On les remarque dès le premier coup d’oeil. Masqués, cagoulés, vêtus entièrement en noir, des dizaines de personnes ont suivi le flot constant des manifestants. Leur apparition a été brutale et s’est imposée aux quatre coins du pays.
Au bout de leurs bras, ces manifestants venus d’ailleurs, qui s’auto-appellent Black Block, ont brandi des drapeaux noirs sur lesquels ils ont inscrit « Sang contre sang, balles contre balles » et « Nous sommes l’anarchie pour éviter le désordre ». Leurs slogans contrastaient avec les banderoles des autres manifestants, appelant davantage à « l’action pacifique » qu’à la violence. Malgré leurs revendications différentes, ces activistes se sont placés en garants de la sécurité des manifestants. Ils étaient toujours au premier rang dans les affrontements face aux forces de l’ordre.
L’identité de ces jeunes « Black Block » reste encore inconnue. On ne connaît ni leur identité, ni leur nombre. Il existe seulement une page Facebook, créée à la mi-janvier, qui a récolté pas moins de 20 000 « J’aime » en une journée. La raison de ce manque d’information est très simple : les « Black Block » ne sont ni mouvement, ni organisation. Il s’agit plutôt d’une « tactique », d’une manière de manifester qui respecte plusieurs règles.
Tout d’abord, les « Black Block » n’ont ni chef, ni membres, chacun manifestant selon sa propre volonté. Ils agissent dans une sorte d’anarchie organisée. A l’abri derrière leurs masques et leur anonymat, ils mènent des actions directes, en solo ou en groupe. Leurs actions préférées visent en grande majorité tous les symboles matériels du capitalisme ou les agents des forces de l’ordre. Les masques qu’ils portent empêchent les policiers de les cibler et d’arrêter un individu en particulier.
Les origines des Black Block remontent en 1980, à Berlin-Ouest. A cette date, les autorités de la ville décident de mettre fin aux occupations d’universités et aux squats. En réaction, des jeunes, bien décidés à protéger leur logement éphémère, s’habillent en noir et descendent affronter, en face-à-face, les forces de l’ordre venus les expulser.
Le terme « Black Block » réapparaîtra à plusieurs reprises avec, à chaque fois, une nouvelle cause à défendre. En 1991, des personnes vêtues de noir protestent violemment contre la guerre en Iraq. En 1988, des cagoules sombres profitent de l’intérêt médiatique d’une conférence de l’OMC pour casser des succursales de banques et des magasins tels que Gap, Levi’s ou McDonald’s.
Révolutionnaires ou casseurs ?
Face à ce passé souvent ancré dans la violence, les manifestants égyptiens ont douté des réelles intentions des hommes en noir. Certains ont pris leur distance dès le premier jour, les accusant de porter atteinte au caractère pacifique de leur combat. Pour preuve, une série d’actes de violence ont été revendiqués par les « BB ».
A Charqiya, les Black Block ont encerclé la maison du président avant d’être dispersés par les forces de l’ordre. Devant le palais présidentiel, à Al-Ittihadiya, ils ont devancé les manifestants pour enlever les barbelés et ouvrir la route. A Suez, c’est le commissariat qui a été visé. A chaque fois, ce sont les mêmes témoignages. Des hommes habillés en noir, visage caché, attaquent les bâtiments officiels. Du prime abord, on dirait que leur principale cible est Mohamad Morsi. Pour faire face à ces attaques imprévisibles, le comité de la sécurité nationale de la Chambre basse a organisé une réunion d’urgence. Il s’agissait pour eux de comprendre le danger que représente les Black Block pour mieux les combattre.
Malgré leur manque de hiérarchie, les Black Block ont tout de même diffusé un communiqué sur le Net. Il est clairement écrit qu’ils ne visent pas « les institutions de l’Etat, mais celles des Frères musulmans ». Ils menacent ces derniers « d’une escalade douloureuse » si les milices de la confrérie n’arrêtent pas le « terrorisme systématique » contre le peuple égyptien.
Ils ajoutent que ces attaques ont aussi constitué « un message pour montrer l’échec de la gouvernance ». Pour autant, les « black block » se déclarent sans affiliation politique et sans appartenance quelconque à aucun groupe. Les Black Block ne sont d’ailleurs pas les seuls à prodiguer la violence au sein des manifestations. « Egales » ou « Faces Noires » ont aussi fait leur apparition, d’abord sur la toile, puis dans la rue égyptienne. Selon plusieurs spécialistes sécuritaires, la présence de ces groupes en Egypte est un réel danger car, apparaissant masqués, ils donnent la chance à des intrus de s’y infiltrer pour détruire le pays sous le nom de ces Black Block. La présence de cette tendance en Egypte suscite bien des craintes. S’agit-il réellement de la première apparition des Black Block en Egypte ? Ou ces derniers ont-ils déjà joué un rôle dans les événements troublants des deux dernières années ? S’agirait-il d’un début de l’ère de milices ?
Pour la sociologue Azza Korayem, « l’émergence de ce groupe est un indice de l’état de l’instabilité par laquelle passe le pays, qui secrète des phénomènes contradictoires et conflictuels. Il est difficile de nommer ceux qui recourent à la violence et soulèvent le slogan du chaos des révolutionnaires. L’action du Black Block est contre-productive pour la mise en place d’une alternative politique ».
En réponse aux actes des Black Block, « la brigade islamiste » a diffusé une vidéo dans laquelle elle menace de mort les anarchistes visant la chute du régime.
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