Al-Ahram Hebdo : La France est un partenaire commercial essentiel pour l’Egypte. La dernière visite du président François Hollande semble avoir marqué une nouvelle phase de coopération bilatérale. Quelles sont, selon vous, les perspectives de partenariat entre les deux pays ?
Franc Sécula : La visite du président Hollande a marqué la concrétisation du caractère stratégique de la relation entre les deux pays. Un caractère qui dépasse la coopération économique et qui doit se traduire dans tous les domaines. Le renforcement de la présence française en Egypte venait d’ailleurs en tête des discussions comme le souhaitaient les deux présidents. Cette visite est une visite d’Etat au plus haut niveau, c’est justement le message important. Les deux présidents ont mis en place, lors de leur rencontre, les fondements d’une relation plus étroite. Nous nous attendons donc à une coopération renforcée dans le futur.
— Cela signifie-t-il qu’il y aura de futures visites françaises pour discuter des mesures plus concrètes dans le cadre de ce partenariat ?
— Attendez-vous à plus de visites ministérielles dans tous les secteurs. Laissons passer le mois du Ramadan et les deux mois d’été, juillet et août, et nous verrons des délégations françaises en Egypte pour discuter des nouveaux projets et de nouveaux investissements.
— Quels sont les secteurs d’investissement auxquels s’intéressent actuellement les entreprises françaises ?
— J’ai confiance dans l’économie égyptienne et dans les opportunités d’investissement réelles qu’elle offre. L’Egypte possède une économie diversifiée. C’est ainsi que les entreprises françaises se retrouvent dans presque tous les domaines, entre autres le secteur bancaire, les assurances, l’industrie, l’automobile, l’énergie, la santé, les transports urbains, etc. Il existe environ 160 filiales françaises en Egypte et un stock d’investissements s’élevant à environ 3,2 milliards d’euros. La France occupe le 6e rang sur la liste des partenaires commerciaux pour l’Egypte. Pour ce qui est des secteurs d’avenirs, l’énergie renouvelable vient en tête de liste. Les entreprises françaises EDF, Eren, Neoen, Engie, Solaire Direct, ont signé, lors de la visite du président François Hollande, des accords pour générer à terme 600 mégawatts d’électricité. Le secteur de l’information et de la technologie (ITC), les infrastructures, le transport, les villes durables et la formation professionnelle sont également importants pour les Français. Les entreprises françaises s’intéressent aussi aux projets étatiques lancés par le gouvernement, entre autres, la zone économique du Canal de Suez et le projet d’un million et demi de feddans. Nous avons fait la publicité des deux projets en France et les entreprises étudient actuellement les moyens d’y contribuer. Les PME et les Entreprises de Tailles Intermédiaires (ETI) françaises s’intéressent aussi beaucoup au marché égyptien, et notre bureau Business France reçoit actuellement de nombreuses demandes d’informations, ce qui est un signe révélateur.
— L’Egypte a traversé une période difficile durant les 5 dernières années. Cette situation a-t-elle freiné l’activité des entreprises françaises en Egypte ? Des entreprises françaises sont-elles sorties du marché ?
— L’Egypte a vraiment fait face à des difficultés économiques et politiques au cours des 5 dernières années. Mais malgré toutes les difficultés que le pays a connues et la crise financière mondiale de 2008, l’économie égyptienne n’est jamais entrée en récession. Cette résilience témoigne de sa diversification et préfigure sa capacité à rebondir avec le retour de la stabilité. Le pays est actuellement sur voie du redressement, surtout après l’élection du Parlement, phase finale de la transition politique. Les entreprises françaises qui opèrent sur le marché sont au courant de la capacité de l’économie égyptienne à se redresser. C’est ainsi qu’aucune d’entre elles n’a arrêté ni suspendu son activité à cause de la situation du pays. En revanche beaucoup ont élargi leurs activités, par exemple L’Oréal a inauguré une usine, la première dans la région, Total a acheté les réseaux de distribution de Chevron et Shell, Orange a acquis Mobinil, Lactalis a ouvert une nouvelle usine et Axa s’est introduit sur le marché égyptien. Et je dois souligner le fait que les deux banques françaises qui ont vendu leurs actifs égyptiens l’ont fait à un très bon prix et pour répondre à des exigences globales de règlementation prudentielle (Bâle III)
— Et à propos des nouveaux investisseurs ?
