Le gouvernement achète l'erdab de blé aux paysans à 420 L.E
(Photo : Reuters)
Confus, Diab jette un long regard sur ses champs en friche. Il y a 4 mois, la couleur dorée couvrait entièrement ses 18
feddans (7,5 ha). En avril, il a moissonné son blé. Aujourd’hui, il lui reste à peine un mois pour recommencer de nouveau à planter ses premières graines de blé. Cela fait une trentaine d’années que Diab ne cesse de semer et de moissonner le blé, mais cette année, il hésite ... au point de songer même à changer de production. Diab garde des souvenirs amers du long processus de vente de la récolte de la saison dernière. Il se souvient encore du jour de la moisson, qui était censé être une fête pour les cultivateurs de blé de son gouvernorat, Minya, numéro un national pour la production de blé. Ce jour-là, raconte Diab, il n’a pourtant récolté que la crainte, comme beaucoup d’autres paysans. Les pertes étaient énormes.
Diab a tout enduré pendant 6 mois, période requise pour que les tiges de blé se fortifient et forment une touffe, afin d’améliorer le rendement et la qualité de sa moisson. Il s’est alors retrouvé face à un grave souci financier. La culture de blé est très coûteuse, elle nécessite beaucoup d’eau, des engrais, en plus du carburant pour ses tracteurs et de l’électricité pour les pompes à eau. Un processus très coûteux pour lequel Diab a dû s’endetter. Il a eu recours à un prêt de la banque agricole avec un taux d’intérêt très élevé de 14 %. « L’emprunt agricole, de 1 400 L.E. par feddan, que le gouvernement donne au paysan pour la culture du blé, est loin de suffire. En outre, le gouvernement ne donne que trois sacs d’engrais alors que chaque feddan en requiert 6. Ce qui oblige beaucoup de paysans à acheter le reste au marché noir à des prix beaucoup plus élevés. A cela s’ajoutent le coût des journaliers et le transport de la moisson vers les centres de regroupement fixés par la banque d’assurance agricole, pour vendre la récolte, et qui se trouve à plus d’une douzaine de kilomètres des champs », déplore Diab.
Mais « ce qui a rendu la situation très dramatique cette année », raconte-t-il, ce sont les restrictions posées pour la première fois par le gouvernement qui ont davantage compliqué le processus de vente de blé. Cette année, le gouvernement a effectivement décidé d’acheter les récoltes de blé des paysans à des prix élevés par rapport au prix mondial, soit 420 L.E. (50 dollars) la tonne. Mais pour profiter de cette subvention, chaque paysan doit remplir un certain nombre de conditions. Ainsi, le paysan doit présenter des titres de propriété des terrains agricoles ; il faut également que les terrains en question fassent partie de la liste répertoriée par le ministère de l’Agriculture.
Combattre « la mafia du blé »
Pour le gouvernement, ces mesures ont pour but de combattre « la mafia du blé » et d’éviter le mélange du blé local avec celui importé, un phénomène qui se répète chaque saison. Mais pour les agriculteurs, la confusion règne, selon Diab, qui explique : « Il y a eu au départ des déclarations contradictoires du ministère de l’Agriculture et celui de l’Approvisionnement concernant la condition qui concerne les titres de propriété agricole ayant engendré des remous parmi les cultivateurs du blé ». Alors que le ministère de l’Approvisionnement insiste sur la nécessité du titre de propriété, le ministre de l’Agriculture, en revanche, a décidé de se contenter des registres du cadastre. Diab déplore également le fait que le ministère de l’Approvisionnement ait ouvert la porte aux importations de blé durant la période de la moisson du blé local. « Ces mesures ont, en effet, rendu le paysage encore plus chaotique, puisque plus de la moitié des terrains cultivés en blé sont sans document. Ce qui a fait, par conséquent, que la production de ces terrains a été directement dirigée vers le marché noir. Et le paysan devient la proie des mafieux du blé, qui se sont précipités pour conclure des contrats avec les paysans résignés avant même l’heure de la moisson à des prix assez bas, soit 370 L.E. (43,5 dollars) la tonne ». Et Diab fait partie des « paysans sans papiers ». Sur ses 18 feddans, 8 sont sans document de propriété.
Vente pas facile
Selon Hussein Abou-Saddam, président du Conseil suprême des agriculteurs qui regroupe un grand nombre de syndicats, « le marché noir est le grand gagnant cette année. De 9 millions tonnes de blé produits, le gouvernement n’en a compté que 4 millions dans ses silos. Si on estime que la moitié de la quantité restante est consommée et stockée pour le besoin des paysans, alors 2,5 millions de tonnes ont été vendus au marché noir dont un million est le fruit de la récolte des terrains sans documents », déplore-t-il. Il explique également que la vente de la récolte provenant de terrains avec document n’a pas été facile non plus. Il se souvient des longues queues de camions qui s’entassaient devant les points de rassemblement déterminés par la banque agricole pour livrer la récolte après un contrôle d’un comité technique, pour s’assurer de la qualité du blé. Diab pointe aussi du doigt la bureaucratie. « Pour livrer ma production, j’étais obligé de faire l’aller-retour plusieurs fois, sous prétexte que l’heure de la livraison était dépassée ou que les silos de blé étaient pleins. Or, à chaque déplacement, il y a des frais de chargement et de transport ». Ces conditions ont, selon Diab, poussé beaucoup de paysans à vendre leurs productions au marché noir pour économiser les frais du transport. « Revenez demain », une phrase que Diab a beaucoup entendue de la part des responsables de la banque agricole, sous prétexte que les chèques n’avaient pas été certifiés. Il lui a fallu 35 jours pour enfin encaisser tout son argent. Le gouvernement a, depuis l’année dernière, stabilisé le prix d’un erddab de blé (150 kg) et l’a fixé à 420 L.E. malgré l’augmentation incessante du coût de la production.
Le coût de la production d’un feddan, qui produit en moyenne 18 erddab, est passé de 6 000 livres en 2015 à environ 7 000 cette année. Le résultat est que les cultivateurs de blé, au niveau de tout le pays et non pas seulement à Minya, vivent désormais dans la crainte, se sentent plus que jamais menacés surtout depuis que des rumeurs circulent selon lesquelles le gouvernement imposera l’année prochaine davantage de restrictions sur l’achat des récoltes. « Les décisions politiques concernant la production de blé ne sont pas stables, elles changent avec les ministres. Un ministre part et ses décisions avec lui », estime Diab. « Le gouvernement doit présenter des garanties plus encourageantes aux paysans et s’engager à acheter le blé des paysans à des prix intéressants avec une marge de profits, afin d’éviter que la superficie cultivée en blé ne disparaisse progressivement », conclut-il.
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