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Corruption : La guerre est lancée

Samar Al-Gamal, Mardi, 15 septembre 2015

La démission du gouvernement au lendemain de l'arrestation du ministre de l'Agriculture, sur fond d'un scandale de corruption, ouvre le débat sur un phénomène qui abat l'Egypte et qui touche la fonction publique, du petit fonctionnaire aux postes les plus élevés.

Corruption : La guerre est lancée
Le bâtiment de l'Organisation de contrôle administratif.

Dans une scène reprise par tous les médias, le ministre de l’Agriculture, Salah Hilal, a été interpellé à quelques mètres de la place Tahrir, quelques minutes après sa démission « exigée par le président de la République ».

Les agents ont intercepté, puis fouillé sa voiture avant de l’embarquer avec eux. Les détails se sont succédé plus tard évoquant que les résultats des enquêtes sur les implications de plusieurs personnes du ministère dans une affaire de corruption, dont le ministre lui-même, ont été présentés au président Abdel-Fattah Al-Sissi.

Selon les autorités, Hilal et son chef de cabinet sont accusés d’avoir « demandé et reçu par le biais d’intermédiaires » des pots-de-vin de la part d’un homme d’affaires pour « légaliser » son acquisition d’environ 2 500 feddans de terrains appartenant à l’Etat.

Ce n’est pas une première qu’un ministre soit accusé dans une affaire de corruption (lire page 4). Mais la scène d’arrestation de Hilal est « sans précédent dans l’histoire moderne de l’Egypte », précise Ahmad Sakr Achour, expert onusien en gouvernance et lutte contre la corruption. « Jamais un ministre en poste n’a été arrêté de telle façon sur fond d’une enquête », ajoute Sakr. L’affaire touche, selon certains médias, plusieurs autres ministres.

Corruption : La guerre est lancée

Quelques jours plus tard c’est tout le gouvernement qui démissionne. Les raisons du départ du premier ministre, Ibrahim Mahlab, n’ont pas été publiquement dévoilées, mais le lien a été vite établi surtout que théoriquement son gouvernement devait de toute manière démissionner après les élections législatives, prévues entre le 17 octobre et le 2 décembre.

Pourquoi donc un nouveau gouvernement pour assurer un hiatus de moins de trois mois, si ce n’est cette retentissante affaire. Le lien est d’autant plus facile à établir que le chef du cabinet démissionnaire venait de créer une autre polémique, en se retirant d’une conférence de presse à Tunis pour éviter de répondre à une question sur sa potentielle implication personnelle dans une affaire de corruption, dite des « palais présidentiels », qui date de l’époque de Moubarak. De son côté, le porte-parole de l’Organisme central des comptes, Ossama Al-Maraghi, a démenti que son organisme ait demandé une réouverture du dossier des palais.

« Couper les grandes têtes de la corruption »

« Ce qui est évident c’est que ce gouvernement a échoué à traiter de façon sérieuse le dossier de la corruption qui ravage tous les secteurs et institutions de l’Etat, alors que Mahlab lui-même avait promis d’y mettre fin dans les 6 mois », note Sakr.

L’indice de la corruption de 2014, de Transparency International, classe l’Egypte 94e sur 175 pays, derrière 9 autres pays arabes. Une avancée pourtant puisqu’elle occupait la 114e place en 2013. « Je crois que l’Etat est plus conscient du problème et selon les informations que j’ai, d’autres affaires de corruption seront dévoilées dans plusieurs secteurs », précise Sakr en sa qualité d’ex-représentant en Egypte de Transparency International. Il appelle pourtant à des démarches plus importantes, car selon lui il ne s’agit pas simplement de poursuivre un ministre ou un responsable, mais de « couper les grandes têtes de la corruption qui sévissent dans des secteurs très importants ». Selon sa recette, il serait important de commencer par donner plus de prérogatives aux appareils de contrôle, surtout à l’Organisme de contrôle administratif créé dans les années 1960 à la demande de Gamal Abdel-Nasser.

Or, la loi rend cet appareil ainsi que ses homologues dépendant du pouvoir exécutif, puisque c’est toujours le chef de l’Etat qui nomme leurs présidents et que leurs membres sont presque en exclusivité d’anciens militaires ou policiers.

Du coup, la lutte contre la corruption devient une affaire politique. Ainsi Magued Osmane, directeur du Centre égyptien de sondage d’opinion, Baseera, pense que « le fait qu’une stratégie a été mise en place (en novembre 2014) pour combattre la corruption signifie qu’on est sur la bonne route et qu’il y a une intention de combattre la corruption. Mais ce n’est pas suffisant » (lire entretien page 4). « Le manque de transparence, l’absence de législations surtout en matière d’accès à l’information et de la protection des témoins rendent cette stratégie incomplète », précise-t-il. A ceci Sakr ajoute une série de questions. « Qui supervise les députés censés assurer eux-mêmes le véritable contrôle, qui supervise les juges, le Parquet et les organismes de contrôle ? Il est temps de se poser ce genre de questions difficiles et embarrassantes ».

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