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Guerre anti-Daech : Un succès inachevé

Ahmed Eleiba, Mardi, 21 juin 2016

L'Etat islamique souffre des retombées des combats menés contre lui sur plus d’un front, en Iraq, en Syrie et en Libye. Mais il est peu probable que ces combats contribuent à son anéantissement.

Guerre anti-Daech : Un succès inachevé
(Photo : AP)

L’Etat Islamique(EI) célébrera bientôt le deuxième anniversaire de la proclamation d’un califat qui contrôle aujourd’hui les deux tiers des territoires syriens et iraqiens. La coalition menée par les Etats-Unis tente d’étouffer un peu plus le groupe avec, en ligne de mire, les deux « capitales » auto-proclamées de l’EI, Raqa en Syrie et Mossoul en Iraq, ainsi que la ville de Syrte en Libye. Les spécialistes parlent pourtant de l’échec de cette guerre anti-EI et l’attribuent à plusieurs facteurs dont notamment l’absence d’une stratégie unique.

Le 23 septembre 2014, les Etats-Unis avaient mené une cinquantaine de raids aériens sur des positions de Daech en Syrie, dans l’objectif de permettre aux forces « modérées » de l’opposition de les conquérir. « C’était un objectif plutôt tactique, les Etats-Unis ne disposaient pas d’un plan global mais cherchaient simplement à affaiblir cette organisation », explique le politologue Tawfiq Aclimandos. Plus tard, les attentats terroristes à Oklahoma et à Paris ont montré l’importance d’en finir avec cette organisation, mais là aussi, aucune vision n’a été mise au point à cette fin. Selon un rapport du Centre régional des études stratégiques basé au Caire, les différents acteurs dans les conflits en Syrie et en Iraq ont chacun une perception différente vis-à-vis de Daech, alors qu’aucune coordination n’existe, même au sein de ladite « coalition internationale ».

Au niveau régional, certains pays officiellement membres de cette coalition s’en sont pratiquement retirés. C’est le cas notamment de la Jordanie et des Emirats arabes unis. D’autres pays, comme l’Egypte, ont annoncé leur adhésion à la coalition, mais n’ont aucune présence sur le terrain. L’Arabie saoudite a, de son côté, essayé de construire une coalition parallèle avec la Turquie. Au niveau international, la Russie n’a pas réussi à faire rentrer la France dans une coalition concurrente, Paris ayant suspendu ses opérations à la suite des attentats terroristes du 13 novembre dernier.

Parmi les facteurs qui contribuent à l’échec de cette guerre figure également l’absence d’une politique commune. Le cas iraqien est très parlant : les Unités de mobilisation populaire, des milices chiites iraqiennes, ont été souvent accusées de commettre des violations sur les terrains de bataille, notamment à Tikrit et à Fallouja. Les Etats-Unis émettaient beaucoup de réserves sur la coopération avec ces milices, avant de les accepter comme un fait accompli, surtout que l’armée iraqienne n’est pas assez puissante pour mener de tels combats.

Ainsi, de nombreux experts estiment que la guerre contre Daech n’est pas accompagnée d’un effort susceptible de résoudre les problèmes politiques qui jouent en faveur de l’expansion du groupe. « La politique américaine en Iraq est différente de sa politique antiterroriste. Malgré leur puissance militaire, les Américains restent éloignés de la situation sur le terrain en Iraq, et de la doctrine de combat des djihadistes de Daech », estime le politologue iraqien Ihsan Al-Chamri, joint par téléphone depuis Bagdad. « Cela n’empêche pas que la stratégie américaine contre Daech en Iraq ait connu certaines réussites, mais cette stratégie reste en changement permanent. Actuellement, elle est centrée sur les combats à Fallouja menés par l’armée iraqienne », ajoute Al-Chamri.

La situation n’est pas très différente en Syrie, où l’Administration américaine insistait sur le départ de Bachar Al-Assad, toujours en l’absence d’une politique convaincante face à Daech. Contrairement à la Russie, qui a mobilisé son armée contre toute l’opposition syrienne sous le puissant slogan de la guerre antiterroriste. Ainsi, les puissances militaires n’ont pas de commandement commun. Les Etats-Unis étaient supposés diriger cette guerre du fait de leur expérience dans la région lors des deux guerres du Golfe. Mais bien qu’ils aient constitué une ombrelle politique, les Etats-Unis n’ont pas réussi à se faire des alliés forts dans cette guerre. Washington, Londres ou Paris, tout comme une quinzaine d’autres pays de la coalition, disposent d’une présence de très haut niveau sur le terrain, mais ces capacités militaires, sécuritaires et de renseignement restent dispersées et sans coordination suffisante. La Grande-Bretagne, par exemple, a entrepris la liquidation de leaders djihadistes britanniques pour éviter leur retour sur son sol, alors que les Etats-Unis se sont plutôt intéressés à la traque des combattants. En outre, l’utilisation des Kurdes dans cette guerre a suscité l’ire d’Ankara, dont la volonté de créer une zone de non-survol a été ignorée par Washington.

Quelle alternative ?

Un autre facteur complique davantage la situation : l’absence d’alternative. « Dans une ville comme Deir Al-Zor ou dans une province comme Raqa, laquelle des parties pourra combler le vide après la chute de Daech ? », se demande Mohamad Gomaa, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. D’après lui, la division des parties arabes dans les zones contrôlées par Daech empêche l’émergence d’une force déterminante capable d’apporter un changement radical. Beaucoup d’observateurs s’attendaient à ce que les pourparlers de Vienne et de Genève parviennent à désamorcer la crise en Syrie, mais ces espoirs se sont aussitôt évanouis, tout comme ce fut le cas pour les négociations portant sur le Yémen et la Libye. L’absence de solutions politiques dans ces dossiers offre un terreau propice à l’implantation de l’EI. « L’effondrement de l’Etat syrien, avec son armée et son économie, et la révolution de la faim qui pointe à l’horizon, voilà l’environnement idéal pour la montée en puissance de Daech », note l’opposant syrien Bassam Al-Malek. Sans parler des parties qui ont intérêt à faire perdurer les conflits et que l’existence de Daech arrange bien. C’est bien le cas d’Israël et des Etats-Unis qui n’ont rien à craindre d’une Syrie faible. L’Iran également, qui a usé dans ce conflit d’importantes ressources, en profite pour s’imposer en force régionale. Alors que la Russie n’a pas hâte de voir se terminer un conflit qui lui permet de maximiser ses gains. Citons finalement l’absence d’un discours religieux alternatif à celui de Daech comme l’une des causes principales de l’échec de la guerre contre cette organisation. Le discours tranchant de Daech a inspiré un large public, qui reprochait à d’autres organisations islamistes le manque de fermeté. La plupart de ces organisations a hissé la bannière du califat, sauf que Daech a réussi à le concrétiser dans une structure hiérarchique et institutionnelle répartie au niveau d’émirats et de wilayas. Et c’est ainsi que Daech la doctrine survivra à Daech l’organisation. Sur le plan militaire, Daech perd du poids, et les efforts politiques actuels parviendront probablement à mettre fin à la guerre civile en Syrie et en Libye. Daech sera finalement confinée quelque part entre la Syrie et l’Iraq. Le politologue Abdel-Moneim Saïd estime que « ce ne sera pas facile bien entendu. Or, la solution politico-militaire ne risque pas de résoudre le problème fondamental relatif à l’idéologie qui facilite le recrutement de djihadistes prêts à tuer en Californie comme à Paris ».

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