyni vient de renverser le régime du Shah pour le remplacer par un régime islamique qui a fait de l’hostilité à l’égard des Etats-Unis, le grand Satan, l’un des piliers principaux de sa politique étrangère.
Selon Malek Awny, directeur de rédaction de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya, publiée par Al-Ahram, si l’accord nucléaire a pu considérablement limiter la capacité de Téhéran à développer son programme nucléaire, il n’a pas pu apaiser les craintes des pays du Golfe qui concernent d’autres « facteurs de menaces traditionnels », outre le pouvoir atomique de Téhéran, non abordés dans l’accord. Avis partagé par Nourhane Al-Cheikh. « Au cours de l’année écoulée, les craintes des monarchies commencent à devenir réalité, et les répercussions de l’accord sur la région du Golfe se multiplient notamment sur les plans économique, militaire et politique », dit-elle.
Causes de l’instabilité
Du point de vue économique, comme l’indique Awny, le retour du pétrole iranien sur le marché international est l'une des causes principales de l’instabilité de ce marché à l’heure actuelle et l’incapacité de l’Opep de prendre la décision de geler la production pour faire face à la chute des prix du baril. Selon le dernier rapport de l’Opep, la production de l’Arabie saoudite, le plus grand producteur de pétrole, atteignait 10,6 millions de barils par jour en juillet contre 10,2 au premier trimestre. L’Iran, troisième producteur du cartel, suit la même trajectoire en hausse avec 3,6 millions de barils produits en juillet contre 2,7 millions avant l’accord nucléaire de 2015. Téhéran vise les 4 millions.
Par ailleurs, la capacité des missiles iraniens, qui a été progressivement renforcée au cours de l’année écoulée, est la plus forte des menaces pour la sécurité du Golfe, comme l’explique Awny. « L’année dernière, l’Iran a effectué 4 tests de missiles de courtes et moyennes portées, soit entre 2 000 et 2 500 km. Une fois les sanctions levées, Téhéran a augmenté de façon considérable la portée des missiles. Parmi ces missiles, les plus importants sont Sejil 1 et Sejil 2 et Shehab 1, 2 et 3. Ils inquiètent énormément les pays du Golfe et Israël ». Il ajoute : « L’objectif principal du développement de son programme de missiles est, d’une part, la dissuasion, et d’autre part, un facteur de chantage pour faire pression sur les pays du Golfe, plutôt que d’améliorer une capacité d’offensive efficace et réelle de son armement ».
Soutien logistique
Apporter davantage de soutien logistique aux milices chiites dans la région, tout en y renforçant largement la présence militaire de Téhéran, préoccupe également au plus haut point les pays du Golfe, comme le note Awny. Le politologue avance l’exemple des Houthis au Yémen. « Le soutien intensif iranien a réussi à transformer les Houthis de milices à presque une armée militaire, qui se manifeste en menant une offensive acharnée et ininterrompue contre la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite », dit-il. Al-Hached Al-Chaabi, les unités de mobilisation populaire iraqienne, renfermant des milices chiites soutenues et entraînées ouvertement par l’Iran, qui s’imposent avec force sur la scène iraqienne par Téhéran, sont un autre exemple. « Le parlement iraqien vient d’approuver qu’Al-Hached Al-Chaabi est une force parallèle à l’armée iraqienne dans le combat mené contre Daech », dit le politologue. Toutefois, les tentatives des pays du Golfe de développer un système d’intégration militaire conjointe face à la montée de la puissance militaire iranienne, restent « lentes et hésitantes », précise Awny.
Du point de vue politique, explique Nourhane, Téhéran a beaucoup renforcé sa position comme acteur principal dans plusieurs dossiers en poursuivant sa stratégie dans la région motivée par le jeu de la carte sectaire. « Le croissant chiite s’est élargi pour devenir une ceinture, et ce, en apportant un appui décisif au Hezbollah au Liban qui bloque jusqu’à présent l’élection du président, en passant par le régime syrien d’Al-Assad et les minorités chiites dans les pays du Golfe, notamment au Bahreïn, et la région orientale en Arabie saoudite, le gouvernement iraqien et les Houthis au Yémen. Il ne reste que l’Egypte, chose impossible, pour que cette ceinture se transforme en un cercle chiite hermétiquement fermé », dit Nourhane.
Le retour du gendarme du Golfe n’est pas envisageable à l’heure actuelle, puisque Washington a changé de stratégie pour la région. « Washington travaille à créer un état d’équilibre et faiblesse entre les deux puissances régionales, Riyad et Téhéran, de sorte que la région reste dans un état de division permanent. Et sans permettre qu’une partie impose son hégémonie sur la région », conclut Awny.
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