La Constitution, garant des droits et des libertés, a besoin d’être protégée. C’est ce qu’affirment les instigateurs de deux récentes campagnes populaires qui visent à préserver le texte fondamental : «
L'Institution de protection de la Constitution » et «
Le Forum de la vie constitutionnelle ». Ces groupes de pression ont un seul objectif : relancer la Constitution qui, selon eux, n’est pas appliquée. L’apparition de ces deux associations a ouvert un grand débat sur leur efficacité et si elles vont entrer en conflit avec le parlement, seul habilité selon la Constitution à accomplir ce rôle. C’est au syndicat des Journalistes, le 8 mars dernier, que Amr Moussa, président du comité des 50 qui a rédigé la Constitution de 2014, a annoncé le lancement de l'Institution de protection de la Constitution, avec la participation d’une trentaine de figures politiques et juridiques ainsi que des militants des droits de l’homme dont certains ont participé à la rédaction de la Constitution. «
Cette association attend encore que ses documents soient achevés par le ministère de la Solidarité sociale pour entamer son travail », indique Abdallah Al-Sennawi, membre de l’initiative. Il affirme que celle-ci n’a aucune affiliation politique ou partisane. «
Il s’agit uniquement d’un travail civil, bénévole et autofinancé », dit-il. Et d’ajouter : «
L’idée de cette association est venue en réaction aux appels lancés récemment pour amender la Constitution avant même qu’elle ne soit appliquée. Nous allons faire face à toute tentative d’amendement de la Constitution, et ceci à travers plusieurs mécanismes ». Selon la déclaration fondatrice de l’association, celle-ci va oeuvrer à «
sensibiliser les citoyens aux principes de la Constitution », «
détecter les violations » et «
préparer des propositions de lois visant à transformer la Constitution en lois ». Nour Farahat, juriste et membre de l'institution, souligne la nécessité que «
le peuple défende lui-même sa Constitution ». «
La Constitution à l’époque royale était un don du roi qui l’accordait ou non, selon son gré. Et la situation après 1952 n’était pas meilleure. Toutes les Constitutions mises en place après la Révolution de Juillet ont été suspendues, modifiées ou même abolies sans la moindre considération pour la volonté du peuple », écrit Farahat dans un article paru dans le quotidien
Al-Masry Al-Youm.
Mêmes objectifs
Le Forum de la vie constitutionnelle et la justice pour tous est l’autre initiative de défense de la Constitution. Elle est formée d’une cinquantaine de personnes de différentes idéologies, et entend lancer son travail à la mi-avril prochain. Elle est motivée par les mêmes craintes, et adopte aussi presque les mêmes objectifs et les mêmes mécanismes que l'institution de Amr Moussa. « Notre objectif est de défendre la Constitution qui est l’un des grands acquis de la révolution du 25 janvier. Nous voulons que ses clauses soient traduites en lois avant qu’il ne soit question de l’amender ou non », dit Essam Eslambouly, juriste et membre du forum. Il explique qu’au cours des trois derniers mois, les membres du forum ont convenu de se répartir en 13 comités spécialisés, dont chacun élaborera des propositions de lois en vue de préserver la Constitution. Ces propositions de lois seront présentées au parlement. « Légiférer est du ressort du parlement, mais présenter des propositions ou des projets de loi est le droit de tout citoyen », indique le juriste. En fait, l’article 138 de la Constitution stipule que « tout citoyen peut présenter des propositions écrites au Conseil des députés sur des questions d’intérêt public et peut aussi adresser une plainte que le Conseil est tenu de soumettre aux ministères concernés ». Selon Eslambouly, le but de ces comités est d’élaborer des projets de lois avant la fin de l’actuelle session parlementaire (lire page 4). Il dévoile qu’il existe des tentatives personnelles pour faire fusionner les deux initiatives en une seule entité, étant donné qu’elles ont le même objectif.
Imposer leur tutelle
Le parlement est divisé entre opposants et partisans de l’idée de protéger la Constitution. Pour certains, ces entités visent uniquement à imposer leur tutelle au parlement et se posent comme une alternative à la Cour constitutionnelle. Pour Mohamad Badrawi, chef du bloc parlementaire du parti du Mouvement nationaliste égyptien, rien ne justifie que la question de la Constitution soit soulevée à l’heure actuelle. « Il n’est pas concevable qu’on amende la Constitution qui est encore dans sa première année. Nous n’avons pas le temps de penser à ces questions, car le parlement a un agenda législatif très chargé », dit-il. Par contre, Abdel-Hamid Kamal, député et membre du parti du Rassemblement, ne voit pas les choses sous le même angle. Selon lui, il s’agit d’une initiative positive qui n’est pas en contradiction avec le parlement. « Je pense qu’on avance lentement vers l’application de la Constitution. Il est vrai que celle-ci n’est pas un livre sacré et qu’elle pourrait être modifiée, mais seulement en cas de nécessité, et après le passage d’une longue période d’application », dit Kamal.
Karim Abdel-Razeq, professeur des sciences politiques à l’Université d’Alexandrie, pense que ces initiatives ne servent qu’à détourner l’attention des Egyptiens de questions beaucoup plus importantes. « Sensibiliser la population est une mission positive à condition d’avoir un agenda clair. Mais il faut que cela reste une sensibilisation et non une protection. La protection de la Constitution est la mission du parlement, et il doit la placer en tête de son agenda législatif », conclut-il.
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