Les puissances occidentales, avec à leur tête les Etats- Unis, la Grande-Bretagne et l’Italie, ont réussi, avec le soutien de pays arabes, notamment le Qatar, à installer le gouvernement libyen d’union nationale de Fayez Al-Sarraj aux confins de la capitale. Ce gouvernement a commencé son travail jeudi, depuis la base navale de Tripoli. Il bénéficie de l’appui de la communauté internationale et d’une protection militaire assurée par des forces locales. Mais le débat continue sur cette démarche, étant donné la légitimité contestée de ce gouvernement.
La détermination de ses alliés à l’étranger laisse à croire que celuici finira par s’imposer malgré les obstacles et les défis. Mais cela ne signifie pas pour autant la fin du chaos dans lequel est plongée la Libye depuis la chute de Muammar Kadhafi en 2011. Les échecs des précédentes phases de transition sont encore vifs. La division entre les deux autorités rivales de l’ouest et de l’est du pays persiste, les installations pétrolières échappent au contrôle de la sécurité, et les djihadistes de Daech continuent à progresser, sans parler des myriades de milices et de groupes armés qui représentent un défi majeur pour le nouveau gouvernement (lire page 5). Lors de sa première intervention, Sarraj s’est engagé à faire de la « réconciliation et du règlement de la crise sécuritaire et économique », sa priorité. Il a affirmé que le gouvernement d’union nationale était soucieux d’arrêter l’effusion de sang et a promis des mesures immédiates pour alléger la souffrance des Libyens et assurer le retour des déplacés.
Ne pouvant venir par les airs, les vols à l’aéroport de Mitiga ayant été suspendus la veille, Fayez Al-Sarraj, également président du Conseil Présidentiel (CP), était arrivé le 30 mars avec six des huit membres du CP à la base navale d’Abu-Sittah, en provenance de Tunisie, à bord d’un navire militaire libyen. Des sources libyennes ont déclaré à l’Hebdo que la protection de cette base navale qui se trouve dans le port de Tripoli a été assurée par des forces italiennes et britanniques, sans exclure une présence militaire américaine. Abdel-Hafiz Ghoga, ancien vice-président du parlement de Tobrouk, refuse pourtant de présenter le Conseil présidentiel comme une autorité imposée par la communauté internationale ou agissant sous sa tutelle, assurant que ce sont des forces libyennes qui se chargent de sa sécurisation. En fait, le chef du Conseil a été accueilli par des hauts gradés de la marine libyenne et des responsables locaux, dont Aref Al-Khoja, ministre de l’Intérieur du gouvernement de Tripoli (Fajr Libya).
Transaction avec l’Occident
Des sources libyennes parlent d’une transaction conclue à travers des médiateurs locaux et régionaux, et dans laquelle sont impliqués des pays occidentaux. En vertu de ce marché, le gouvernement de Tripoli aurait été amené à remettre les clés des institutions de l’Etat, notamment le siège du gouvernement, au Conseil présidentiel. Khalifa Al-Gheweil, chef du gouvernement de salut (non reconnu par la communauté internationale) de Tripoli, est même allé jusqu’à considérer que les membres du Conseil présidentiel étaient de « bons Libyens » qui devraient avoir l’opportunité de réussir. Un discours aux antipodes de ses appels, la veille, aux membres de ce conseil de « se rendre ou revenir sur leurs pas ». D’après une source proche des événements, le Qatar, un pays proche du gouvernement islamiste de Tripoli, aurait joué un rôle dans ce revirement. Le Conseil présidentiel s’est assuré encore d’autres soutiens. Au coeur de Tripoli, la capitale, des centaines de personnes ont manifesté aux cris de : « Le peuple veut le gouvernement d’union ! ». Des milices de la capitale ont aussi fait allégeance à Sarraj, lequel a également reçu le soutien des gardes des principales installations pétrolières. Mais la réussite populaire la plus déterminante dans ce contexte reste ce communiqué où les municipalités de dix villes situées entre Tripoli et la frontière tunisienne, dont Sabratha, Zawiya et Zouara, ont appelé à « soutenir le gouvernement d’union ». Ces multiples soutiens destinés à paver le chemin devant Sarraj et son Conseil présidentiel ne signifient pas forcément le retour imminent à la stabilité en Libye. La remise du pouvoir par le gouvernement de Tripoli, qu’il ait été le résultat de la carotte ou du bâton, n’est pas le dernier mot. Une multitude de milices armées, dont des extrémistes, agissant sous la houlette de Fajr Libya, ne rendraient pas leurs armes volontiers, d’après des sources locales. Quant à la partie Est du pays, elle vit toujours dans un chaos sécuritaire. L’armée nationale du général Khalifa Haftar est minée par des divisions qui ont mis fin à la guerre contre les milices armées, bien avant le cessezle- feu mis en place par l’accord de réconciliation signé le 17 décembre 2015, à Skhirat au Maroc.
