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Islam politique: A l’épreuve des faits

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 08 janvier 2013

Deux ans après les révolutions du Printemps arabe, la colère populaire ne s’est pas éteinte. Après s’être emparés du pouvoir, les islamistes ont certes commis de nombreuses erreurs, mais pour certains observateurs, la barre peut encore être redressée.

A lepreuve
Photo: AP

« Printemps arabe » et d’autres d’« hiver islamique». Peu importe. Ce qui est certain, c’est que l’un des résultats les plus notables des révolutions arabes est l’arrivée au pouvoir des islamistes, pour remplacer les régimes autocratiques. Ainsi, la controverse sur les mouvements islamiques resurgit sur la scène, non seulement en ce qui concerne leur politique à venir mais, surtout, à propos de la place de l’islam politique dans ces pays.

Deux ans ont passé depuis le déclenchement des révolutions arabes, sans pour autant pouvoir parler de fin de période transitoire. Une question s’impose : peut-on parler de succès ou même d’échec de cet « islam politique » actuellement au pouvoir ? En s’imposant en Egypte, l’islam politique a gagné, tout comme cela a été le cas en Tunisie. Beaucoup espéraient, dès le départ, y voir un islamisme modéré à la turque (voir p. 5) et surtout s’éloigner des modèles rigides comme celui de l’Iran et du Soudan.

Seif Abdel-Fattah, professeur des sciences politiques à l’Université du Caire, explique que le problème ne réside pas dans la victoire des islamistes en Egypte et en Tunisie ou même dans le succès des libéraux en Libye, mais le plus important est le phénomène de la percée des islamistes suite aux révolutions arabes, surtout à la lumière de l’affaire de l’exclusion et de la marginalisation subies par ces mouvements au cours des cinq dernières décennies. « Les régimes qui sont tombés menaient une politique de répression contre ces forces islamistes. Cela a influencé le choix du peuple pour ces mouvements avec l’espoir de ne pas appliquer des injustices pendant leur ère. Mais une fois au pouvoir et commençant à se frotter au jeu politique, ces mouvements ont perdu peu à peu leur innocence politique ».

En effet, les défis ont commencé depuis leur premier jour au pouvoir. Depuis la fin du mois de novembre 2012, le régime de Morsi et des Frères Musulmans est fortement contesté par la rue. Des événements qui rappellent ceux de Tunisie, où les manifestants réclamant un emploi à Siliana exigent la démission du gouverneur d’Ennahda, après la chute récente de celui de Sidi Bouzid pour les mêmes raisons. Les islamistes d’Ennahda en Tunisie agissent de la même manière que le parti de la Liberté et de la justice en Egypte. (voir p. 4).

En Egypte, des grèves ont été organisées, des journaux ont cessé de paraître, et la crainte d’une insurrection généralisée reste vive. Des centaines de personnes ont été blessées au cours d’affrontements dans les rues du Caire devant le palais présidentiel. Le politologue Yousri Al-Azabawy, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques d’Al-Ahram (CEPS), explique qu’en Egypte, on parle de plusieurs islam politiques, ayant plus d’un noyau. En plus des Frères musulmans au pouvoir, on retrouve aussi le courant très important des salafistes qui ont fait eux aussi leur entrée dans la vie politique après la révolution.

La question qui s’impose est de savoir si cet islam politique, dans sa forme actuelle, peut répondre positivement à l’attente de démocratie. Le politologue explique que tous les critères du changement démocratique utilisés jusque-là par les islamistes ne peuvent faire avancer les choses : « A commencer par leurs discours, les islamistes utilisent un ton fort et violent. C’est la pire des périodes du discours islamique. Celui-ci porte sur ce qu’on appelle l’identité imaginée, c’est-à-dire que leur vision ne se limite pas à eux-mêmes mais à l’image de l’Etat. Outre le discours, ils sont aussi poussés par leur rêve de restaurer le califat islamique. Ils veulent islamiser les connaissances, c’est-à-dire donner un caractère islamique à la littérature, à l’art et aux sciences ». Et d’ajouter : « le plus grave, c’est qu’ils ont prouvé qu’ils ne croient pas à la démocratie mais à l’idée d’al-choura », cette dernière étant une conception plus islamique de la démocratie, jugée trop occidentale.

Sentiment d’insécurité

Le président Morsi semble se trouver aujourd’hui aussi en mauvaise posture en raison des ratés qui s’accumulent depuis le premier jour de sa présidence. A commencer par ses décisions qui, dans certains cas, n’ont été maintenues que quelques heures avant d’être annulées, laissant ainsi place à un sentiment d’insécurité chez les citoyens. Selon les spécialistes, cela ne fait qu’affaiblir l’image de cette gouvernance islamique. Comme un an auparavant, les affrontements ont recommencé à la rue Mohamad Mahmoud, le jour de la commémoration des martyrs de cette même rue. C’était en 2011, les premiers affrontements violents entre la révolution et les islamistes, révélant le fossé qui s’était creusé entre eux.

Et puis le pouvoir politique n’a pas non plus hésité à accentuer sa pression contre le pouvoir judiciaire et se mettre en conséquence au-dessus des lois. La situation a dégénéré avec la déclaration constitutionnelle de novembre dernier poussant pour la première fois le peuple à marcher vers le palais présidentiel. Ensuite, une Constitution est passée par référendum, malgré les multiples infractions ayant provoqué une levée de bouclier dans la société. Ainsi, la colère populaire s’est élevée contre les partis islamistes. Les locaux des Frères musulmans ont été attaqués, saccagés ou brûlés dans de nombreuses villes du pays. Avec, comme une cerise sur le gâteau, une économie de plus en plus instable.

Des erreurs sans doute graves, mais faut-il parler d’un échec ? Les avis sont partagés. Certains politologues comme Moustapha Kamel Al-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, estiment que les régimes islamistes ont en effet prouvé leur échec à gérer le pays car ils n’écoutent que les gens appartenant à leur camp (voir interview p. 4).

Mais les perceptions sont différentes, comme chez Yousri Al-Azabawy. Pour lui, il est encore très tôt de juger l’efficacité de l’islam politique dans ces régimes : « Sans aucun doute, le président Morsi se trouve aujourd’hui dans une situation très délicate surtout avec les décisions adoptées et annulées quelques petites heures après. Mais à mon avis, on est toujours loin de pouvoir porter un jugement juste à cette période de la présidence de Morsi, ni même de

l’actuel gouvernement. Il est vrai que leurs erreurs sont nombreuses, mais cela ne fait que quelques mois qu’ils sont au pouvoir, ils peuvent très rapidement se rattraper ». Et d’ajouter : « Il faudra au moins attendre 3 ou 4 ans, c’est-à-dire un mandat complet ou presque, pour juger cette période de manière objective. Donc, on ne peut pas dire que la politique actuelle a échoué, mais il faut reconnaître qu’elle a des problèmes ».

Un complot de l’ancien régime

Pour la grande majorité des islamistes aussi, on est bien loin de parler d’un échec. Il s’agit dans le fond d’un complot des « felouls » (éléments de l’ancien régime) et de certains membres de l’opposition qui veulent profiter de l’occasion pour faire chuter les islamistes. Pour Hani Salaheddine, dirigeant médiatique au sein de la confrérie, « le président Morsi a insisté et plusieurs fois invité l’opposition à un dialogue mais c’est toujours elle qui refuse le rapprochement ». Il poursuit : « Cette opposition est faible et a échoué à convaincre la rue de ses projets, et donc elle a commencé à agiter l’épouvantail économique pour prouver l’échec du président Morsi ». Un avis partagé par Tareq Al-Zomor, président du bureau politique au parti islamiste Al-Benaa wa Al-Tanmiya, qui a expliqué que « cette opposition ne vise dans le fond qu’à faire chuter le régime, mais elle est bien faible pour le faire ». Reste que Mohamad Morsi doit mener de sérieuses réformes économiques pour redresser la barre. Baisse de la croissance, des investissements étrangers, des revenus du tourisme, hausse du chômage et du déficit budgétaire, dépréciation de la livre égyptienne… Un défi lourd à lever, alors que le gouvernement vient d’être remanié touchant des portefeuilles importants comme le ministère de l’Intérieur ou celui des Finances. Il faut donc attendre... Mais ce qui est certain, c’est qu’il n’existe pas d’alternative à cette force politique. Alors, il serait important de reconnaître que si les islamistes ont réussi à s’emparer du pouvoir après les révolutions arabes, cela n’est qu’un reflet de l’échec de tous les autres projets.

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