Suez insiste de nouveau pour être le pyromane de contestation.
(Photo: Mohamad Abdo)
La violence se poursuit à Suez après la déclaration dimanche soir de l’état d’urgence. Pour remercier le président de son discours, les manifestants brandissaient leurs chaussures devant les téléviseurs des cafés et sur la place Al-Arbeïne. Ils se sont également rassemblés sur la place après minuit, heure d’entrée en vigueur du couvre-feu. Comme pour le reste du pays, les violences ont commencé lors de la commémoration du deuxième anniversaire de la révolution. Ce vendredi, le pays gronde de colère contre les Frères musulmans. Suez, à 110 km à l’est du Caire, insiste de nouveau pour être le pyromane de la contestation. C’est là qu’avait succombé le premier martyr de la révolution en 2011, et c’est là aussi, ce vendredi, que les affrontements impliquant anti et pro-Morsi ainsi que forces de police ont été les plus violents : 8 morts, le vendredi 25 janvier 2013. On compte aussi une centaine de blessés pour cette seule journée.
Comme dans tous les gouvernorats, la population de Suez est descendue dans les rues pour manifester contre un régime islamiste qui, selon eux, ne répond à aucune des revendications de la révolution. A 11h30, les manifestants se rassemblent par dizaines sur la place Al-Arbeïne. Rejoints par des marches, ils remplissent complètement la place dès la fin de la prière. Toutes les tendances et partis politiques d’opposition sont présents. Les familles des martyrs se joignent aux manifestants, portant de larges drapeaux à l’effigie de leurs martyrs sur fond blanc.
Perchés sur un camion sono au milieu de la place, des jeunes lancent des slogans fougueux repris par les manifestants. « A bas le régime du guide ! », « Morsi tu fermes la porte de la liberté, guide de la honte et président menteur », « N’ayez pas peur, dites à Morsi de partir », « Dégage, dégage, Morsi », « Le régime des Frères c’est honte et scandale », « Allah Allah , libère l’Egypte des tyrans ». Ces manifestants veulent la fin du régime islamiste et la chute de Morsi, car, affirment-ils, ni l’un ni l’autre ne s’occupent du peuple égyptien et au contraire, ils aggravent sa pauvreté et multiplient ses angoisses. « Deux ans après, on a l’impression de ne pas avoir fait de révolution ! Les martyrs sont-ils morts juste pour satisfaire la soif de pouvoir des Frères musulmans ? », demande Ahmad, l’un des manifestants. Sara Salah, elle aussi, vient exiger que les figures de l’ancien régime soit jugées, et en particulier le directeur de la Sécurité de Suez pendant la révolution, Adel Refaat. Nombre de femmes font partie des manifestants, y compris en niqab, et bien sûr les mères et soeurs des martyrs font partie du cortège.
Police absente
Les membres des Frères musulmans, eux, ont déserté les rues de la ville, ainsi que le siège de leur Parti Liberté et justice, à proximité de la place Al-Arbeïne. Les forces de police sont également absentes. A 13h30, les manifestants décident de quitter la place, en direction du bâtiment du gouvernorat pour réclamer la démission du gouverneur islamiste. Sur le parcours, ils exhortent les habitants à les rejoindre. C’est au siège du gouvernorat et à celui de la Sécurité de Suez que se trouvent les forces de l’ordre, des cordons de soldats entourant les deux établissements. Le quartier de ces deux bâtiments officiels, silencieux depuis le petit matin, s’enflamme peu après l’arrivée du cortège. De jeunes adolescents commencent à jeter des pierres, et en moins d’un quart d’heure, certains d’entre eux réussissent à franchir le cordon des forces de l’ordre et se ruent sur le bâtiment du gouvernorat pour essayer d’y pénétrer. Les forces de l’ordre répliquent alors par une tempête de gaz lacrymogènes. Personne n’est épargné, un certain nombre de personnes, en particulier des femmes et des homes âgés, s’écroulent sur le sol en suffoquant, tandis que tout le monde s’enfuit pour essayer de se soustraire aux effets du gaz. Les habitants jettent des oignons et du vinaigre aux manifestants pour soulager les symptômes les plus immédiats des gaz. « La ville du Suez veut allumer la colère contre les Frères musulmans pour les faire chuter, comme elle l’a fait pour faire tomber le régime de Moubarak », soupire Ali Guéneidi, surnommé le père des martyrs de Suez. Guéneidi a perdu son fils en 2011. Il ne voit aucun changement ni en termes de pauvreté, ni en termes de souffrance. « Nous avons fait une révolution et perdu nos jeunes, pour offrir notre pays sur un plateau d’argent aux Frères musulmans », s’indigne-t-il. L’attaque lacrymogène des soldats sonne le glas de la guerre : la colère des habitants explose et se durcit à chaque blessé, martyr. Suez plonge pendant des heures dans des affrontements meurtriers. Au total, il y aura 8 morts, un bilan bien pire que celui des premiers jours de la révolution. Profitant du chaos, des voyous et familles de prisonniers attaquent 4 commissariats, libérant 18 personnes. On ne sait pas, jusqu’à présent, de quel genre de prisonniers il s’agit. « Des voyous ont brûlé le commissariat avec des cocktails Molotov. Ils ont aussi volé des voitures. On essaye de les arrêter parce qu’ils attaquent les institutions du gouvernorat », témoigne Hossam Mohamad, un jeune qui habite tout près de l’un des commissariats attaqués. Les autorités publiques de santé de Suez signalent, vers 22h, avoir reçu 8 corps et une centaine des blessés. Les médecins indiquent que certains morts ont été tués par balles. Un garçon de 10 ans a succombé aux gaz lacrymogènes.
Moustapha Al-Marsi, porte-parole des jeunes de Suez, assure que les manifestations continueront parce que la colère contre les Frères musulmans est profonde, et n’a pour l’instant aucune raison de s’éteindre. « Il faut juger le directeur de la Sécurité de Suez et tous les dirigeants de la Sécurité dans le gouvernorat. Le gouvernement de Hicham Qandil doit tomber parce qu’il a échoué. Nous voulons que justice soit faite », dit-il. Al-Marsi appelle toutes les villes et tous les villages d’Egypte à manifester contre le pouvoir islamiste en place.
L’armée s’est déployée vendredi soir à l’entrée sud du canal, et des soldats et blindés légers ont été placés en faction autour des bâtiments sensibles.
Lien court: