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Conseil consultatif: Dangereux pouvoirs ...

Chaïmaa Abdel-Hamid, Lundi, 31 décembre 2012

La nouvelle Constitution donne au Conseil consultatif le pouvoir de légiférer jusqu’à la formation de l’Assemblée du peuple. Mais l’élection de ce Conseil, tout comme sa mission initiale, rend illégitimes ces nouvelles prérogatives.

conseil
(Photo: Reuters)

Conséquence remarquable du « oui » à la Constitution : le Conseil consultatif (Magles al-choura), qui ne disposait d’aucune prérogative et qui est par essence un organe « consultatif », devient le seul organe législatif de la République.

Les membres de cette Chambre parlementaire dite « Chambre haute » se sont immédiatement mis au travail suite à la publication au Journal officiel des résultats du référendum.

La totalité des pouvoirs législatifs lui échoit, notamment car la Chambre « basse » du Parlement, qui a été dissoute en juin par décision de justice, reste encore à élire. Ces pouvoirs étaient, avant l’adoption de la Constitution, entre les mains du président de la République.

En pleine manifestation d’opposants devant le siège du Conseil consultatif lors de sa séance d’ouverture du 29 décembre, le président, dans un premier discours décevant devant cette Chambre, a assuré que la nouvelle Constitution, qui divise le pays depuis des semaines, garantissait l’égalité des droits.

Pour le politologue Amr Hachem Rabie, le président a parlé pour ne rien dire, ne donnant aucune précision sur les mesures annoncées, y compris l’invitation de « tous les partis au dialogue ». C’est en effet tout ce qui n’a pas été dit par le président dans ce discours qui déçoit.

Un conseil partial et « illégal »

Outre le nouveau rôle qui vient d’être attribué au Conseil consultatif, la légitimité même de sa composition pose problème. La Chambre est très majoritairement dominée par les islamistes, et la nature des débats et des lois à venir reste énigmatique.

Par ailleurs, le jour de la seconde phase du référendum, Morsi a nommé 90 nouveaux membres au Conseil consultatif, portant leur nombre à 270, dans une tentative de le rendre « plus représentatif ». Parmi eux, on dénombre quelques coptes et libéraux, membres de l’opposition, ainsi que des experts juridiques. Les membres appartenant au Front du salut national ont dès le départ signifié leur refus de siéger dans cet organe, tout comme certains coptes qui refusent de « servir de pions » pour rendre cet organe plus légitime.

Les deux tiers des membres du Conseil consultatif ont été élus l’an dernier, quelques semaines après les élections de l’Assemblée du peuple, lors d’un scrutin dont le taux de participation n’a pas dépassé les 7 %. La majorité des spécialistes considèrent que ce Conseil ne représente pas le peuple égyptien. Un procès est en cours sur ce point, le verdict devrait être rendu mi-janvier.

L’ancienne députée Georgette Qellini, qui vient de refuser sa nomination au sein du Conseil, rappelle que « la Haute Cour constitutionnelle a déjà jugé illégale la loi électorale utilisée pour l’élection de l’Assemblée du peuple et a ordonné la dissolution de cette dernière. En toute logique, ce même verdict devrait sanctionner le Conseil consultatif qui s’est formé selon les mêmes critères ».

Elle prévient également que « si tel n’est pas le cas, beaucoup d’interrogations seront soulevées ». Les libéraux forment tout juste 25 % de cette assemblée, à laquelle le président a tenté de « donner un cadre légal » par ses récentes nominations, selon les mots de Qellini.

Mais cette minorité n’aura aucun poids réel, ne pouvant atteindre à elle seule le quorum nécessaire à proposer des lois ou des amendements, ni même représenter une force d’opposition. « Ce qui signifie que toutes ses lois iront en faveur du régime », avertit Qellini.

Un agenda sous influence

Deuxième entorse à la légitimité : comment un conseil, qui ne disposait d’aucun pouvoir en dehors de celui d’un rôle consultatif et de supervision, se retrouve-t-il promu grand législateur par la Constitution ?

Dès l’ouverture de la session, le pouvoir exécutif a fixé les priorités législatives en demandant aux élus et nommés de se concentrer sur l’élaboration de la loi régissant les élections à venir. Mais aussi sur les lois régulant les médias, la lutte contre la corruption et le rôle d’Al-Azhar (voir pages 4 et 5).

Le programme du Conseil consultatif est déjà sous influence. Mohamad Mahsoub, ancien ministre en charge des Affaires parlementaires, avait déclaré juste avant sa démission que le gouvernement avait déjà préparé de nouvelles lois sur lesquelles il demandera au Conseil de débattre. Le ministre avait aussi annoncé que le gouvernement élaborait des lois révisant le salaire minimum, régissant la couverture sociale et régulant les médias. Le gouvernement souhaite aussi voir rapidement adoptée la première loi sur la liberté de la presse en Egypte.

Pour l’expert juridique Ali Al-Ghatit, il n’est pas question d’accepter les lois qui sortiront de cette Chambre. « Les membres de cette Chambre ont été élus pour une mission complètement différente de celle qu’ils endossent aujourd’hui. Le citoyen a le droit à de nouvelles élections pour reformer cette Chambre et pouvoir choisir les personnes qu’il pense capables d’élaborer des lois ». Les fondations mêmes des lois décidées par ce Conseil sont illégitimes. « Toute loi qui en sortirait serait par essence invalide », souligne Al-Ghatit.

L’opposition rejette le Conseil

L’opposition, elle, n’acceptera en aucun cas comme un fait accompli les lois que le Conseil consultatif élaborera jusqu’à ce que le nouveau Parlement élu prenne ses fonctions. Et elle se consacre désormais tout entière à remporter les prochaines élections législatives.

Mohamed ElBaradei, l’un des ténors de l’opposition, s’est notamment exprimé dans des mots forts sur France 24 : « La mauvaise nouvelle, c’est que nous avons une Constitution qui est intrinsèquement illégitime. Elle n’est en aucun cas démocratique. La bonne nouvelle, c’est que l’opposition s’unit. La population commence à comprendre que le salut de l’Egypte ne viendra pas des slogans religieux ». Refusant d’être simplement alarmiste, il ajoutait que l’opposition « c’est-à-dire tous ceux qui ne se retrouvent pas dans ce projet islamiste », s’attelle dès à présent à obtenir une majorité lors des élections législatives, et que « l’un de nos principaux projets sera de changer cette honteuse Constitution ».

Selon Rabie, l’Egypte post-révolutionnaire est de nouveau face à une grave crise politique. Il n’envisage qu’une seule issue à cette impasse législative qui risque d’imposer des lois « illégales » : « Le président de la République doit garder le pouvoir législatif en s’interdisant d’émettre toute loi hormis celle sur les élections du Parlement, car il ne peut y avoir d’élections législatives sans elle ».

« Nous refusons dans tous les cas que le pouvoir législatif soit entre les mains du Conseil consultatif, car ce n’est tout simplement pas sa mission », conclut le politologue.

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