Pendant de nombreuses années et en vertu de la loi, le régime de Moubarak n’a cessé de violer les droits de l’homme. La création des partis était criminalisée, les manifestations, les grèves, les rassemblements comme presque toute critique du régime aussi. Cet arsenal juridique, soutenu par un état d’urgence permanent confisquant les droits, n’a pourtant pas empêché les Egyptiens d’exercer leurs droits en violation de la loi et n’a pas non plus entravé la chute de Moubarak.
Quelques mois avant l’arrivée du président Morsi, l’état d’urgence prolongé par les militaires qui assuraient l’intérim a été abrogé. Mais les mois qui ont suivi l’installation de Morsi à la tête du pays ont été marqués par un ensemble de lois ou projets de loi qui reprennent dans le fond l’arsenal législatif utilisé par l’ancien régime pour « légaliser la répression et restreindre les libertés », selon l’opposition et les ONG.
Des lois sont passées, d’autres sont en cours de préparation. L’un des projets de loi les plus dangereux est intitulé « Protéger la société contre les personnes dangereuses » et il reprend une ancienne loi de l’époque royale des années 1940 dite « loi soupçon », car elle criminalise les suspects avant de commettre le crime et entreprend comme mesures préventives leur placement sous surveillance policière ou l’interdiction de leur présence dans des lieux spécifiques, ou leur détention sans accusation précise ou verdict de justice. « Cette loi a été jugée inconstitutionnelle car elle ouvre la voie à l’arbitraire dans son application et à des abus sur les libertés individuelles », explique Hafez Abou-Seada, directeur de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme.
Mais il semble que le ministère de l’Intérieur veut la faire passer, si l’on en croit les discussions à la Chambre haute du Parlement, qui détient temporairement le pouvoir législatif. Le Sénat examine déjà ces jours-ci une loi qui « réglemente » les manifestations. Approuvée par le gouvernement, elle a pour objectif d’ « assurer la nature pacifique des manifestations » et de « protéger le droit » de manifester, se défend le ministre de la Justice, Ahmad Mekki.
Elle empêche, dit-il encore, « la confusion entre les manifestations pacifiques et les attaques visant les individus et les propriétés, ainsi que l’atteinte à l’ordre public ». Mais ce texte pose des restrictions plus qu’il ne régularise ce droit. Il stipule que les organisateurs doivent informer à l’avance les autorités de leur manifestation et que le ministère de l’Intérieur a le droit de refuser aux organisateurs le droit de manifester. Il impose une zone tampon entre les manifestations et les bâtiments publics, les hôpitaux, les lieux de culte et empêche les graffitis et les slogans hostiles aux responsables. (lire page 4). Ce projet de loi « viole tous les principes de la liberté d’expression », estime l’avocat et militant des droits de l’homme, Gamal Eid, qui appelle les Egyptiens à manifester en masse le jour du vote de la loi par les sénateurs. (lire entretien). Légaliser la répression des manifestants est soutenu aussi par deux autres projets pour asphyxier les médias et les ONG, qui représentent une épine dans le pied du nouveau régime, tout comme l’ancien d’ailleurs.
Un projet de loi limitant l’indépendance des ONG et renforçant leur supervision par le gouvernement a été divulgué par le gouvernement islamiste. « Le texte est adopté par le même consultant au sein du ministère de la Solidarité sociale, qui n’a pas réussi à l’adopter sous l’ère Moubarak, et il l’a de nouveau présenté sous la junte militaire après des modifications le rendant plus autocratique. Rejeté par la commission des droits de l’homme au Parlement, la même personne vient de le présenter aujourd’hui — au Sénat — après de nouveaux ajustements qui l’ont transformé en une loi qui entrave le processus de transition démocratique », explique le chercheur Mohamad Al-Agati.
La société civile égyptienne est déjà handicapée par des lois qui limitent sa liberté, et la nouvelle loi tente de la « nationaliser », croit Eid. Les médias et les journalistes ne font pas exception et semblent être une cible primordiale pour le président-Frère et compagnie d’une série de procès et d’accusations pour faire cesser le flot de critiques contre la faiblesse politique du nouveau régime.
Evaluer la performance des médias
Concrètement et usant des textes législatifs, une commission gouvernementale chargée d’évaluer la performance des médias entamera bientôt son travail, et un projet de loi pour contrôler le contenu des émissions est en cours d’examen. C’est ce que le régime Moubarak avait tenté de faire passer, sans succès, lors de ses derniers jours au pouvoir. « La répression n’était pas sur l’agenda de Moubarak dès son arrivée au pouvoir, contrairement à Morsi qui s’y précipite pour faire taire l’opposition », estime le journaliste et écrivain Salah Issa. Selon lui, « il a vite oublié ses promesses électorales de sauvegarder les droits et de protéger les libertés et tente au contraire de s’emparer du pouvoir par tous les moyens ».
Il y a un an, l’organisation Human Rights Watch (HRW) avait estimé, dans un rapport, que le Parlement devait d’urgence réformer l’arsenal législatif utilisé par le gouvernement Moubarak visant à restreindre diverses libertés. « La transition vers la démocratie en Egypte, qui est actuellement bloquée, ne pourra reprendre qu’une fois que le nouveau Parlement démantèlera la boîte à outils juridiques dont le précédent gouvernement s’est servi pendant des décennies, pour réduire au silence les journalistes, punir les opposants politiques et étouffer la société civile », avait déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen- Orient de HRW. Cette semaine, quatre ONG internationales ont critiqué dans un communiqué conjoint les restrictions des libertés en Egypte « à travers les lois ».
Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, la Fédération internationale des droits de l’homme et l’Organisation mondiale contre la torture se sont dit « extrêmement préoccupés par le fait que les autorités égyptiennes puissent adopter de telles lois répressives dans une tentative de museler les voix dissidentes et d’étouffer les libertés de la population dans le pays ».
La rue est aussi inquiète de cette tentative d’institutionnaliser les pratiques de répression qui n’ont pas changé depuis l’ère Moubarak. Mais Moubarak ne les a pas empêchés de sortir massivement dans la rue. Il est à parier que Morsi n’aura pas plus de succès.
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