En 2000, l’image de l’enfant Mohamad Al-Dorra (12 ans) tombé sous les balles israéliennes a fait le tour du monde et déclenché la deuxième intifada palestinienne. Aujourd’hui, c’est la photo du bébé Ali Al-Dawabcha (18 mois) brûlé vif par les colons israéliens, en juillet dernier, qui semble devenir le symbole de la vague de colère qui souffle sur les territoires palestiniens.
Depuis plusieurs semaines, des centaines de lanceurs de pierres palestiniens se sont mobilisés contre les soldats palestiniens en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem. Les Palestiniens manifestent contre les zones de colonisation illégales à l’est de Jérusalem, le déplacement des résidents arabes de la ville et les pénétrations fréquentes de la mosquée d’Al-Aqsa.
Israël essaye d’imposer une nouvelle réalité en permettant aux juifs de prier aux abords de l’Esplanade à Al-Aqsa. Selon les accords régissant le statut de Jérusalem, les juifs sont autorisés à visiter les lieux, mais pas d’y prier afin de ne pas créer une tension dans ce site, sacré pour les musulmans.
Or, les célébrations et fêtes sous protection des forces de sécurité se sont multipliées récemment déclenchant la crise. Face aux provocations israéliennes, une vague d’attaques à couteaux s’est intensifiée récemment. La crise a atteint son apogée lorsqu’un couple israélien a été tué le 1er octobre, ouvrant la porte à une violente répression israélienne. Depuis le début du mois d’octobre, plus de 40 Palestiniens ont été tués et des centaines d’autres ont été blessés contre 8 morts du côté israélien, et le bilan est en hausse.
Dans un article publié à Al-Ahram Online le 16 octobre, Moustapha Al-Barghouti, secrétaire général de l’Initiative palestinienne nationale, estime que cette crise a des racines plus lointaines car elle est une « accumulation de luttes sans arrêt depuis 2002 ». Il détaille en citant les manifestations contre le mur de séparation israélien, les flottes essayant de briser le blocus de Gaza, les campagnes de boycott des produits israéliens et souligne la « résistance héroïque extraordinaire » du peuple de Gaza contre les « crimes de guerre et les atrocités » israéliennes. « Je ne pense pas qu’il y ait un terme autre qu’intifada pour mieux décrire la situation actuelle : la jeunesse palestinienne, de Jérusalem au nord de Cisjordanie, et du sud de Gaza aux villes occupées, exprime sa révolte face à l’occupation, l’oppression, la discrimination raciale et les meurtres brutaux dont elle souffre », dit-il.
La dernière vague de révolte a éclaté de manière spontanée et ne répondait à aucun appel de la part des dirigeants du Fatah ou du Hamas. Depuis les accords d’Oslo en 1993, qui ont mis fin à la première intifada, le processus de paix a avancé très lentement et les négociations avec le côté israélien ont été bloquées à plusieurs reprises, alors que la colonisation et l’oppression s’aggravaient.
Selon Al-Barghouti, les événements actuels sont en train de changer la réalité palestinienne. « Les Palestiniens réalisent qu’ils se font tuer de toute façon, qu’ils résistent ou pas, et donc ils ont choisi de résister de façon honorable et avec dignité. C’est une intifada, car elle représente un changement qualitatif dans la conscience et la perception de la réalité », dit-il.
Mais pour Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, le terme « intifada » est trop fort pour décrire la situation actuelle en Palestine. Il préfère plutôt parler de « soulèvement ». Selon lui, il s’agit d’attaques individuelles, spontanées, qui ne sont initiées par aucune organisation, comme réaction aux mesures du gouvernement israélien. « L’ampleur nationale » fait défaut à cette actualité.
En fait, ces attaques, manifestations ou révoltes ne se sont pas encore étendues à une échelle nationale et c’est ce qui pourrait empêcher ce nouveau mouvement de résistance d’avoir plus d’impact. « Jusqu’à présent, le Hamas n’est pas intervenu. Si le Hamas entre de plain pied, ça se transformera en une intifada. Un deuxième facteur qui serait aussi décisif ce serait un retour d’Israël dans la bande de Gaza », dit Fahmi.
