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Le retour du parlement

Hana Afifi, Mardi, 08 décembre 2015

Avec les élections législatives qui s'achèvent, la troisième et dernière étape de la feuille de route engagée en 2013 est franchie. Trois principaux dossiers attendent d'emblée le nouveau Conseil des députés.

Le retour du parlement
(Photo : Amir Abdel-Zaher)

L’Egypte possède enfin son parlement. Près de deux ans et demi après la chute de l’ancien président Mohamad Morsi, la troisième et dernière étape de la feuille de route, initiée en juillet 2013, vient d’être franchie avec l’achèvement des élections législatives. Composé de 596 membres, dont 28 doivent encore être nommés par le président et 13 dont l’élection a été réorganisée par la justice, le nouveau Conseil des députés doit se réunir à la fin du mois. Deux constats se posent d’emblée. D’abord, l’absence de toute opposition au sein de ce parlement. L’hémicycle est en effet dominé par les partisans du président Abdel-Fattah Al-Sissi. « Notre but est de former un bloc soutenant le président », avait déclaré Sameh Seiffel-Yazal, coordinateur de Fi Hob Misr, coalition de 17 partis et formations politiques, qui a remporté 120 sièges aux législatives. Un fait qui met déjà en doute la crédibilité de ce parlement. D’autant plus que le taux de participation aux législatives était assez faible : 28,3 % comparé à 47,5 % aux élections présidentielles et 38,6 % au référendum constitutionnel (NDLR : les législatives de 2011-2012 avaient réalisé un taux de participation de plus de 54 %). C’est donc un parlement monochrome sans véritable orientation politique qui se met en place. « Aucune force au sein de ce parlement n’a une orientation politique claire, excepté peut-être Al-Nour », fait remarquer Mohamad Raouf Ghoneim, directeur du comité exécutif de la liste électorale Bloc égyptien lors des élections de 2011-2012, qui ne s’est pas présenté aux élections de 2015.

Le deuxième constat est qu’en dépit de cette monochromie, le parlement est fragmenté. Outre le grand nombre de députés indépendants, il est constitué d’une multitude de blocs qui ne possèdent pas de programmes communs, même si en grande majorité ils soutiennent le président. Cette situation complique la formation de coalitions. « Les députés sont unis autour d’un enjeu et non pas autour d’idéologies politiques », affirme Yousri Al-Azabawi, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.

« Nous approuverons ces lois »

Les défis qui se posent à ce nouveau Conseil des députés s’annoncent d'ores et déjà grands, avec un agenda très chargé. 17 000 pages de textes de lois doivent en effet être revues et approuvées dans les 15 premiers jours de la législature conformément à l’article 156 de la Constitution. En effet, plus de 400 lois ont été promulguées depuis 2013 par l’ancien président par intérim, Adly Mansour, et l’actuel chef de l’Etat, Abdel-Fattah Al-Sissi. « Nous approuverons ces lois vu l’impossibilité de les discuter toutes en 15 jours. Il faut consolider la légitimité de la période passée et des institutions de l’Etat », déclare Mahmoud Al-Alaïli, membre du haut comité du parti des Egyptiens libres, grand vainqueur de ces législatives, avec 65 sièges.

La grande majorité de ces lois n’est pas contestée, et le débat tourne plutôt autour de 3 lois, en particulier, qui ont suscité d’énormes polémiques depuis leur promulgation. « Après l’examen des lois promulguées à partir de 2014, les parlementaires travailleront sur les lois controversées comme celles sur les manifestations, sur le terrorisme et sur la fonction publique », dit Yousri Al-Azabawi. La loi sur les manifestations a été vivement critiquée par les défenseurs des droits de l’homme en Egypte et à l’étranger. Plusieurs activistes révolutionnaires ont été emprisonnés en vertu de cette loi. La loi sur la lutte contre le terrorisme a aussi été critiquée car jugée, par certains, comme restrictive pour les libertés, notamment la liberté de la presse et la liberté d’expression. Quant à la loi sur la fonction publique, elle a suscité l’agitation des fonctionnaires, car elle réduit leurs prérogatives et menace leur statut. « Je ne pense pas que l’atmosphère soit favorable pour relancer le débat sur la loi des manifestations et celle de la fonction publique. Nous devons travailler, en priorité, sur les questions de sécurité nationale afin de soutenir l’Etat dans sa guerre contre le terrorisme », affirme Hossam Al-Khouli, vice-président du Néo-Wafd qui a remporté 32 sièges au parlement.

En plus de ces 400 lois qui seront en principe passées en revue dans les 15 premiers jours de la législature, les parlementaires doivent examiner environ 72 lois complémentaires à la Constitution. D’autres lois doivent être formulées en vertu de la Constitution au cours de cette session parlementaire, notamment une loi qui définit l’autorité qui organise la presse (article 212), une autre pour les médias (article 213), la loi qui régit la Commission nationale des élections (article 208), ou encore la loi qui régularise la construction des églises (article 235).

Questions urgentes

Mais outre les lois, deux autres dossiers importants attendent le nouveau Conseil des députés. Le premier est l’approbation d’un nouveau gouvernement. En effet, en vertu de la Constitution, le président de la République choisit un premier ministre. Celui-ci soumet son programme au parlement. Et il appartient à ce dernier de l’approuver ou non. Ce sera l’une des questions urgentes que le Parlement devra régler. Rien ne dit cependant que le président de la République nommera un nouveau chef de cabinet. Et il est possible qu’il maintienne Chérif Ismaïl à son poste. Celui-ci a remplacé Ibrahim Mahlab, devenu conseiller du président. Un remaniement du cabinet ministériel ne semble pas en effet être à l’ordre du jour. « Nous n’avons pas l’intention de changer de gouvernement et je ne pense pas qu’il y ait un parti qui veuille le faire en ce moment. De toute façon, c’est le président qui le nommera, et il n’y a aucun bloc qui ait acquis un nombre suffisant de parlementaires pour voter une mention de censure et former un nouveau gouvernement » dit Al-Alaïli.

L’autre dossier est l’éventuel amendement de la Constitution. Alors que la Constitution égyptienne est en vigueur depuis moins de deux ans, il est déjà question de la changer. Le président Al-Sissi avait expliqué que cette Constitution avait été rédigée avec « de bonnes intentions ». Beaucoup de voix, dont celles de députés nouvellement élus, ont appelé à amender certains articles de la Constitution pour élargir les pouvoirs du président de la République.

Sameh Seiffel-Yazal avait annoncé l’intention de son bloc d’amender la C onstitution. Mais Yousri Al-Azabawi pense que ce n’était qu’une manoeuvre électorale. « Ces déclarations étaient plus électoralistes qu’autre chose, car ces propositions ne sont pas applicables. Les candidats voulaient attirer les voix des partisans d’Al-Sissi », dit-il.

Le député d’Al-Wafd, Hossam Al-Khouli, ne pense pas que l’amendement de la Constitution soit une priorité pour le moment. « C’est une Constitution approuvée par plus de 90 % des voix et qui n’a pas encore été pleinement appliquée. La nécessité de l’amender pourrait se manifester plus tard si on trouve des problèmes. Mais pour le moment, on n’a pas le luxe de s’attarder dessus », dit-il.

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