Le politologue Hassan Nafea
Al-Ahram Hebdo : Lors du deuxième anniversaire de la révolution, de nombreux slogans scandant la chute du régime de Morsi se sont fait entendre. Comment les interprétez-vous ?
Hassan Nafea : Depuis l’arrivée du président Morsi au pouvoir, les manifestations sont devenues un phénomène récurrent et régulier. A chaque fois, les slogans et les revendications des manifestants diffèrent, reflétant plus ou moins la réalité qu’ils vivent au quotidien.
Une fois ils parlent de « dignité» et protestent contre les agressions commises par la police ; une autre fois ils évoquent le « départ » de Morsi et expriment, par ce biais, la colère populaire contre les politiques adoptées par son régime. Beaucoup de personnes descendant dans la rue estiment que rien n’a changé depuis Moubarak. Pis encore, que la situation s’aggrave. Pour ma part, je compare la situation actuelle de l’Egypte au tunnel Fairmont. Ce fameux tunnel, situé à Monaco, est réputé difficile pour les conducteurs à cause du changement rapide de la lumière à l’obscurité, puis de nouveau à la lumière. Nous sommes, à mon sens, à l’entrée du tunnel.
— A l’instar de certains manifestants, dressez-vous une similitude entre le régime de Moubarak et celui de Morsi ?
— Pas du tout. Ça serait une comparaison injuste et illégale. Ni la durée ni les conditions du pouvoir ne permettent d’établir une véritable comparaison. Moubarak est devenu chef d’Etat parce qu’il était le viceprésident de Sadate, alors que Morsi
est un président élu. Vu son poste à côté de Sadate, Moubarak avait une bonne expérience en matière de politique et saisissait bien les défis intérieurs et extérieurs qu’affrontait le pays. Il prenait les affaires spontanément et finalement sans rien arranger sur le long terme. En revanche, Morsi a récemment accédé à un haut poste politique. Il lui faut sans doute un peu de temps pour assimiler ce qui se passe autour de lui. Notons aussi que les circonstances pendant lesquelles Moubarak et Morsi ont pris le pouvoir diffèrent du tout au tout. La présidence de Moubarak a débuté pendant une période de stabilité quasi complète. De son côté, Morsi a dû affronter, dès le premier jour, un tas exorbitant de problèmes, qu’il lui faut régler rapidement s’il souhaite lancer des politiques à long terme.
Aujourd’hui, en Egypte, une vague de protestation et un manque de sécurité s’emparent du pays et touchent les investissements et le tourisme. La relation entre la police et les citoyens ne cesse de se détériorer, la corruption se prolonge dans tous les secteurs, la situation économique s’aggrave continuellement …
Tous ces défis semblent entraver le pouvoir de Morsi. Il n’arrive même pas à réaliser ses cinq fameuses promesses des 100 premiers jours, concernant le pain, l’essence, la circulation, la sécurité et la propreté.
— Du point de vue des politiques entreprises, quelles sont les grandes différences entre les deux régimes ?
— Chaque régime suit ses propres grandes lignes, qui diffèrent selon les problèmes auxquels est confronté le pays. Par exemple, au début de l’ère de Moubarak, c’était la question des libertés qui préoccupait. Avec Morsi, c’est la stabilité et la sécurité qui demeurent en tête de liste. Viennent ensuite la liberté et la justice sociale. C’est pour cette raison que Morsi ne peut ni parvenir à un essor économique, ni renforcer sa politique étrangère. Il doit d’abord apaiser les revendications des citoyens.
— L’opposition réclame des élections présidentielles anticipées. Est-ce la preuve de la défaillance du régime de Morsi ?
— Au lendemain de son élection, les promesses électorales de Morsi et ses déclarations étaient très enthousiastes. Malheureusement, son trajet semble après avoir pris une direction différente de ses propos. Ceci est dû, en grande partie, au fait qu’il se fait l’écho de la voix de la confrérie des Frères musulmans. Le résultat, c’est le maintien du premier ministre en dépit de sa mauvaise performance ou encore son approbation du choix des ministres dont la majorité sont des islamistes, sans véritable expérience politique. Cette intransigeance mène le pays vers l’impasse. Aujourd’hui, j’exclus l’idée d’élections anticipées, mais je souhaite que Morsi instaure un gouvernement de coalition. Si Morsi quitte le pouvoir sous la pression populaire, aucun président ne restera en poste plus de quelques mois. A sa première défaillance, la rue réclamera la chute du nouveau régime.
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