Mercredi, 16 octobre 2024
Dossier > Dossier >

Le politologue Moustapha K. Al-Sayed: « L’intervention militaire est une preuve de l’échec du régime »

Propos recueillis par Héba Nasreddine, Lundi, 28 janvier 2013

Selon le politologue Moustapha Kamel Al-Sayed, l’escalade de la violence en Egypte résulte de la politique de sourde-oreille adoptée par le régime de Morsi, trop occupé à protéger son pouvoir.

Moustapha Kamel Al-Sayed
Moustapha Kamel Al-Sayed

Al-Ahram Hebdo : Comment interprétez-vous la mise en vigueur d’un couvre-feu et de l’état d’urgence dans les gouvernorats du Canal ?

Moustapha Kamel Al-Sayed : Il s’agit d’une reconnaissance officielle, de la part du régime de Mohamad Morsi, du chaos qui règne dans les villes de Port-Saïd et de Suez, après les vio­lents heurts survenus ce week-end. A mon sens, cela montre aussi la défaillance de l’organisme sécuritaire, incapable de maîtriser la situation et de contrôler un tant soit peu la crise. Face à la colère populaire qui a atteint un nouveau degré de violence, l’Etat demeure impuissant.

— Pensez-vous que cette colère populaire puisse être apaisée ?

— Aujourd’hui, l’Egypte peut être assimilée à un volcan qui vient d’exploser. Personne ne sait quand il va s’éteindre. Son éruption émane de la colère populaire, qui augmente à mesure des décisions du président, des blessés et des morts. Le peuple égyptien a d’ailleurs baptisé « Vendredi de colère » le jour du deuxième anniversaire de la révolution. Le message adressé au régime est clair : les Egyptiens en ont marre de la politique de la sourde-oreille adop­tée par les Frères musulmans. Le pays est en crise, il faut trouver des solutions, et surtout éviter de refaire les erreurs qui ont conduit à la chute du régime de Moubarak. Je trouve qu’un fossé énorme se creuse entre l’Etat et la popula­tion. En sciences politiques, on parle du passage de l’Etat faible à l’Etat fragile.

— Les violences commises pendant le week-end serviraient-elles donc à briser cet Etat fragile ?

— Avant de répondre, il faut souligner que la révolution a toujours réclamé un caractère paci­fique. Des centaines de milliers de manifestants le respectent à la lettre. Il faut laisser tomber les déclarations officielles qui parlent de voyous « infiltrés » parmi les manifestants pacifiques, commettant des actes de sabotage et des attaques contre les institutions publiques. A mon avis, ce ne sont plus des baltaguis, mais des groupes bien organisés et armés. Leur principal objectif est de déclencher la zizanie au sein des manifestations. Cela décrédi­bilise les manifestants, ça permet de dire qu’ils représentent un dan­ger pour la stabilité du pays. Je refuse catégoriquement de définir cette infiltration comme étant le « troisième parti », toujours non identifié. Il est temps de savoir qui se cache derrière ces actions ! Pour revenir à la violence qui a eu lieu après le verdict du drame de Port-Saïd, elle était prévue ! Personne n’est surpris de tels affronte­ments. Le problème c’est que les autorités n’étaient pas préparées à contrecarrer cette vio­lence. Et voilà, on se retrouve avec une tren­taine de meurtres et des centaines de blessés en une seule journée, à cause de la défaillance des autorités.

— Comment commentez-vous la réaction de l’opposition et du président ?

— Le Front National du Salut (FNS) cherche une issue pour absorber la colère populaire. Il réclame la suspension de la Constitution, la formation d’un gouvernement de salut national et l’organisation d’élections présidentielles pré­cipitées. Dans les cas où il n’obtient pas réponse à ses revendications, le FNS boycottera les prochaines élections parlementaires. Quant au président, il se débrouille à l’instar de son prédécesseur. Au moment où les révolutionnaires réclamaient son départ, Moubarak s’est contenté de réunir le Conseil militaire et de déclarer le couvre-feu. C’est le même scénario qui se répète aujourd’hui. Alors que le pays sombre dans la violence, Morsi se réunit avec le Conseil de la défense nationale et déclare le couvre-feu et l’état d’urgence, dont l’annulation était l’une des revendications essentielles de la révolution. Nous recommençons à la case départ.

— Pensez-vous que l’intervention militaire n’ait pas été nécessaire pour rétablir l’ordre ?

— Si, au contraire ! Face à la défaillance des agents de police à protéger les institutions publiques, seule l’armée était en mesure d’in­tervenir. Même si ce n’était pas de son plein gré. Soyons honnêtes, ce n’est pas un bon point de voir l’armée revenir dans les rues. Car, encore une fois, cette intervention militaire prouve l’échec cuisant du régime à gérer la crise !

— Comment en sommes-nous arrivés là ?

— La première cause de cette crise, c’est l’absence d’un vrai dialogue national. Tout ceci n’aurait pas eu lieu s’il y avait eu une confiance, ou un respect réciproque entre le régime et l’opposition. Mais quelle autre alter­native face à un régime intransigeant ? Le président Mohamad Morsi insiste pour être le président des Frères musulmans seulement, et non pas le président de tous les Egyptiens. Il pense que l’opposition veut seulement faire chuter son régime, s’inscrivant comme partie anti-révolutionnaire. Cette idée doit aujourd’hui être abolie !

— Quelle issue envisagez-vous ?

— A part l’intervention de l’armée, nous n’avons aucun autre choix. Elle devrait inviter les différences tendances politiques à un dialo­gue national basé sur des principes clairs et identifiés. Sinon, la colère et la violence s’em­pareront du pays.

— Qui sont, d’après vous, le gagnant et le perdant à la suite de ces événements ?

— Tous les Egyptiens sont perdants. S’il y a un gagnant, il s’agit d’Israël. Il cherche à affai­blir l’Etat Egyptien, premier défenseur de la cause palestinienne.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique