Al-Ahram Hebdo : Les manifestations quotidiennes, accompagnées de violence, sont depuis quelques semaines devenues l’un des aspects marquants de la vie politique du pays. Où va l’Egypte, selon vous ?
Ezzeddine Choukry : L’intransigeance du régime et la faiblesse de l’opposition sont à la base de cette effervescence qui frappe le pays. Le premier refuse de lancer un dialogue national soumis à des conditions préalables, et la seconde insiste sur le fait de ne pas accepter le moindre dialogue avant que leurs revendications ne soient entendues. Le Front national du salut impose des conditions dont certaines sont difficiles à exécuter, comme le fait de réclamer des élections présidentielles anticipées. Par conséquent, les deux forces se déchirent, et c’est le peuple qui en est la victime. Face à cette crise politique, les jeunes révolutionnaires ne trouvent aucun moyen légitime à travers lequel ils peuvent exprimer leur colère, à part les manifestations. Ils y recourent donc pour protester contre la politique adoptée par le régime du président Morsi, contre l’ingérence illégitime de la confrérie dans les affaires intérieures du pays, contre la crise économique qui frappe le pays, contre la détérioration de leur niveau de vie et finalement contre la transgression des droits de l’homme et la violence commise envers les manifestants. Les jeunes sont le centre du problème. Il faut y remédier avant tout autre problème, même celui de l’économie. Si on n’arrive pas à absorber leur colère, la situation du pays s’effondrera. Le gouvernement vient en fait de reconnaître sa défaillance à gérer les affaires du pays sous prétexte que cette vague de manifestations secoue sa stabilité.
— Récemment, plusieurs initiatives politiques ont été lancées pour apaiser la colère populaire, proposant chacune des solutions pour sortir de cette impasse. Qu’en pensez-vous ?
— Oui, c’est vrai. On a assisté ces derniers jours à maintes initiatives lancées de la part de divers partis politiques et d’Al-Azhar. Elles portent toutes sur les mêmes points, à savoir rejeter la violence et inviter les forces politiques et le régime à un dialogue national. Ce sont de bons efforts déployés par des figures politiques et populaires qui cherchent par tous les moyens à apaiser la colère de la rue égyptienne. Mais, ce ne seront que des initiatives qui resteront lettre morte. La crise a déjà atteint son apogée et les manifestants sont aujourd’hui hors contrôle. Ni l’opposition, ni les différentes tendances politiques ne pourront les maîtriser. Ils s’attendent à une initiative efficace, convaincante et crédible. Celle-ci devrait être lancée par le régime lui-même, surtout que les jeunes voient que leur révolution a été volée et que les Frères musulmans ne font qu’étendre leur domination dans le pays qu’ils gèrent de la même manière que l’ancien régime. Ils excluent l’opposition et la considèrent comme « la nouvelle confrérie interdite ». Ainsi, il ne reste que les manifestations pour s’exprimer.
— Comment justifiez-vous les agressions de la police contre les manifestants ?
— Ce n’est pas nouveau, c’est un problème chronique. Car l’organisme de la police n’a pas changé de politique. Il a seulement changé de ministres. Nous restons dans le même cercle. Le problème n’est pas de dénoncer ces agressions ou pas. Il faut y mettre fin définitivement. Il semble que le dossier sécuritaire est devenu un vrai casse-tête pour le régime.
— A quels scénarios devons-nous nous attendre face à l’escalade des incidents ?
— A un seul scénario, celui de la violence que personne ne peut arrêter, sauf le régime. C’est lui qui tient les commandes. Morsi doit faire des concessions et accepter les revendications de l’opposition, au moins celles qui sont valables, et les mettre à exécution, comme la modification de la Constitution et la loi sur les élections législatives. Il doit aussi accepter l’équilibre politique dans la gestion du pays. Pour sa part, l’opposition ne devrait pas boycotter les dialogues si elle a une vraie intention de vouloir sortir de l’impasse. Sinon, le résultat sera toujours nul et la perte serait supportée par tous. Nous deviendrons comme le Hamas et le Fatah, notre peuple va s’épuiser dans leurs conflits internes. Certains parlent de démission du président ou de chute du régime. La première option est impossible, mais la seconde pourrait avoir lieu avec la montée de la violence et l’intransigeance du régime. A mon avis, le problème ne réside pas en la personne de Morsi, mais dans sa personnalité. Il n’entend qu’une seule voix : celle de la confrérie.
— Qu’en est-il du remaniement gouvernemental ?
— Cela ne sert à rien. C’est une perte de temps, car un nouveau gouvernement ne pourra rien faire de plus dans cet état d’effervescence .
Lien court: