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L’Iran émerge en puissance régionale

Samar Al-Gamal, Jeudi, 23 juillet 2015

Téhéran et le groupe 5+1 ont conclu un accord qui bloque la possibilité pour l'Iran de fabriquer une bombe atomique. En contrepartie, l'Iran bénéficiera d'une levée des sanctions.

L’Iran émerge en puissance régionale
Les signataires de l'accord à Vienne le 14 juillet. (Photos : AP)

Au terme d’une négociation longue et compliquée, un accord final a été conclu la semaine dernière à Vienne entre l’Iran et les grandes puissances du groupe 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne). Un accord historique, étant donné les relations troubles entre les deux parties. Les premières négociations visant à convaincre l’Iran d’abandonner son programme nucléaire avaient commencé en 2003, à l’initiative de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Elles se prolongent jusqu’en 2005, date de l’élection du président Mahmoud Ahmadinejad, qui adopte une ligne dure et revendique le droit de développer un programme nucléaire civil. En 2006, les négociations s’élargissent aux Etats-Unis, à la Chine et à la Russie qui, avec les trois Européens, forment le groupe 5+1. Ce n’est qu’après le remplacement d’Ahmadinejad par Hassan Rohani, en 2013, que les négociations repartent de bon pied. Il aura fallu un peu moins de deux ans après l’accord de principe de Genève, le 24 novembre 2013, pour finaliser le compromis, le 14 juillet 2015 à Vienne. Le document de près d’une centaine de pages composé d’un texte principal et de cinq annexes vise à mettre en place des sanctions strictes pour rendre impossible la fabrication d’une bombe atomique par l’Iran, tout en assurant une levée progressive des sanctions internationales qui freinent le développement du pays.Lundi, le Conseil de sécurité de l’Onu a adopté une résolution qui entérine l’accord de Vienne et demande qu’il soit appliqué pleinement selon le calendrier établi.Le Conseil doit à présent charger l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) de « procéder aux vérifications et aux contrôles nécessaires des engagements nucléaires pris par l’Iran » et dès que le Conseil aura reçu un rapport de l’AIEA affirmant que le programme nucléaire iranien est totalement pacifique, les sept résolutions prises par l’Onu depuis 2006 pour sanctionner l’Iran (1696, 1737, 1747, 1803, 1835, 1929 et 2224) seront abrogées.Ces résolutions interdisent le commerce de biens et de services liés aux activités nucléaires iraniennes, gèlent les avoirs financiers de personnalités et de sociétés iraniennes et imposent des embargos sur les armes conventionnelles et les missiles balistiques.

Transféré au Congrès

Le Département d’Etat a officiellement transféré dimanche au Congrès américain le texte complexe de l’accord sur le nucléaire iranien, sur lequel les deux Chambres devraient voter sous 60 jours.Techniquement aussi, le Congrès, dont la majorité républicaine est hostile à l’accord, peut adopter soit une résolution d’approbation symbolique, soit une résolution de désapprobation de l’accord (lire page 4).Quels sont les enjeux de cet accord pour les deux parties iranienne et américaine ? Et surtout, quel sera l’avenir des relations post-nucléaires ?L’Iran de Hassan Rohani parie sur ce que Mustafa El-Labbad, directeur du Centre Al-Sharq pour les études régionales et stratégiques, appelle « la nouvelle route de soie » en allusion à la transformation de l’Iran en grande puissance économique. Grâce à l’accord qui prévoit une levée des sanctions internationales à partir de 2016, le pays s’attend à une ruée d’investisseurs. « Depuis sa campagne présidentielle en 2013, Rohani misait sur un règlement de la question nucléaire pour briser l’isolement économique de son pays », affirme El-Labbad. Selon le spécialiste du dossier iranien : « Téhéran cherche à neutraliser ses différends avec Washington en les limitant à une vision politique différente du monde et de la région ».En d’autres termes, l’Iran parie sur son potentiel économique et son marché de 80 millions d’habitants pour dominer la région sans armes nucléaires, en devenant ainsi le centre économique entre l’Asie de l’Est et le Moyen-Orient avec une ouverture sur les grandes puissances mondiales comme la Chine, la Russie et l’Union européenne. D’après El-Labbad, Washington estime de son côté que l’économie et la politique sont deux faces de la même pièce de monnaie. « Ouvrir le marché iranien au commerce international après la levée des sanctions sera une occasion précieuse pour Washington afin de façonner l’avenir politique de l’Iran, à travers le contrôle des articulations de son économie », affirme El-Labbad. Avoir la capacité de diriger la politique iranienne servira plus tard les objectifs régionaux de l’Amérique, de sorte que l’Iran avec son poids politique, économique, géographique et démographique, devienne un pilier de la politique de Washington dans la région. A quoi ressemblera donc le Moyen-Orient une fois que l’Iran et les Etats-Unis auront mis fin à leur confrontation ? Des changements d’alliances sont-ils à prévoir ? L’accord nucléaire va-t-il tempérer l’escalade du conflit entre sunnites et chiites dans la région ? Il faudrait des mois, peut-être des années, pour révéler ses répercussions.

Les grandes lignes de l’accord sur le nucléaire iranien

L’objectif principal du 5+1 est de mettre en place des restrictions pour garantir que le break out, le temps nécessaire pour produire assez d’uranium enrichi permettant de fabriquer une arme atomique, soit d’au moins un an pendant 10 ans.

L’accord de Vienne plafonne le nombre de centrifugeuses enrichissant l’uranium. Celui-ci doit être enrichi à 90 % pour une utilisation militaire.

L’Iran ne pourra enrichir l’uranium qu’à 3,67 % pendant 15 ans et sur le seul site de Natanz. Pendant 10 ans, le nombre de centrifugeuses passera de 19 000 à 5 060, et seuls les modèles les plus anciens IR-1 pourront être utilisés. Les centrifugeuses en excès seront stockées sur le site de Natanz, sous-scellées de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA).u Le site souterrain de Fordow sera transformé en centre de physique et de technologie nucléaires. L’Iran ne pourra pas y mener des activités relatives à l’enrichissement. Il conservera 1 044 centrifugeuses IR-1 dans cette installation.

Les stocks d’uranium enrichi de l’Iran seront strictement limités. Tout l’uranium enrichi au-delà de 3,67 % devra être expédié hors d’Iran ou dilué, à l’exception de l’uranium contenu dans le combustible du réacteur de recherche de Téhéran.

Un régime renforcé d’inspections sera appliqué pendant toute la durée de l’accord, et même au-delà pour certaines activités. L’AIEA pourra ainsi vérifier pendant 20 ans le parc de centrifugeuses et pendant 25 ans la production de concentré d’uranium.

Les sanctions adoptées par l’UE et les Etats-Unis visant les secteurs de la finance, de l’énergie et du transport iraniens seront levées dès la mise en oeuvre par l’Iran de ses engagements, attestée par un rapport de l’AIEA. Cela devrait être fait au début de 2016.

La même procédure sera suivie pour lever les 6 résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations-Unies contre l’Iran depuis 2006. En revanche, les mesures liées à la lutte contre la non-prolifération nucléaire contenues dans ces résolutions (interdiction d’importation de certains matériaux, etc.) seront maintenues pendant 10 ans ou jusqu’à ce que l’AIEA ait attesté du caractère exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien.

Les sanctions relatives aux missiles balistiques et aux importations d’armes offensives sont maintenues. Le transfert de matériels sensibles pouvant contribuer au programme balistique iranien sera interdit pendant 8 ans, sauf autorisation explicite du Conseil de sécurité de l’Onu.

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