Les amis de Christy placent des bougies sur le sol, où avait coulé le sang de leur martyr.
(Photo: Chérine Abdel-Azim)
Bien que musulman, Mohamad Hussein Qorani se faisait appeler «
Christy ». Samedi 2 février, ce surnom, aux consonances chrétiennes, résonne devant la mosquée d’Al-Nour, dans le quartier de Abbassiya. A l’intérieur, les funérailles viennent de se terminer. A l’extérieur, une dizaine de jeunes pleurent la mort de leur ami de 22 ans, assassiné la veille aux alentours du palais présidentiel. Ils répètent ensemble : «
Christy, oh Christy ! ».
Unis dans le sang
Pour les amis de Christy, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Il fallait organiser une marche commémorative après les funérailles. Face au refus des parents de la victime, qui ne souhaitaient pas lui donner des funérailles « populaires », ils décident de brandir un cercueil vide jusqu’à l’endroit où Christy a perdu la vie. Il est 17h30 quand la marche, gonflée au fil des minutes par de nouveaux participants, démarre. Les habits sont noirs, tout comme les regards. « Je ne connaissais pas Christy. J’ai appris la nouvelle à la télévision, comme beaucoup, alors j’ai décidé de descendre pour rejoindre la marche », indique une femme, à la soixantaine environ, vêtue en noir, le visage mouillé par les larmes. Depuis le début de la marche, beaucoup de manifestants pensent qu’il s’agit de la mère de Mohamad Hussein Qorani. Elle ne rejette qu’à moitié l’idée, après tout, « chaque Egyptien qui verse son sang pour la liberté de ce pays est l’un des nôtres ! », lance-t-elle. Ces sentiments sont partagés par la majorité des mères. L’une d’elles poursuit : « Que Dieu donne de la patience à sa famille. Je sais que ce comportement est mauvais, mais je souhaite que l’un des enfants de Mohamad Morsi subisse le même sort que Christy. Il faut qu’il ressente le mal qu’il a causé à toutes les familles ayant perdu leurs enfants depuis son arrivée au pouvoir ».
Désormais, la marche atteint la place Tahrir. Il a suffi quelques secondes, le temps nécessaire pour expliquer aux manifestants qu’il s’agit d’une marche commémorative, pour que le nombre de participants augmente. Sans hésitation, ils suivent le cercueil vide du martyr. D’un coup, la marche prend l’allure d’une petite manifestation. Les slogans contre Mohamad Morsi et Mohamad Badie, guide spirituel des Frères musulmans, fusent. Les chants, comme le traditionnel « Le peuple veut la chute du régime », recouvrent désormais les cris des mères. La marche reprend la rue d’Al-Khalifa Al-Maamoun, où se trouvent le siège du ministère de la Défense et plusieurs casernes appartenant à l’armée. Au pas de leurs portes, les jeunes s’écrient : « Les soldats ont vendu le pays aux Frères musulmans », ou encore « Si le soldat Gamal Abdel-Nasser était encore en vie, il vous aurait fait porter un voile et des bracelets ». A chaque pas, la marche change d’ambiance et d’acteurs. En haut, quelques citoyens répètent les mêmes slogans avec les manifestants. Les fonctionnaires et les employés quittent leurs bureaux ou leurs magasins. Ils soutiennent les jeunes en levant bien haut le signe « V » de la victoire. Même les conducteurs de voiture, que l’on croyait énervés par la rue bloquée, klaxonnent pour soutenir la marche. Une dizaine de motards, eux, décident de suivre la marche. Ils conduisent lentement leurs motos derrière la longue file de participants.
Témoignages des amis
Il est 19h. La marche arrive devant les murs du club d’Héliopolis, face au palais présidentiel d’Ittihadiya. Elle ne s’arrête pas devant le bâtiment présidentiel, comme certains s’y attendaient, mais se dirige vers une ruelle proche de Costa Café, à 100 m de là. « C’est là que les baltaguis du ministère de l’Intérieur ont tiré sur Christy », crie l’un de ses amis intimes, Rami. Il était à côté de lui lors de sa mort. Il n’a pas pu le sauver. Tout au long de la marche, Rami n’a cessé ni de pleurer, ni de crier fort le nom de son ami « Christy ». Arrivé à l’endroit où Mohamad Hussein Qorani est mort, Rami prend les choses en main. Il commence à distribuer des bougies. Il demande à lire, en une seule voix, le verset coranique d’Al-Fatiha. Tout le monde récite et pleure en même temps, toujours à voix haute. Une fois le verset terminé, ils placent les bougies par terre.
Maintenant, la majorité des participants s’est relevée, sauf les plus proches amis de Christy. « Vous voulez savoir qui est Mohamad Hussein ? », interroge Chadi, un autre ami du défunt. « On l’appelait Christy malgré le fait qu’il soit musulman. Cette appellation, il se l’est donnée suite au massacre de Maspero, où des dizaines de chrétiens ont été assassinés », ajoute-t-il. Chadi perd son calme, se reprend, et poursuit : « Christy aussi est le fondateur de la page Facebook intitulée Ikhwan kazéboune (les Frères menteurs). Il n’est pas mort par hasard, les baltaguis savaient bien sûr qui ils tiraient ! ».
Devant l’entrée « numéro quatre » du palais, la police brille par son absence. Les voix se font plus fortes, les cris plus violents. Soudain, quelques enfants jettent des pierres à l’intérieur du palais. Les révolutionnaires tentent de les en empêcher. Mais il semble que ces enfants connaissent bien leur mission. Ils forcent la porte d’entrée. Ils balancent des cartons en feu. Toujours pas de réaction de la part des policiers, cela semble tellement clair qu’ils aient reçu des ordres de ne pas intervenir.
Les amis de « Christy » quittent les lieux. Toujours en larmes. La vengeance n’est pas prévue pour ce soir .
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