Le secrétaire d'Etat, John Kerry, entouré du ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, et de l'envoyé spécial pour la Syrie, Staffan de Mistura, à Vienne.
(Photo : AP)
Sans aucune surprise, la réunion de Vienne tenue mardi 17 mai n’a pas abouti à grand-chose. Les Etats membres du Groupe International de Soutien à la Syrie (GISS), et à leur tête les Etats-Unis et la Russie, qui se sont réunis dans la capitale autrichienne, n’ont pas réussi à relancer les discussions entre le régime de Damas et les différents groupes d’opposition syrienne. Aucune nouvelle date de reprise de négociations n’a pu être fixée. Selon le communiqué issu de la réunion, «
tout groupe armé jugé coupable de violations de la trêve sera exclu de l’accord de cessation des hostilités et ne pourra plus bénéficier de protection ». En revanche, cet accord de trêve ne concerne pas Daech. Le communiqué invite également les belligérants à autoriser l’acheminement de l’aide humanitaire.
Un communiqué qui risque malheureusement de rester lettre morte vu qu’aucune mesure de pression sur les protagonistes n’est incluse dans le texte. D’ailleurs, la date du 1er août, fixée dans la feuille de route des négociateurs qui était censée marquer le début de la transition politique en Syrie, paraît désormais illusoire. John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, l’a bien fait comprendre en soulignant que cette date ne constituait pas « une date butoir » mais plutôt « un objectif ». Le seul point positif qui semble résulter de cette réunion est le fait de montrer que l’engagement de la communauté internationale envers une résolution politique persiste malgré la détérioration de la situation sur le terrain et l’impasse politique.
« Les membres du GISS se sont réunis pour exprimer une position unanime en faveur du respect de la cessation des hostilités et dans le but d’étendre cette cessation sur tout le territoire syrien », explique Nazih Al-Naggari, chef adjoint du bureau du ministre égyptien des Affaires étrangères et qui a participé à la réunion de Vienne. « Le principal objectif de la réunion était de consolider la cessation des hostilités débutée le 27 février (lors de la conférence de Munich) et qui s’est retrouvée sous pression à cause des nombreuses violations perpétrées par les différents belligérants. Le processus politique risque d’être ralenti entre autres à cause de ces violations, mais aussi à cause de l’accès parfois limité de l’aide humanitaire aux villages et aux populations assiégées ou difficiles d’accès. Autrement dit, le GISS cherche à préserver les importants acquis d’un processus politique qui risque d’être compromis par la détérioration de la situation sur le terrain », ajoute-t-il.
Car sur les terrain, la trêve entrée en vigueur le 27 février a été maintes fois violée. L’acheminement de l’aide humanitaire vers les villes assiégées est souvent entravé. Sans compter les combats qui opposent l’armée syrienne aux groupes radicaux de l’opposition et qui ne cessent de s’intensifier, notamment dans la ville d’Alep où la bataille bat son plein (voir p. 9). Mais il y a plusieurs autres fronts, notamment la Ghouta orientale, une province de Damas considérée comme l’un des plus importants fiefs de la rébellion et où l’armée syrienne vient de récupérer un vaste secteur.
Dans un tel contexte et sans l’arrêt des hostilités, le maintien de pourparlers paraît difficile. Selon Rabaa Allam, spécialiste de la Syrie au Centre de Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, l’armée syrienne, grâce au soutien militaire russe et iranien, a pu récemment accomplir des avancées sur le terrain. « Ces récentes victoires ont fait que le régime de Bachar Al-Assad n’est plus motivé par des concessions politiques, mais préfère accumuler les gains territoriaux », estime-t-elle. Par ailleurs, l’opposition islamiste soutenue par les puissances régionales suit cette même stratégie en tentant également de créer des faits accomplis sur le terrain.
