
(Photos : Bassam Al-Zoghby)
Sans grande surprise, le oui l’a emporté avec 64 % des voix. Et la nouvelle Constitution a été adoptée en Egypte. Mais avec un taux de participation faible, estimé à environ 32 %, ces résultats viennent approfondir le fossé entre les différentes forces politiques déjà divisées bien avant la tenue de ce référendum.
Lors de la première phase, qui s’est déroulée le 15 décembre dernier, le « oui » l’avait emporté avec 56 % des voix, contre 44 % de « non ». Selon l’opposition et les ONG, les résultats de ce référendum, qui a connu des irrégularités, doivent être annulés.
Les islamistes, eux, y voient une grande victoire. Ainsi, le Parti Liberté et Justice (PLJ), la branche politique des Frères musulmans, dont est issu Mohamad Morsi, s’est félicité des résultats. «peuple égyptien continue sa marche vers la finalisation de la construction d’un Etat démocratique moderne, après avoir tourné la page de l’oppression », a annoncé le parti dans un communiqué. « Nous tendons la main à tous les partis politiques et toutes les forces nationales pour dessiner ensemble les contours de la période à venir. J’espère que nous allons tous commencer une page nouvelle », a lancé Saad Al-Katatni, président du PLJ, sur son compte Twitter.
Mais une question se pose : quels sont les scénarios après ce oui ? En dépit de cette « victoire » des islamistes, les experts politiques estiment que leur popularité ne cesse de baisser. Les crises ne feront que s’amplifier. Pour le politologue Abdel-Ghaffar Chokr, président du Centre des études arabo-africaines, « avec l’approbation de ce texte controversé et entaché de fraudes claires, le courant islamiste pense qu’il a gagné. Au contraire, il ne cesse de perdre des points. Cette Constitution va donner lieu à une série de crises ».
Des crises en perspective

Photos : Bassam Al-Zoghby
En effet, cette Constitution accorde le pouvoir législatif au Conseil consultatif (Sénat) jusqu’à l’élection d’un nouveau Parlement, dans les deux mois suivant l’adoption du texte fondamental. «
Nous sommes face à une vraie catastrophe, car ce conseil travaillera exclusivement pour le parti au pouvoir. Il n’y a donc aucune différence entre ce nouveau conseil et celui qui l’a précédé », explique le politologue Hassan Nafea, qui ajoute que la période à venir sera encore plus compliquée (voir interview page 4).
Un point de vue soutenu par Chokr qui affirme que le Front du Salut National (FSN), une coalition de l’opposition, s’attend à ce que les choses s’aggravent. « On peut s’attendre très prochainement à des confrontations, car le Conseil consultatif va sûrement nous concocter des lois visant à asseoir le pouvoir des Frères musulmans. La loi sur les impôts sera appliquée et les manifestations incriminées. Mais une chose est sûre : nous sommes prêts pour faire face à tout cela », ajoute-t-il.
Les choses ne s’arrêtent pas au Conseil consultatif, mais la vraie bataille se déroulera autour des élections parlementaires. Un vrai défi pour l’opposition qui rassemble actuellement toutes ses forces pour remporter cette bataille.
La bataille ne fait que commencer
Le Front du salut national n’a aucune intention d’accepter le résultat de ce référendum à cause, d’après lui, « de la fraude, des violations et des irrégularités ». Selon Hamdine Sabbahi, ancien candidat à la présidence de la République, les résultats « ne confirment qu’une chose : il n’y a pas de consensus sur cette Constitution ». « Le texte ouvre la voie à une série de lois qui vont balayer les libertés publiques », martèle-t-il. « Le référendum n’est qu’un début ? C’est une bataille parmi d’autres autour de l’avenir de l’Egypte », souligne le FSN dans un communiqué. Celui-ci entend camper sur sa position, alors que des élections législatives sont prévues d’ici deux mois. « Nous maintiendrons notre union et notre cohésion. Nous sommes prêts à participer à toutes les batailles démocratiques », a ajouté Sabbahi, qui appelle les Egyptiens à poursuivre leur lutte.
Selon Nafea, il ne faut pas perdre espoir. L’histoire de la Constitution égyptienne le prouve. Les forces populaires ont jadis obligé le roi Fouad à annuler une Constitution imposée au peuple. Le politologue rappelle ces faits : En novembre 1935, les étudiants de l’Université Fouad Ier (actuellement du Caire), s’étaient rassemblés sur le pont Abbas, pour réclamer l’abrogation de la Constitution dite de 1930 imposée par le gouvernement d’Abdel-Aziz Sedqi et la réinstauration de la Constitution de 1923. Des affrontements ont eu lieu sur le pont, et des martyrs sont tombés. Toute l’Egypte était en deuil. Les grèves ont touché les quatre coins du pays et les journaux ont décidé de s’absenter des kiosques. Ces pressions ont poussé le roi Fouad à se soumettre à la contestation populaire. Il a décidé de rétablir l’ancienne Constitution. La Constitution de 1923 est considérée comme la première Constitution égyptienne au vrai sens du terme. Elle a été le fruit d’un consensus populaire très large. « C’est l’une des meilleures Constitutions au monde », dit Nafea. Elle représente un exemple édifiant de la formation d’une assemblée constituante équilibrée. Certains craignent que le résultat du référendum ne débouche sur une situation difficile avec un pays divisé et un régime islamiste fragilisé. « Il faut savoir que les islamistes sont conscients de la baisse de leur poids dans la rue. D’ailleurs, ils en sont très touchés », conclut Chokr.
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