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Quel parlement pour l'Egypte ?

May Al-Maghrabi, Lundi, 12 octobre 2015

Les Egyptiens ont rendez-vous avec les urnes le 18 octobre pour élire le premier parlement post-30 juin. Celui-ci doit mettre fin à trois ans de vide législatif.

Quel parlement
2573 candidats se disputent les 586 sièges du prochain parlement.

Le premier tour des élections législatives post-30 juin se tient les 18 et 19 octobre, dans 14 gouvernorats. Il s’agit de la dernière échéance d’une feuille de route censée mettre fin à la période transitoire et remettre sur les rails un processus politique, qui piétine depuis quatre ans. 2 573 candidats en tout se disputent les 586 sièges du prochain parlement. 80 % de ces sièges (448 sièges) sont pourvus au scrutin individuel et 20 % au scrutin à liste (120 sièges).

Théoriquement, le prochain parlement sera doté de pouvoirs sans précédent. Il devra, entres autres, réviser toutes les lois promulguées depuis la dissolution de l’ancien parlement, en plus de la formation du nouveau gouvernement. Et ce, en consultation avec le président de la République. L’importance de ce parlement émane aussi des larges prérogatives que lui confère la Constitution de 2014, qui instaure un régime semi-présidentiel. Il reviendra à ce parlement d’approuver le choix du chef du gouvernement, effectué par le président de la République. Il peut réclamer un référendum à la majorité des deux tiers pour obtenir la destitution du président de la République, au risque cependant d’être dissous si le résultat du référendum est négatif. Le président peut aussi proposer la dissolution du parlement par référendum sans risquer de devoir démissionner, en cas de refus par le peuple.

D’aucuns estiment que la composition du prochain parlement déterminera si les revendications des deux révolutions du 25 janvier et du 30 juin sont réalisées. Selon le politologue Wahid Abdel-Méguid, ces élections législatives se déroulent en l’absence quasi totale d’opposition. « En l’absence d’une loi d’isolement politique, on assiste, d’une part, à un retour en force des feloul de Moubarak, de même qu’à une fragmentation des partis issus de la révolution du 25 janvier. D’autre part, l’opposition classique de l’ère de Moubarak est entrée dans des coalitions comme le Front National et Pour l’amour de l’Egypte, qui regroupe des figures et des forces politiques qui ont participé à la révolution du 30 juin, mais qui ne reconnaissent pas celle du 25 janvier. Et ceci, alors qu’une vaste tranche des jeunes de la révolution a décidé de boycotter les élections qui ne représentent pas leurs aspirations », affirme Abdel-Méguid. Il insiste que le mode de scrutin auquel est attaché l’Etat malgré l’opposition des forces politiques, ne peut déboucher que sur un parlement « faible et incohérent », sans forces politiques dominantes. « La tâche primordiale de ce parlement est censée être l’instauration d’un véritable régime démocratique. Mais le scénario auquel nous assistons montre que nous nous dirigeons vers un parlement qui ne sera pas à la hauteur des défis », trouve Abdel-Méguid. « Hélas, on peut dire que le prochain parlement sera un décor. Cela ne remet pas en doute l’intégrité des prochaines élections, mais le contexte général dans lequel se dérouleront ces élections ne peut pas déboucher sur un parlement représentatif des deux révolutions », ajoute-t-il. « L’ensemble des lois anticonstitutionnelles restreignant les libertés, le mode de scrutin adopté, le retour en force des feloul, la marginalisation des jeunes et des forces révolutionnaires sont des facteurs qui affecteront l’avenir politique et non seulement le rôle du parlement », estime encore Abdel-Méguid.

Une Lecture partagée par le politologue Yousri Al-Azabawi, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Selon lui, les données actuelles indiquent qu’il y aura un retour des forces traditionnelles pré-25 janvier au sein du parlement, celles qu’il appelle les « capitalistes politiques » et la droite religieuse, en l’occurrence le parti Al-Nour, qui ont dominé les parlements du PND dissout. « Il y a très peu de scénarios pour la composition du prochain parlement. Le scénario le plus probable c’est que nous aurons un parlement soumis, quasi identique aux parlements traditionnels sous Moubarak. Même les partis laïques classiques comme le néo-Wafd et le Rassemblement seront marginalisés, car il sera presque impossible, avec le mode de scrutin utilisé, que ces partis obtiennent une majorité leur permettant de former un bloc parlementaire majoritaire. En revanche, ce sont les indépendants de tous bords et sans vision politique qui vont former la majorité parlementaire », analyse Al-Azabawi. Ce sera donc un parlement très fragmenté, acquis au pouvoir exécutif. « Cette faiblesse du parlement se répercutera sur la formation du gouvernement, qui sera à son tour incohérent. Le parlement sera dominé par le pouvoir exécutif. D’autant plus qu’en l’absence des forces révolutionnaires, qui n’ont plus le vent en poupe, le parlement ne pourra pas concrétiser les aspirations révolutionnaires », prévoit Al-Azabawi. Tout comme Wahid Abdel-Méguid, il pense qu’un parlement dominé par une seule tendance sera décevant, non seulement parce qu’il sera une reproduction des parlements de l’ère Moubarak, mais surtout parce qu’il sera incapable de relever les défis qui lui incombent.

« S’unir face aux islamistes »

Cet avis n'est partagé par tout le monde. Et pour certains politiciens, ce qui compte aujourd'hui c'est de faire face au danger qui menace l'Egypte à savoir le terrorisme. Ils sont convaincus que le président a besoin d’un « appui politique » pour pouvoir gouverner, et surtout faire face au courant islamiste. Réfaat Al-Saïd, cadre du parti du Rassemblement, comme d’autres figures politiques, trouve qu’un parlement pro-Sissi serait une bouée de sauvetage dans le contexte actuel. « Certaines forces tentent de déstabiliser le pays et il faut y faire face », trouve Al-Saïd. Même son de cloche chez Emad Gad, porte-parole de la liste « Pour l’amour de l’Egypte », qui souligne qu'« avoir un parlement représente un pas indispensable pour que l’Etat puisse aller de l’avant. Quelle que soit la composition du parlement, le retour du pouvoir législatif est déjà un grand pas en soi. Il est trop tard pour discuter du meilleur mode de scrutin, les candidats et les forces politiques doivent plutôt s’unir face au danger islamiste et face aux tentatives de déstabiliser le pays. Je me demande pourquoi les opposants au président Al-Sissi croient qu’ils sont les seuls patriotiques et les seuls défenseurs des libertés et des droits ? ».

Défis législatifs

Après trois ans de vide législatif et de lois contestées, parce que jugées liberticides, la législation sera le principal défi du prochain parlement. Plusieurs centaines de lois devront être révisées, afin de vérifier leur conformité avec la nouvelle Constitution. Depuis trois ans, le pouvoir législatif est absent. En juin 2012, la Cour constitutionnelle avait ordonné la dissolution du dernier parlement, cinq mois après son élection, jugeant inconstitutionnelles certaines dispositions de la loi électorale. Le président destitué, Mohamad Morsi, s’est octroyé pendant son année au pouvoir le droit de légiférer. Après la chute de son régime le 30 juin 2013, le pouvoir intérimaire a mis en place une feuille de route qui comprend trois étapes, à savoir la rédaction d’une nouvelle Constitution, l’élection présidentielle et les élections législatives. Le report des élections à maintes reprises a fait que de nombreuses lois jugées urgentes ont été promulguées par décrets par le pouvoir exécutif, au cours de la phase transitoire. Environ 350 lois ont ainsi été promulguées en l’absence du parlement. Selon le Centre national des consultations parlementaires, au cours de sa première année à la présidence, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a promulgué 310 lois. 40 autres lois ont été promulguées par son prédécesseur, le président intérimaire, Adly Mansour. Cet héritage constitue le premier défi primordial du prochain parlement. Selon le magistrat Nour Farahat, le parlement aura pour tâche d’adapter ces lois à la nouvelle Constitution. « Conformément à la Constitution, les futurs députés ne disposeront que de 15 jours pour revoir toutes ces lois. Une tâche difficile à relever étant donné leur grand nombre », souligne Farahat.

Mais au-delà des prévisions et des débats, c’est le peuple qui dira le dernier mot. Les résultats de ces élections vont révéler non seulement le poids réel des partis et des forces politiques, mais surtout si la rue tient toujours aux revendications révolutionnaires : Pain, liberté, justice sociale et dignité humaine.

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