Positions inconciliables
Mais il n’y a pas que les combats qui constituent un obstacle à une résolution du conflit, il y a aussi et surtout les divergences de positions entre les différentes puissances internationales et régionales. Et le sort de Bachar Al-Assad reste au coeur de ces divergences. Le départ du président syrien est considéré ainsi comme une condition sine qua non par l’Arabie saoudite — sur fond de tension avec l’Iran — à toute solution politique. Une position soutenue par la Turquie et le Qatar ainsi que par les puissances occidentales qui refusent toute solution politique qui inclurait Bachar Al-Assad. En revanche, Moscou et l’Iran restent fidèles à leur allié qu’ils ne considèrent pas comme un obstacle à la paix. Un rapprochement des positions est-il possible ? Cela paraît difficile à cause de l’absence de volonté politique. Pour Allam, la Russie profite de la situation bien que son intervention lui soit coûteuse. « Elle a deux bases en Syrie, et une 3e verra bientôt le jour. Depuis octobre dernier jusqu’à la tenue de la conférence de Genève, les opérations militaires ont coûté 500 millions de dollars, mais en contrepartie, la Russie a gagné environ 5 milliards en ventes d’armes. La Syrie est devenue un lieu où les armes sont exhibées et les contrats de ventes ont donc multiplié », explique Rabaa Allam. « Quant au gouvernement américain, il entame une période de transition gouvernementale et a donc décidé de n’exercer aucune pression sur les belligérants », souligne-t-elle.
Des positions qui ne risquent pas de débloquer les négociations. D’autant plus que la radicalisation de l’opposition pose un véritable problème, utilisé par Damas comme prétexte pour refuser de faire des concessions. Ainsi, le fait que Ahrar Al-Cham, groupe islamiste, soit représenté dans les négociations à Genève alors que sur le terrain, il est allié au Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaëda, compromet, selon Damas, la crédibilité et la légitimité de l’opposition qu’elle considère comme des groupes terroristes.
Une opposition disloquée
Et puis, il y a les divergences au sein de l’opposition syrienne qui constitue, elles aussi, un obstacle à la résolution du conflit. Ceci était évident lors des pourparlers de Genève. Riyad, avec l’aide d’Ankara et de Doha, avait constitué le Haut comité des négociations avec 15 membres dont la position est conforme à la politique saoudienne. Or, lors des dernières négociations de Genève, deux groupes ont fini par rejoindre les rangs de l’opposition. Le groupe de Moscou, formé de 7 personnes, avec des positions plus proches du régime, et le groupe du Caire, composé de 8 personnes. Plus modéré que le groupe de Riyad, ce dernier, en revanche, ne s’oppose pas aux négociations avec le président syrien même s’il ne veut pas de lui dans l’avenir. Contrairement au groupe de Riyad, il n’opte pas pour la solution militaire.
D’autant plus que le PYD, parti kurde, qui fut écarté par le groupe de Riyad pour ne pas fâcher ses alliés turcs, fait partie de celui du Caire. Le PYD (voir p. 8), qui contrôle le nord-est de la Syrie, est le seul groupe qui est parvenu à libérer plusieurs villes des mains de Daech. Mais en mars dernier, il a déclaré unilatéralement la mise en place d’un gouvernement fédéral dans la région qu’il contrôle. Une démarche qui a été largement dénoncée par le reste de l’opposition. « Car la feuille de route approuvée par le groupe du Caire appelle à la mise en place d’une décentralisation administrative dans une future Syrie et non pas d’un système fédéral », explique un diplomate égyptien. « Le résultat est que, lors des derniers pourparlers de Genève, le groupe du Caire, qui comprend 8 membres, a été représenté par 7 membres seulement, laissant le huitième siège vacant pour le PYD. Une démarche symbolique, en attendant que le PYD revienne sur sa décision », ajoute le diplomate. Des divergences qui, sans aucun doute, profitent au régime syrien.
Et en attendant qu’un miracle se produise et que toutes ces divergences se dissipent, c’est la solution militaire qui prévaut sur le terrain même si cette dernière s’est avérée inefficace dans la résolution du conflit et ne fait que le compliquer. Car une chose est sûre : la clé du conflit n’est pas en Syrie. Cela revient en grande partie aux puissances régionales et mondiales de mettre fin à leurs guerres par procuration. Car seule une entente entre elles pourrait contribuer à une solution permanente de cette crise. En attendant, c’est le peuple syrien qui paye le prix.
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