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Rangs serrés contre Daech

Heba Zaghloul, Mardi, 24 novembre 2015

Considéré comme un véritable tournant diplomatique, le rapprochement entre la Russie et la France demeure une alliance de circonstance qui, au mieux, pourrait affaiblir Daech. Seule une résolution politique du conflit syrien prenant en compte l’ensemble des acteurs, et donc Bachar Al-Assad, pourrait s'avérer efficace pour combattre la puissance du groupe Etat islamique.

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(Photo : AP)

Après les attaques de Paris et l’attentat contre un avion russe en Egypte, place à l’unité et à la coopération. Français et Russes ont décidé de mettre de côté leurs divergences pour s’attaquer à un ennemi commun : Daech, le groupe terroriste à l’origine de ces attaques. Le terrorisme a désormais un nouveau visage, plus sanglant, plus meurtrier.

Les ripostes françaises et russes ont voulu être à la hauteur de leur ennemi. Ainsi, la France, 48 heures après l’attentat, a massivement bombardé Raqa, fief de Daech en Syrie. Cette opération militaire s’est faite en coordination avec la Russie qui, pour sa part, avait promis « de traquer et de punir » les auteurs de l’attentat et a donné l’ordre à sa marine de coopérer avec la flotte française. Le président français avait appelé la semaine dernière à former une « grande et unique coalition », une sorte d’union contre le mal.

La rencontre entre Vladimir Poutine, François Hollande et Barack Obama, en marge du sommet du G20 tenu la semaine dernière à Antalya en Turquie, témoigne de ce rapprochement. Mardi 24, le président français s’est rendu à Washington avant d’être deux jours plus tard à Moscou, toujours pour renforcer cette alliance. Le tout avec la bénédiction du Conseil de sécurité des Nations-Unies qui, il y a quelques jours, a donné le feu vert pour des « actions » contre Daech.

Il s’agit là d’un revirement diplomatique spectaculaire. Car, avant les attaques terroristes, les relations entre Paris et Moscou n’étaient pas au mieux, principalement en raison de la crise en Ukraine. Paris n’avait d’ailleurs pas hésité à annuler sa vente des Mistral à la Russie. Les récentes attaques de Daech ont donc changé la donne.

Alliance de circonstance

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La menace terroriste était au centre des discussions entre Obama et Poutine lors du G20 (Photo : AP)

La question qui se pose est de savoir si ce rapprochement russo-français marque une nouvelle page dans les relations entre les deux pays et, par conséquent, une évolution dans la guerre contre le terrorisme ou s'il ne s’agit que d’une alliance de circonstance.

Cette alliance est une première depuis la Deuxième Guerre mondiale quand l’Union soviétique faisait partie des Alliés. Aujourd’hui, c’est contre le terrorisme, l’ennemi numéro 1, Daech, que ces pays rejoignent leurs forces. Mais outre la dimension symbolique de ce nouveau rapprochement, il y a une raison logistique.

Pour Hicham Mourad, spécialiste du Moyen-Orient et professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, cette alliance est avant tout nécessaire car « l’espace aérien syrien est limité et donc les risques d’accident sont élevés. Toute erreur est dangereuse et peut mener à une escalade. Et c’est pour éviter cette probabilité qu’une coordination est indispensable », explique-t-il. Mais selon lui, il ne s’agit là que « d’une alliance ponctuelle qui n’ira pas au-delà du combat contre Daech ».

Car les divergences entre Français et Russes sont importantes. Le rôle que Bachar Al-Assad devrait jouer dans un éventuel règlement politique reste le principal point de discorde. Pour Moscou et Téhéran, la présence du régime syrien, leur allié de longue date, est incontournable dans une transition politique. Pour la France, comme pour le reste des pays occidentaux, les pays du Golfe et la Turquie, le départ du président syrien est nécessaire pour parvenir à une résolution du conflit. Il y a aussi un enchevêtrement d’intérêts qui se reflète dans la politique de chaque pays.

La Russie ne se contente pas de frapper Daech, mais cible également d’autres groupes d’opposition syrienne soutenus par la coalition occidentale et ses alliés. Elle cherche sans se cacher à soutenir le régime d'Assad. Il s’agirait donc pour la Russie d’étendre le territoire sous contrôle de Damas, et par la même, sa zone d’influence.

Selon Walid Kazziha, spécialiste syrien du Moyen-Orient et professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, l’intérêt de la France est tout autre. « La France voudrait vendre ses armes. Son intervention en Syrie est là pour plaire aux pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite ».

Selon lui, les attaques de Paris ont permis au président français de justifier cette intervention vis-à-vis de l’opinion publique, qui ne la soutenait pas. « Combattre Daech est un facteur secondaire. Si ces pays étaient sérieux et voulaient véritablement éliminer Daech, ils auraient envoyé des troupes au sol pour en finir en peu de temps. Mais personne ne veut le faire. Tous aimeraient que les Etats-Unis mènent cette guerre, mais les Etats-Unis refusent », dit-il.

Hicham Mourad ne partage pas cette opinion. La France, selon lui, est déjà en négociation pour la vente d’armes dans les pays du Golfe et n’a donc pas besoin d’intervenir en Syrie pour les vendre. Il est d’accord cependant sur la nécessité d’une offensive terrestre : « Les frappes aériennes ne seront pas suffisantes pour combattre Daech. Elles peuvent durer des années, mais ce n’est pas cela qui fera partir Daech ».

