Qui ne connaît pas les slogans de la révolution du 25 janvier 2011 ? Ces mots reflétaient les principales revendications des révolutionnaires s’indignant contre la corruption, le chômage, la hausse des prix, les conditions de vie déplorables et les abus des forces policières : « Pain, liberté et justice sociale », clamaientils. Les ont-ils obtenus ?
Aujourd’hui, deux ans après la révolution, une atmosphère de pessimisme règne chez les révolutionnaires toujours en quête de stabilité, de démocratie et de prospérité économique. Leurs revendications sont loin d’être satisfaites en partie en raison de la crise économique qui frappe le pays depuis la révolution. Les indicateurs prouvent la gravité de la situation. Selon un communiqué de la Banque Centrale d’Egypte (BCE), la livre égyptienne a atteint son plus bas niveau depuis 8 ans. L’inflation est passée de 4,2 % en novembre à 4,4 % en décembre dernier. Les réserves en devises, qui servent à soutenir la monnaie nationale et à assurer les importations vitales, sont passées de 38 milliards de dollars à 15 milliards en deux ans.
Selon les politologues, le régime de Morsi n’est pas le seul à devoir assumer la responsabilité de cette crise. « Tous les gouvernements nommés après la révolution sont impliqués. Les conflits politiques étaient en tête de leurs priorités, laissant parallèlement s’effondrer l’économie du pays », explique le politologue Moustapha Kamel Al-Sayed. Selon lui, le plus grave est que le nouveau régime n’a pas saisi la leçon et continue sur la même voie. « Le gouvernement de Qandil, formé d’un seul économiste, le ministre de la Planification, ne possède pas de politique économique claire. Ceci a mené à une stagnation économique », estime-t-il.
Des aides, mais pas de reprise
L’Egypte a déjà reçu 2,5 milliards de dollars du Qatar (un don de 500 millions et le reste en prêt), 450 millions de l’Union européenne et 2 milliards de la Turquie ces derniers mois. Des aides qui ne représentent qu’un léger soulagement face à la crise qui persiste avec une dette extérieure qui s’élève à 34,4 milliards de dollars. Le gouvernement a, par ailleurs, sollicité un prêt de 4,8 milliards de dollars auprès du Fonds Monétaire International (FMI), afin de combler ses déficits. Un prêt qui ne ferait qu’aggraver la situation en raison des conditions exigées par le FMI : hausse des impôts et levée de certaines subventions.
Déjà, en raison de l’instabilité politique, le gouvernement a dû suspendre en décembre dernier des hausses de taxes sur de nombreuses marchandises et biens de base. « Ces décisions reflètent l’absence d’une stratégie économique claire et sont la preuve d’une mauvaise gestion du gouvernement », assure Al-Sayed, qui dénonce les hausses de prix sur l’essence ou les légumes et l’inertie du gouvernement à résoudre ces problèmes. Le gouvernement, dans une tentative de masquer son incapacité à prendre des mesures efficaces, continue de rassurer les citoyens, notamment les plus défavorisés : des législations socioéconomiques devraient être votées prochainement pour concrétiser certaines revendications sociales. Elles concernent le salaire minimum et maximum, les assurances sociales et les retraites. Ces projets de lois, toujours à l’étude, suscitent pourtant d’importants débats. Les révolutionnaires espèrent qu’ils iront dans le sens de plus de justice sociale.
Nouveau régime, mêmes méthodes
Sous Moubarak, l’Egypte ne comptait qu’une vingtaine de partis politiques, tous soumis à de nombreuses restrictions. Après la révolution, le pays connaît la création d’une quarantaine de partis politiques. Pour Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, « le nouveau régime adopte la même politique que celui qui l’a précédé, en laissant faire ses partisans, lorsque ceux-ci reprochent à l’opposition athéisme et trahison ». Même avis chez le mouvement des jeunes du 6 Avril qui, dans un communiqué, affirment que « Morsi et les Frères musulmans ne se préoccupent pas de restructurer le pays, ils s’intéressent plutôt à dominer le pays et à exclure toute opposition, aidés par leurs partisans ». Un fait avéré avec le rassemblement des manifestants islamistes devant la Haute Cour constitutionnelle qui cherchait à empêcher les juges de se prononcer sur la validité du Conseil consultatif (Chambre haute du Parlement) et de l’assemblée constituante, ou encore devant la Cité des médias sous prétexte de vouloir la « purifier ».
« Le régime ferme les yeux comme si rien ne se passait, signe de son consentement », poursuit Seada, qui énumère le nombre de procès pour diffamation intentés contre des journalistes opposés au président, la fermeture de 2 chaînes satellites et l’incendie du siège du parti néo-Wafd et de son journal.
Appels à la désobéissance civile
Par ailleurs, les grèves et les manifestations n’ont jamais été aussi nombreuses. Elles touchent toutes les professions, des simples employés aux magistrats, et exigent le plus souvent des augmentations de salaires et l’embauche définitive des emplois précaires. On assiste en outre à des blocages de rues et de voies ferrées, à des appels à la désobéissance civile, à des occupations d’institutions publiques : des actes qui étaient strictement interdits sous le régime de Moubarak où l’état d’urgence régnait depuis une trentaine d’années. « Aujourd’hui, les citoyens ont recours à ces méthodes pour forcer le régime à faire marche arrière, à obtenir une partie de leurs revendications et à défendre celles de la révolution pour lesquelles des centaines de personnes sont mortes », souligne Seada, tout en dénonçant le projet de loi sur le droit à manifester qui va imposer « des mesures strictes visant à interdire dorénavant les manifestations nuisant à l’ordre public ».
Saisissant bien que leur mission est loin d’être achevée, les révolutionnaires ont rendez- vous le 25 janvier sur la place Tahrir et les mêmes slogans vont retentir : « Pain, liberté, justice sociale » ... dans l’attente d’une réponse concrète.
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