L'Onu a décrété le niveau d'alerte humanitaire maximal au Yémen. (Photo: Reuters)
4 000 morts et environ 16 000 blessés, 1 million de déplacés et 245 000 réfugiés. L’offensive menée par la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite au Yémen est entrée dans son quatrième mois. Selon le Haut commissariat de l’Onu aux droits de l’homme, environ la moitié des 1 693 morts dans le conflit sont des civils. Les trêves humanitaires, annoncées à plusieurs reprises, n’ont jamais pu se concrétiser. Des quartiers résidentiels, des hôpitaux, des mosquées, des marchés, des réservoirs d’eau, des écoles et des vestiges archéologiques ont été touchés par les frappes.
Depuis fin mars, début des affrontements entre le mouvement rebelle houthi et la coalition internationale menée par l’Arabie saoudite, 80 % de la population du Yémen (plus de 21 millions de personnes) n’ont d’accès suffisant ni à l’eau potable, ni à la nourriture, ni aux soins médicaux, ni à l’électricité. L’essence aussi se fait de plus en plus rare. Faute de carburant pour les générateurs et les stations de pompage, certains hôpitaux ne fonctionnent plus. « Les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) ont vu mourir au Yémen des femmes enceintes ou des enfants arrivés bien trop tard au centre de santé, faute d’avoir trouvé de l’essence, ou après s’être terrés des jours dans l’attente d’une accalmie dans les combats. Certaines personnes ayant besoin de soin en urgence sont mortes aux barrages tenus par les combattants, empêchées d’aller plus loin », précise Mézo Térzian, président de Médecins Sans Frontières France.
La guerre de Yémen a créé une crise humanitaire sans précédent, pour laquelle l’Onu a décrété le niveau d’alerte humanitaire maximal. « Sur le plan humanitaire, la situation s’est nettement détériorée, ces dernières semaines, surtout avec l’arrivée de milliers de réfugiés qui fuient les combats. La crise se prolonge et les aides humanitaires sont insuffisantes dans certaines régions et arrivent rarement dans d’autres », souligne Hussein Soliman, chercheur économique au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Au-delà de quelques rares convois, les Nations-Unies, qui ne cessent d’afficher leur vive préoccupation au sujet de la détérioration de la situation humanitaire, n’ont pas établi de voie de ravitaillement qui permettrait l’acheminement de biens de première nécessité, dont les médicaments, la nourriture et le carburant. A Aden en 4 mois de guerre, l’Onu n’a acheminé sa 1re aide humanitaire que le 20 juillet dernier. « Le Yémen est un pays très pauvre malgré ses richesses naturelles variées, notamment le pétrole. L’économie yéménite est très faible. La durée et la dureté des opérations militaires ont eu des impacts catastrophiques sur la situation humanitaire », explique Soliman. Selon l’Onu, 54,5 % de la population yéménite vit en dessous du seuil de pauvreté selon des chiffres de 2012. 61 % des enfants yéménites souffrent de malnutrition et 45 % de la population se trouvent en situation d’insécurité alimentaire. Malgré cela, le Fonds Monétaire International (FMI) a annoncé la suspension pour une durée indéterminée de son plan d’aide au Yémen, en raison des nombreuses incertitudes liées à la crise grandissante dans le pays.
Les parties en conflit se renvoient les accusations. D’une part, les Houthis chiites et l’Iran accusent la coalition arabe de « crimes de guerre ». Et d’autre part, l’Arabie saoudite et sa coalition accusent les Houthis et leur allié iranien de cibler les civils. « A Aden, depuis des semaines, les Houthis bombardent aveuglément des zones résidentielles densément peuplées et le 19 juillet, tandis que les combats pour la reprise de la ville par la résistance du sud faisaient rage, ils ont pilonné un quartier résidentiel très densément peuplé. En à peine quelques heures, 150 blessés, femmes, enfants et personnes âgées, ont afflué dans l’hôpital de MSF, et 42 étaient déjà morts à l’arrivée. Plusieurs dizaines de corps sont restées à l’extérieur de l’hôpital, saturé », témoigne Mézo Térzian.
De même, les offensives menées par la coalition arabe pour reprendre les territoires conquis par les Houthis sont accompagnées de violences contre les civils. Ces violences sont assumées par les pays soutenant la coalition comme un dommage collatéral acceptable. Toutefois, la guerre au Yémen reste largement ignorée des médias occidentaux et ceux du monde arabo-musulman. Le sort de la population yéménite intéresse peu la communauté internationale. « On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs, et on les casse d’autant plus facilement que leur sort intéresse peu les chancelleries, comme nous l’ont fait percevoir les diplomates que nous avons tenté de mobiliser ces derniers mois, à Paris, Genève, ou Washington, sur la nécessité de faire pression sur les belligérants afin d’épargner les civils », reprend le président de MSF France. Et de conclure : « Il est encore temps que les Etats qui portent la responsabilité du coût humain du conflit mettent tout en oeuvre pour le diminuer, en sanctionnant comme tels les crimes de guerre de toutes les parties en conflit et en rétablissant de toute urgence l’accès de la population à des services essentiels ».
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