— Les nouveaux investisseurs, ne connaissant pas encore bien le marché égyptien et sa rentabilité, préfèrent attendre une meilleure sécurité et une plus grande stabilité économique avant de franchir le pas. La sécurité, la stabilité économique et l’environnement des affaires, comme l’accès aux devises, sont des éléments essentiels pour l’introduction des entreprises françaises sur le marché. Mais nous y sommes presque, puisque le Financial Times a souligné dans un rapport que l’Egypte a été le premier pays attirant les investissements étrangers en 2015. Par exemple les Investissements Etrangers Directs (IDE) ont atteint 6,5 milliards de dollars au cours de l’année fiscale 2014/2015, soit le même montant qu’en 2010, avant la révolution.
— Quelles sont donc les mesures nécessaires pour encourager ces entreprises à franchir le pas et à s’introduire sur le marché égyptien ?
— Comme je l’ai déjà dit, malgré toutes les difficultés traversées par l’Egypte depuis 5 ans, et la crise financière mondiale de 2008, l’économie égyptienne n’est jamais entrée en récession, grâce à la grande taille de sa part informelle qui agit comme un amortisseur en temps de crise. Le principal attrait de l’Egypte pour les investisseurs est d’abord la taille de sa population, et donc du nombre de consommateurs potentiels. C’est d’ailleurs pourquoi les entreprises liées à la consommation (alimentaire, distribution, santé, télécoms) obtiennent d’excellents résultats ici. Quant à la concrétisation de cet intérêt, elle ne pourra qu’être facilitée par les efforts du gouvernement pour redresser les comptes publics, résoudre la crise énergétique, stabiliser la politique monétaire, poursuivre la libéralisation de certains secteurs d’activités, simplifier l’environnement légal des affaires et investir dans les secteurs de la santé et de l’éducation. La prévisibilité, tant fiscale que monétaire, est l’un des préalables à un retour significatif des investissements, tant économiques que de portefeuille.
— Quels sont les obstacles auxquels les entreprises françaises sont confrontées en Egypte ?
— Il en existe bien sûr, comme dans toutes les économies. La difficulté d’accéder aux devises étrangères et la bureaucratie (problèmes réglementaires) sont les obstacles les plus importants aujourd’hui. Néanmoins, les entreprises françaises sont également conscientes des réformes mises en oeuvre par le gouvernement tant dans le secteur des subventions que dans la production d’énergie qui ont permis de surmonter les délestages et les interruptions de fourniture qui ont fait du tort aux industriels dans le passé.
— Les dispositions de la loi sur l’investissement n’ont pas encore été révélées. Cela inquiète-t-il les investisseurs ?
— Comme je viens de le mentionner, près de 160 entreprises françaises sont déjà présentes sur le marché égyptien, certaines depuis plusieurs dizaines d’années. C’est la preuve qu’il est déjà possible de réussir en Egypte en l’état actuel des choses. Néanmoins, la clarification de l’environnement légal des affaires, et surtout la disponibilité des devises, restent les principales attentes pour les nouveaux arrivants. Cette clarification va simplifier les procédures d’investissement et alléger le poids de la bureaucratie dans les circuits de décision.
— La France est actuellement le 6e partenaire économique de l’Egypte. Est-ce que cette position risque de changer dans le futur ?
— Je ne suis pas obsédé par les classements, car les calculs sont différents d’un pays à un autre. Ce qui compte c’est la volonté de coopération. Les deux côtés se sont bien mis d’accord sur le fait qu’il faut faire plus au cours de la prochaine période. Et cela passera sans doute par la concrétisation des accords et des partenariats signés au cours de la visite du président Hollande : 38 accords différents, dont des contrats commerciaux d’une valeur de 2 milliards d’euros et 650 millions d’euros d’engagements de l’Agence Française de Développement (AFD). Les relations bilatérales économiques et commerciales vont se renforcer, c’est une certitude.
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