Charm Al-Cheikh,
De notre envoyé spécial —
Il est minuit à Neama Bay, l’une des places les plus vibrantes et denses de Charm Al-Cheikh. Mais la densité est en deçà des niveaux qu’on lui connaît en cette période de l’année. Malgré tout, ceux qui attendent d’être rapatriés dans leur pays ne rate pas l’occasion de savourer leurs dernières heures de vacances.
La plupart des cafés de Neama Bay sont à moitié pleins, et quelques piétons se promènent çà et là dans la rue qui, d’habitude, regorge de monde. Malgré cette situation inhabituelle, l’atmosphère festive typique des nuits de cette ville n’a pas totalement disparu même si la foule n’est pas la même après le départ de milliers de touristes et d’autres qui s’apprêtent à partir dans les jours à venir.
Le son assourdissant de la musique est toujours là, mais le crash de l’avion russe se fait sentir, au moins à demi-mot. Le lendemain du crash il y avait déjà moins de touristes sur les plages, en train de lire ou de discuter.
Anton Zinchenko, un père russe de deux enfants qui passait le samedi après-midi sur la plage avant de repartir trois jours plus tard, ne se montre pas inquiet. « Les conditions sont bonnes, et il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Beaucoup de gens sont déjà à l’aéroport et beaucoup de vols ont été annulés. Je ne veux pas être dans cette foule avec mes enfants, je vais attendre et me relaxer en attendant mon vol tranquillement », dit ce Russe qui travaille dans une compagnie d’électronique. « Les médias sont capables de prétendre que la situation est explosive, mais en réalité, la situation est parfaitement sécurisée ici », ajoute-t-il.
Mesures drastiques et agacement
Photo: Gamila Al-Tawila
A l’aéroport, les mesures de sécurité sont devenues drastiques ; la police est présente partout. Même les journalistes sont interdits d’accès et de longues files de voitures attendent de passer les barrages de sécurité.
Merlin Toelke, 21 ans, étudiant allemand en psychologie, est à Charm depuis une semaine. Il se sent davantage énervé qu’en danger. Il fume une cigarette avec un ami et se plaint de l’attente et du manque d’information. Ils attendent un représentant de Turkish Airlines qui doit les informer de l’heure de leur vol.
« La question n’est pas qu’on ressent de l’insécurité. On a juste besoin de rentrer chez nous comme prévu », dit cet Allemand quelque peu énervé par la situation chaotique.
La scène est fréquente : la plupart des touristes n’ont pas demandé à avancer leurs vols et sont uniquement bloqués à cause des annulations massives, notamment des compagnies européennes. Le représentant d’un groupe de touristes gérés par Apple Tours affirme la même chose : « Nos clients vont à l’heure prévue à l’aéroport et les compagnies leur offrent des accommodations au cas où leurs vols seraient annulés. Personne dans mon groupe n’a réclamé de départ immédiat. Ce n’est pas une évacuation ».
La ville se vide
Si les touristes qui se trouvent toujours à Charm Al-Cheikh ne s’y sentent pas en insécurité tout le monde s’attend à ce que la ville soit désertée dans les semaines à venir. « Bien sûr, il sera difficile d’attirer de nouveaux touristes : ils partent tous mais personne n’arrive », reprend Mohamad Hassan de Apple Tours.
Les travailleurs craignent pour leur emploi, dépendant du flot de touristes. Beaucoup estiment que la crise perdurera plus que toutes les crises antérieures que la ville a vécues. « Nous avons connu beaucoup de crises à Charm comme le couvre-feu il y a quelques années et l’attentat de 2006. Mais rien n’est comparable à ce que l’on vit aujourd’hui », s’inquiète Moëmen Maghrabi, un vendeur dans l’ancien bazar de Charm Al-Cheikh.
« Tous les touristes qui viennent à Charm savent que la situation est sécurisée ici. Ce sont leurs gouvernements qui suspendent les vols. Il semble que c’est d’abord une manoeuvre politique », poursuit-il.
Ahmad Tai, un autre vendeur du bazar, se lamente aussi de la détérioration de la situation, après une petite reprise ces derniers mois. Lui aussi a sa théorie, mais tout autre : « Les touristes à l’aéroport ont l’habitude de payer pour passer outre les mesures de sécurité. Une fois, j’ai vendu un chat à une dame italienne. Elle a réussi à le ramener en Italie sans présenter les certificats médicaux. J’espère que s’il y a eu une bombe dans l’avion, elle ne serait pas passée grâce à des pots-de-vin. Sinon nous sommes ruinés ».
Pour Nasser, un chauffeur de taxi, l’hypothèse d’une bombe est la pire : « S’il s’avère que c’est une bombe, ce sera la folie. La police a imposé un uniforme aux chauffeurs de taxi depuis le sommet économique qui s’est tenu à Charm Al-Cheikh en mars dernier, mais elle est incapable de détecter une bombe ! Et nous sommes ceux qui en souffriront le plus ».
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