
Pour la première fois, des articles de la constitution sont réservés à Al-Azhar.
(Photo: Reuters)
Outre la loi électorale, le statut régissant Al-Azhar est au centre de l’agenda du Conseil consultatif. La grande question concerne la méthode de désignation du grand imam de la plus haute instance sunnite. L’article 4 de la nouvelle Constitution, qui détermine le rôle d’Al-Azhar, stipule que le grand imam «
est élu » parmi les oulémas de l’institution, mais laisse à la loi la tâche de définir les modalités de cette élection.
Il faut donc amender la loi 103 de l’année 1961, entrée en vigueur sous Gamal Abdel-Nasser, pour la rendre conforme à la nouvelle Constitution. Cette loi, que les Azharites ont toujours considérée comme un point noir dans l’histoire de leur institution, a privé Al-Azhar de son autonomie vis-à-vis du pouvoir, que ce soit en ce qui a trait à son financement ou à ses prises de position politiques. Le grand imam était, en vertu de cette loi, nommé à vie par décret présidentiel. Dès lors, Al-Azhar a été utilisé comme un outil destiné à donner une crédibilité religieuse aux régimes politiques en place. Certains estiment que les Frères musulmans souhaitent faire durer cette « tradition ».
La loi sur Al-Azhar est au centre d’un vif débat depuis la révolution. Le Conseil militaire avait approuvé, en janvier 2012, trois jours avant la première session parlementaire, une loi donnant au cheikh d’Al-Azhar le pouvoir de nommer seul le Conseil des grands érudits, un corps chargé de choisir le grand imam en cas de vacance du poste.
Les députés, notamment islamistes, s’étaient alors insurgés face à ce qu’ils considéraient comme « une violation de leurs prérogatives ». Selon Amr Ezzat, politologue, le but du Conseil militaire était, en promulguant cette loi à la hâte, de contourner le futur Parlement. « Cela a été fait, d’une part pour utiliser Al- Azhar comme un outil afin de contrer la montée des Frères musulmans et des salafistes : la même politique suivie par le régime déchu, et d’autre part, pour couper l’herbe sous le pied aux parlementaires islamistes qui voulaient rédiger une nouvelle loi sur Al-Azhar pour mettre la main sur cette institution ».
Politiser Al-Azhar
Tout au début des travaux de l’Assemblée du peuple aujourd’hui dissoute, des projets de lois dites de « réorganisation d’Al-Azhar » ont été présentés par des députés salafistes, marquant des tentatives de politiser à leur avantage cette institution religieuse. Ces projets ont été suspendus à cause de la dissolution du Parlement. Aujourd’hui, les islamistes cherchent toujours un moyen pour écarter l’imam Ahmad Al-Tayeb, cheikh d’Al-Azhar. Le rôle joué par Al-Tayeb comme conciliateur entre les courants politiques après la révolution en publiant des documents en faveur du dialogue a été mal perçu par certains salafistes. Diplômé de la Sorbonne, Al-Tayeb est considéré comme « trop ouvert » pour les salafistes. Il est aujourd’hui en passe d’être écarté.
Pour certains analystes, les articles de la Constitution qui portent sur Al-Azhar sont une preuve que l’institution religieuse sera la prochaine cible de l’islamisme politique. Ces articles placent, selon certains, cette institution religieuse au coeur du jeu politique. « Le fait d’intégrer à la Constitution un article sur Al-Azhar approfondit sa dépendance par rapport à l’Etat, et ceci bien que le texte fondamental stipule son indépendance. Un contraste ambigu ! », note Ezzat. L’article 4 donne à Al-Azhar le pouvoir de juger de la conformité des lois à la charia. Il stipule, en effet, que « l’avis du conseil des érudits d’Al- Azhar (soit) pris dans les questions liées à la charia islamique ». Mais il reste à savoir si ces avis seront contraignants ou non.
Par ailleurs, l’article 219 sur les principes de la charia complique la mission d’Al-Azhar. Selon cet article, les principes de la charia sont « les règles fondamentales de jurisprudence et leurs sources acceptées par les doctrines sunnites et la communauté ». Cet article prépare le terrain aux islamistes pour s’ingérer, à travers Al-Azhar, dans le droit pénal.
Jusqu’à présent, il revenait à la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) de définir les principes de la charia. La cour a à maintes reprises exprimé sa ferme opposition à une interprétation ouvertement religieuse de la législation. Mais dans la nouvelle Constitution, la HCC a vu ses compétences réduites. « Lors de l’élaboration du projet de Constitution, la HCC s’est dressée comme un obstacle face à la mainmise des islamistes sur la législation. Les islamistes ont alors insisté à inclure une référence à Al- Azhar pour l’utiliser comme outil réduisant le pouvoir de la Cour constitutionnelle sur l’interprétation des principes de la charia », explique Ezzat.
Les Azharites refoulés
Les représentants azharites membres de la constituante avaient pourtant refusé dès le départ de donner cette charge à Al-Azhar. Hussein Al-Chafei, représentant d’Al-Azhar à la constituante, a prévenu, lors des séances de discussions, qu’à travers ces articles, « Al-Azhar pourrait se placer en conflit avec les autres institutions de l’Etat ». Mais sous la pression des salafistes, qui voulaient donner à Al-Azhar l’ultime droit de juger de la conformité des lois, les islamistes lui ont accordé un rôle de consultation.
Le nouveau pouvoir d’Al-Azhar menottera les mains du Parlement si celui-ci n’est pas de tendance islamiste : les parlementaires auront du mal à faire passer des lois qui pourraient être jugées par Al-Azhar comme « anti-charia ».
Les nouvelles prérogatives d’Al- Azhar suscitent des débats houleux. Certains Azharites estiment que le moment n’est pas approprié et que les députés du Conseil consultatif n’ont pas la légitimité de débattre d’une telle loi. « Il n’est pas du tout raisonnable de placer la loi d’Al-Azhar sur l’agenda législatif du Conseil consultatif », prévient Abdel-Ghani Hendi, porte-parole du « mouvement populaire pour l’indépendance d’Al-Azhar », formé par des Azharites qui ont appelé à voter « non » à la Constitution. « Le Conseil consultatif est une institution qui assume actuellement des charges exceptionnelles. Comment peut-il traiter la loi d’Al- Azhar ? Celle-ci exige de larges discussions et un dialogue public pour parvenir à un changement souple et approprié du statut de cette institution qui est un symbole religieux à référence mondiale », poursuit-il.
Hendi estime que le Conseil devrait plutôt discuter les projets de loicb urgents, comme la loi électorale ou celle sur la finance islamique. Mais les islamistes du Conseil consultatif ne rateront probablement pas l’occasion d’imposer leur vision sur la plus prestigieuse institution sunnite du monde .
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