Le président palestinien, Mahmoud Abbas, a menacé de suspendre les accords d’Oslo qui déterminent les frontières palestiniennes violées par Israël. Mais sa menace n’a concrètement rien changé. Reste que ce soulèvement spontané prend de l’ampleur et s’accentue, alimenté par les agressions israéliennes.
Divisions palestiniennes
Le Hamas, qui gouverne de facto la bande de Gaza, et le Fatah sous la présidence de Mahmoud Abbas, ne sont pas sur la même longueur d’ondes dans leurs appréciations des événements en cours. Le 9 octobre, Ismaïl Haniyeh, chef du Hamas, a parlé d’une « intifada » et a fait appel à une escalade. « C’est le seul chemin qui mènera vers une libération », a dit Haniyeh lors d’un sermon de vendredi. Abbas opte plutôt pour une accalmie, même s’il continue à brandir l’arme de « l’intifada ». Lors d’un discours télévisé le 14 octobre, il a affirmé qu’il préférait une « résistance populaire pacifique » contre l’occupation israélienne, tout en affirmant le droit des Palestiniens de « se défendre et de poursuivre leur lutte nationale ».
En revanche, le gouvernement israélien intensifie ses mesures pour contenir le mouvement de protestation naissant, exploitant à son avantage les divisions interpalestininennes. Le 13 octobre, après la mort de 3 Israéliens à Jérusalem, un communiqué du bureau du premier ministre israélien a autorisé la police de boucler ou d’imposer un couvre-feu aux quartiers de Jérusalem en cas de frictions ou d’incitation à la violence. La démolition de maisons d’assaillants palestiniens a également été autorisée dans le même contexte. Israël a aussi assoupli les conditions de possession d’armes pour les Israéliens qui peuvent désormais se procurer le permis auprès des conseils locaux. Côté sécuritaire, l’armée et la police multiplient les postes de contrôle dans les territoires palestiniens comme à Jérusalem.
Protection internationale
Lors d’une séance extraordinaire du Conseil de sécurité vendredi dernier, la Palestine a fait appel à une protection internationale d’Al-Aqsa, une demande qui a été catégoriquement rejetée dans la mesure où elle impliquait la présence de forces étrangères sur le territoire. Le délégué palestinien à l’Onu, Riyad Mansour, a également demandé lors de la réunion une protection internationale des Palestiniens dans les territoires palestiniens faisant endosser à Israël la responsabilité des agressions en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza. Des arguments qui ont été réfutés à leur tour par le délégué israélien à l’Onu, Dani Danon, lequel a confirmé le refus de son pays de toute présence internationale.
La protection internationale des Palestiniens est devenue « une nécessité », selon l’adjoint du secrétaire général de la Ligue arabe, qui s’exprimait le 13 octobre lors d’une réunion des ministres arabes des Affaires étrangères, à la demande des Emirats arabes unis : « Le gouvernement israélien a commis des crimes de guerre contre les Palestiniens, des crimes dont les responsables doivent être jugés devant la justice internationale », a renchéri le délégué émirati.
L’Autorité palestinienne avait beau recenser les agressions israéliennes et déposé 3 plaintes à la Cour pénale internationale. Or, Israël n’est pas membre de celle-ci, ce qui empêche celui-ci de poursuivre ces responsables. Pour les Palestiniens, qui le réalisent bien, il s’agit tout au plus d’un moyen de pression.
La communauté internationale a réagi aux violations israéliennes, mais par de simples reproches. « Israël a le droit de se protéger, mais nous avons vu quelques rapports que beaucoup considèrent comme une utilisation excessive de force », a déclaré à Reuters le porte-parole du Département de l’Etat américain, John Kirby. Le secrétaire d'Etat américain devra entamer une tournée les prochains jours dans la région. De son côté, le secrétaire général Ban-Ki moon trouve que « l’utilisation excessive de force par les forces de sécurité israéliennes est troublante et une révision sérieuse de ces méthodes est nécessaire ».
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