Bilan mitigé des frappes aériennes

Si les frappes aériennes ne sont pas efficaces, pourquoi les intensifier ? Pour plusieurs raisons, toujours selon Hicham Mourad. Les Français, tout comme les Russes, avaient besoin de marquer le coup après les attaques à leur encontre, surtout vis-à-vis de l’opinion publique qui s’attendait à une très forte riposte de la part de son gouvernement.

Pour les Russes, il ne faut pas oublier que « près de 2 000 Tchétchènes ou Russes com­battent dans les rangs de Daech, et Moscou craint leur retour en Russie. Sans compter le fait que si le régime syrien devait tomber, ce serait considéré comme une défaite pour Moscou qui ne veut pas perdre une nouvelle zone d’influence au Moyen-Orient, après la Libye ».

Les frappes aériennes ne suffissent peut-être pas à éliminer Daech, mais elles contri­buent à son affaiblissement. Bombarder des sites pétroliers contrôlés par ce groupe ter­roriste, et qui lui servent de moyen de finan­cement, ne peut que le mettre en difficulté. De même, mener des frappes aide égale­ment les forces locales à combattre Daech. Cela serait en quelque sorte l’alternative à une offensive terrestre que les acteurs inter­nationaux et régionaux ne comptent pas mener.

L’expérience fut un succès avec les Kurdes qui, grâce au soutien des frappes aériennes de la coalition et à des livraisons d’armes, avaient réussi à reprendre des ter­ritoires contrôlés par Daech. Mais le pro­blème est que la majorité de l’opposition syrienne est islamiste et a des intérêts diver­gents. Ce qui ne facilite pas la tâche.

Si le but est de combattre le terrorisme, comment alors éviter de nouvelles attaques sur le territoire français ou ailleurs ? Cesser les frappes contre Daech serait la solution, selon les deux spécialistes du Moyen-Orient, et ce, pour éviter les représailles. « Sinon, la France risquerait d’être prise dans un engrenage de violence, dans un cercle vicieux », estime Walid Kazziha. En revanche, il vaut mieux « essayer de com­prendre les raisons et de chercher les res­ponsables de la radicalisation et du recrute­ment de certains musulmans en France », estime Hicham Mourad.

L’option politique

La solution ultime demeure une résolu­tion politique du conflit syrien. Après tout, Daech est né dans le chaos qui régnait suite à l’invasion américaine de l’Iraq et ne peut évoluer que dans un contexte anar­chique sans loi ni autorité. Mettre fin à une telle situation en Syrie pourrait s’avérer être le meilleur moyen de combattre le terrorisme. Cette résolution devrait impé­rativement passer par une entente entre les différents acteurs régionaux, notamment l’Arabie saoudite et l’Iran qui, en soute­nant différents groupes en Syrie, mènent une sorte de guerre par procuration, tou­jours dans le contexte d’une rivalité sun­nite-chiite.

Les pourparlers tenus à Vienne le 30 octobre et le 14 novembre, et qui ont ras­semblé les différents acteurs internatio­naux et régionaux, constituent un pas en avant vers une solution politique dans la mesure où l’Iran s’est retrouvé autour de la même table que l’Arabie saoudite et la Turquie qui refusaient jusque-là sa pré­sence. Il y a eu un accord sur les grandes lignes : la nécessité de préserver l’unité de la Syrie et ses structures institutionnelle, même si la question du rôle du président syrien n’a pas été résolue.

Qu’est-ce qui a permis ce déblocage à Vienne ?

D’abord, il y a eu une prise de conscience, après les attentats, de l’urgence d’une solu­tion politique vu l’ampleur sans précédent des attaques sur le territoire français. D’autant plus que le flux de migrants syriens pose de plus en plus problème. Mais il y a aussi une certaine « fatigue » des acteurs régionaux à cause du coût de plus en plus élevé de cette guerre. « Aucune partie ne domine le terrain et aucune ne peut gagner : il y a donc une impasse. Avec le temps, cette impasse devient coûteuse. Certains pays de la région commencent à s’épuiser. C’est le cas de la Turquie, mais aussi des pays du Golfe, surtout avec la chute du prix du pétrole », ajoute Walid Kazziha.

La question que ces pays se posent est de savoir si cela vaut la peine de continuer de soutenir leurs alliés sur le terrain, alliés qui ne gagnent pas, mais qui continuent à demander toujours plus. Et c’est principa­lement cet épuisement qui pourrait faire évoluer les pourparlers et qui pourrait don­ner, dans le futur, un espoir au processus de Vienne. Cela arrivera dès lors que les différents acteurs finiront par comprendre qu’ils ne peuvent plus gagner. « Il faudra à ce moment-là trouver une issue, une politique de sortie, que ce soit en faveur d’une Syrie unifiée, divisée ou même d’une fédération », poursuit Kazziha.

Et qu’adviendra-t-il de Daech à ce moment-là ? Tout dépendra de l’avenir de la Syrie. En cas d’une division, selon lui, les forces régionales et internationales « pour­raient même accepter que Daech fasse partie d’une enclave sunnite du territoire syrien ou iraqien ».

Dans tous les cas, il est certain que la guerre contre le terrorisme risque d’être longue et périlleuse. Daech n’est plus une menace pour la Syrie et le Moyen-Orient seulement, mais est devenu, en quelques mois, un danger imminent pour le monde entier.

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