Le Front National du Salut (FNS) et le parti salafiste
Al-Nour ont publié, cette semaine, les clauses de leur initiative décidée le 30 janvier à l’issue d’une réunion à laquelle ont participé les dirigeants des deux formations.
Cette initiative commune a été une surprise pour de nombreux observateurs, étant donné que le FNS, qui regroupe des partis laïques, libéraux et de gauche, a depuis sa fondation été une cible d’attaques des partis islamistes qui l’accusaient de vouloir saper leurs tentatives d’asseoir l’Etat sur les principes de la charia.
Le fossé entre les partis politiques du FNS et ceux d’obédience islamiste a été notamment clair pendant tout le processus de la rédaction de la Constitution, un processus que les premiers ont fini par abandonner.
L’initiative adressée au gouvernement propose la formation d’un gouvernement d’union nationale et d’un comité de spécialistes pour l’amendement des articles controversés de la nouvelle Constitution, ainsi que la formation d’une commission d’enquête sur les événements et les affrontements de ces derniers jours. Nommer un nouveau procureur général et garantir la neutralité des institutions étatiques figurent également parmi les demandes.
Les dirigeants du FNS et du parti Al-Nour estiment « qu’aucun parti ne peut à lui seul diriger le pays et que la collaboration de toutes les forces politiques est nécessaire pour sortir de la crise ». Ils ont également souligné leur refus de la violence « sous toutes ses formes » comme du sabotage des biens publics et privés, tout en insistant sur le droit de manifester pacifiquement. L’initiative appelle également à « stopper la guerre des déclarations qui ne profite à personne ».
Deux formations aux antipodes
Il est clair que le rapprochement de ces deux formations aux antipodes de la scène politique a mécontenté plusieurs de leurs membres respectifs. Des informations ont circulé sur la démission de quelque 150 membres d’Al-Nour. Des informations niées par le président de ce parti, Younès Makhioun.
Côté FNS, le porte-parole, Medhat Al-Zahed, ne mâche pas ses mots : « Nous n’avons été préalablement ni informés, ni consultés à propos de cette réunion entre des membres du Front et d’Al-Nour. Visiblement, c’était le résultat d’une initiative personnelle. Nous rejetons la collaboration avec ce parti qui adopte des positions hostiles aux principes de la révolution, qui a participé à la rédaction d’une Constitution défectueuse, qui se soucie peu de la justice sociale et qui taxe ses adversaires d’apostats ».
Essam Chiha, membre du haut comité du parti libéral Al-Wafd, reconnaît que la réunion avec les membres d’Al-Nour a été le fruit d’une rencontre amicale initiée par le chef du Wafd, Al-Sayed Al-Badawi, et a regroupé, outre ce dernier, Mohamad Hassan, une figure du mouvement salafiste, et Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères et président du parti de la Conférence.
« Cette rencontre a montré que des points communs pouvaient nous réunir avec ce parti qui représente le bras politique des mouvements salafistes. Eux aussi, ils rejettent les politiques que les Frères musulmans essayent d’imposer au président Mohamad Morsi et demandent à la confrérie de régulariser son statut, en se transformant en association civile conformément à la loi », dit Chiha.
Il se dit conscient qu’en se réunissant avec le FNS, les salafistes cherchent à envoyer un message aux Frères. « Mais de notre côté, nous pouvons aussi en profiter pour créer un bloc d’opposition solide face aux Frères musulmans et les empêcher de contrôler tous les rouages de l’Etat », reconnaît-il.
Achraf Sabet, cadre du parti Al-Nour, explique à son tour la logique de son parti : « L’initiative, qui n’est pas dirigée contre un parti désigné, traduit notre inquiétude face à une situation dangereuse et notre souci d’arrêter l’effusion de sang égyptien et de préserver l’intérêt public ».
En fait, dès sa création au lendemain de la révolution de janvier 2011, Al-Nour s’est allié aux Frères musulmans. Ces derniers ont plus ou moins marginalisé les salafistes, en les excluant des cercles de prise de décision et de la hiérarchie politique, ainsi qu’en termes d’alliances électorales. Aujourd’hui, les salafistes sont accusés de leur faire un chantage en courtisant les libéraux.
« Malgré nos divergences idéologiques et nos combats politiques qui durent depuis deux ans, ce que l’on cherche à travers notre initiative commune c’est d’étouffer le feu qui risque de brûler tout le monde. Ce à quoi on fait face aujourd’hui est une question patriotique, et nos demandes sont celles de tout le peuple, y compris les révolutionnaires. On souhaite qu’elles soient considérées par le président », se défend Sabet.
Vers un éclatement du FNS ?
Mais le discours conciliant des défenseurs du rapprochement FNS-Al-Nour n’est pas convaincant pour tout le monde. « Nous n’admettrons jamais ce genre d’alliances pour gagner deux sièges supplémentaires au Parlement », affirme Al-Zahed. « Au sein de chacun des partis membres, il y a des demandes de se retirer du FNS à cause de cette initiative. D’autres préfèrent discuter les choses calmement pour éviter un nouvel effritement de l’opposition. Mais au bout du compte, ce qui s’est passé permettra de cibler les membres du FNS pour ne garder que ceux qui croient vraiment à la révolution et aux aspirations de la population », poursuit le porte-parole du FNS.
« Les alliances politiques sont supposées réunir des forces qui partagent plus ou moins la même idéologie, ce qui n’est pas le cas du FNS avec Al-Nour. C’est un rapprochement tactique à des fins électorales à la veille des élections législatives », commente le chercheur Achraf Al-Chérif, de l’Université américaine du Caire.
Reste à savoir si la viabilité de cette alliance ne sera pas aux dépens de celle du FNS lui-même.
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