Scénario problématique
« D’autres transactions seraient en cours entre le gouvernement de Sarraj et les milices de Fajr Libya pour ramener la stabilité à Tripoli », affirme à l’Hebdo le politicien libyen Faraj Zidane. « Pour ce qui est de l’est du pays, il semble que la tendance actuelle soit d’écarter le général Haftar de la scène, de quoi faire ressortir les divergences de vue entre les parties soutenant Sarraj (les puissances occidentales et le Qatar) et ceux qui soutiennent Haftar (la Russie, l’Egypte et les Emirats) », ajoute Zidane, luimême un proche de Haftar. « Un tel scénario serait problématique. Le gouvernement de Sarraj semblerait ainsi contredire à la fois les principes de l’accord de Skhirat et ceux de la morale patriotique et militaire qui exclut toute présence de milices armées, et insiste sur la construction d’une armée nationale », poursuit le politicien. Et de conclure : « Les agissements du nouveau gouvernement prêtent à croire qu’il s’agirait d’une feuille de route préparée d’avance à laquelle l’accord de Skhirat est simplement venu fournir la couverture politique. Les Etats-Unis et la Grande- Bretagne veulent monter un gouvernement libyen sur mesure, à travers leurs hommes en Libye, mais ceci rendrait encore plus difficile le vote de confiance du parlement de Tobrouk pour le gouvernement d’union nationale et pourrait finir par entériner un Etat parallèle ». Par ailleurs, l’ancien viceprésident du parlement de Tobrouk, Abdel-Hafiz Ghoga, considère que la ratification du nouveau gouvernement par le parlement de Tobrouk est une question de « volonté politique ». « Nous cherchons la réunification du pays. Or, il existe des traîtres qui cherchent sa division. Ceux qui évoquent un complot étranger sont des défaitistes », lance-t-il. Ces propos sur le statut constitutionnel du Conseil présidentiel signifient que le président du gouvernement de Tobrouk, Abdallah Al-Thani, pourrait ne pas céder son pouvoir au gouvernement d’union nationale. Celui-ci est issu d’un accord politique prévoyant un vote du parlement de Tobrouk pour l’intronisation du nouveau gouvernement. Ce vote de confiance n’a pas encore eu lieu, et il semble que l’opposition à la transmission du pouvoir demeure puissante. Et ce, malgré les sanctions imposées par l’Union européenne contre le président de ce parlement, entre autres, responsables pour leur « attitude d’obstruction » vis-à-vis du gouvernement d’union nationale. Mais d’après une source proche du gouvernement d’Al-Thani, la fin de cette dualité du pouvoir viendra de Tripoli, mais cela prendra du temps. D’abord, le Conseil présidentiel prendra les commandes de la Banque Centrale et de la Compagnie nationale du pétrole, ce qui assurera au nouveau gouvernement le contrôle des institutions financières au détriment des gouvernements parallèles. Sur le plan sécuritaire, le Conseil de sécurité vient d’adopter la résolution 2278, laquelle, tout en maintenant l’embargo sur les armes, permet au gouvernement d’union nationale de « présenter des demandes en vue de la fourniture, de la vente ou du transfert d’armes pour lutter contre Daech ». Le pari consisterait donc à dépasser le conflit fratricide, afin de mobiliser tout le monde contre Daech. Un processus à peine en gestation.
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