Le secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon, rencontre les représentants du camp du président yéménite, Hadi.
(Photos : AP)
Après 72 heures d’incertitude, le feu vert des pourparlers de Genève entre les protagonistes du conflit au Yémen, gouvernement légitime et houthis, a été finalement donné, mardi, avec un jour de retard. Ce premier jour s’est achevé sans résultat concret, non pas à cause des différends politiques entre les deux parties yéménites en conflit, mais pour des raisons dites de « logistique », qui ont bloqué l’avion de la délégation des rebelles houthis du mouvement Ansarullah et de ses alliés pendant près de 24 heures à Djibouti. Les discussions devraient s’étendre sur 3 jours. Dans une scène qui ressemble à un « Genève 2 syrien », les premières consultations se déroulent sous la forme de « discussions de proximité ».
Un Yéménite se tient au milieu de maisons en ruine à Sanaa.
(Photos : Reuters)
Les parties opposées se trouvent dans 2 pièces séparées, et l’envoyé spécial fait la navette entre elles « avec l’espoir qu’elles pourront être réunies à la même table », dit l’émissaire spécial de l’Onu pour le Yémen, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed. En effet, l’Onu n’a pas réussi à tenir la première rencontre de pourparlers inter-yéménites, fixée le 28 mai dernier à Genève. Les Houthis et les alliés du président déchu Ali Abdallah Saleh, ont insisté sur le fait qu’un cessez-le-feu devait entrer en vigueur avant le début de toute discussion. De l’autre côté, les représentants du président reconnu internationalement, Mansour Hadi, ont appelé à la mise en œuvre de la résolution 2 216 de l’Onu qui exige que les Houthis déposent les armes et se retirent des territoires conquis avant le début des négociations. Mais cette fois, pour l’émissaire onusien, parvenir à lancer les pourparlers ne signifie pas, comme l’explique Mohamad Abbas, spécialiste des affaires régionales à Al-Ahram, que ces consultations de Genève témoigneront d’une fin rapide des frappes ou de l’ouverture d’une brèche vers un règlement politique puisque les deux acteurs se sont rendus à Genève avec des agendas inconciliables et sans afficher la prédisposition à présenter des concessions. « Il y a beaucoup de défis et de doutes qui minimisent les attentes de ces pourparlers.
Ces premières discussions sous la houlette de l’Onu pour la crise yéménite pourraient ne pas être les dernières », poursuit Abbas. Le président yéménite Hadi a ainsi exclu toute réconciliation avec les rebelles houthis aux pourparlers de Genève : « Pas de négociations. Ce sera juste une discussion sur la mise en œuvre de la résolution 2 216 du Conseil de sécurité de l’Onu », a-t-il dit. « Mais les Houthis, qui continuent à gagner du terrain au Yémen ne voient pas de raison pour l’appliquer », précise Abbas. Pour commencer des négociations, chacun à ses références politiques. Côté Hadi, toute solution politique devrait découler, outre de la résolution 2 216, de 3 autres principales références politiques : l’initiative du Golfe, les résultats du dialogue national, et la déclaration de Riyad (voir p. 5). De l’autre côté, les Houthis insistent sur le fait que « l’accord de partenariat et de paix », conclu en septembre 2014, qui suscite un solide refus du pouvoir légitime et du CCG, devrait être un élément de base à toute négociation.
Raids intensifiés
Les combats et les raids se sont intensifiés au Yémen à la veille de la rencontre de Genève, « les deux fronts ont essayé de montrer leurs muscles afin de modifier chacun en sa faveur l’équilibre militaire sur le terrain pour obtenir des gains politiques aux pourparlers de Genève. Les Houthis ont multiplié les missiles tout près des frontières saoudiennes pour envoyer le message qu’ils ont la capacité de porter atteinte aux territoires saoudiens », dit Abbas. Dimanche, les Houthis ont pris le contrôle d’Al-Hazm, principale ville de la province frontalière de l’Arabie saoudite (voir p. 4). « Le minimum qui peut résulter de ces consultations est une trêve humanitaire pendant le mois de Ramadan. Même celle-ci pourrait être violée à n’importe quel moment, comme cela s’est passé lors des 5 jours de trêve humanitaire entrés en vigueur le 29 mai dernier », dit Abbas, qui ajoute que « les Houthis pourraient profiter de cette trêve pour réorganiser leurs rangs et profiter de l’allégement du blocus aérien et maritime pour compenser leurs pertes ». L’autre avancée que ces rebelles pourraient tirer de Genève est de sortir de leur isolement et gagner une certaine légitimité internationale. « Nous craignons que les Houthis utilisent les négociations de Genève comme tribune pour prononcer un discours politique de propagande », dit Hamza El-Kamaly, membre de la Conférence du dialogue national (voir p. 4). Les Houthis ont initialement refusé d’embarquer dans l’avion de l’Onu à Sanaa qui devait les mener à Genève dimanche dernier, après le changement de formule de l’invitation passée de « pourparlers entre rebelles et gouvernement légitime » à des pourparlers entre « les composantes politiques du Yémen ». Un refus qui a suscité la colère des représentants de Hadi.
Optimisme prudent
Toutefois, Eman Ragab, chercheuse au Centre d’études politiques et stratégiques d’AlAhram, voit une certaine transformation dans les positions des acteurs principaux du conflit yéménite, ce qui « donne une lueur d’optimisme prudent » aux résultats de cette rencontre, pour dessiner les grandes lignes de l’étape à venir. « Le consentement des parties concernées, représentées par le gouvernement légitime et ses alliés régionaux, ainsi que les Houthis et leurs alliés, d’aller à des négociations de Genève, signifie que l’option militaire est devenue faible, avec la longueur de la guerre et l’absence de progrès décisifs sur le terrain », dit-elle. Pour la chercheuse, la non-objection de l’Arabie saoudite, qui a donné le feu vert à la participation du gouvernement légitime aux pourparlers, après avoir toujours insisté de ne pas se rendre à Genève sans l’application de la résolution 2 216, et son accord pour la tenue des pourparlers sous la houlette de Genève, alors qu’elle insistait à ce que tout dialogue yéméno-yéménite se tienne sous ses auspices « est un signe fort qui indique que le Royaume est favorable à ces discussions », croit Ragab. De l’autre côté, « les Houthis ont accepté de participer aux négociations malgré leur avancée sur le terrain après avoir pris conscience que la poursuite de ces opérations ne peut pas leur apporter de gains politiques », dit-elle..
Clé du règlement
Le conflit yéménite se déroule dans un contexte régional beaucoup plus large. La clé du règlement reste dans les mains de deux grands acteurs régionaux : l’Arabie saoudite et l’Iran, comme indique Malek Aouni, rédacteur en chef de la revue égyptienne Al-Siyassa Al-Dawliya (politique internationale). Il n’y a aucun moyen d’atteindre des solutions définitives pour le Yémen sans une entente entre ces deux puissances. Pour Aouni, celles-ci poussent maintenant vers une solution politique. Epuisée par la longue opération militaire qui n’a pu réaliser ses objectifs comme le rétablissement du gouvernement du président Abd-Rabbo Mansour Hadi à Sanaa, l’Arabie saoudite voit ses options se réduire graduellement. « L’option d’une intervention terrestre n’a jamais existé dans le plan de guerre de la coalition. Les frappes des Houthis près de frontières saoudiennes risquent de susciter encore plus de grogne à l’intérieur du Royaume », dit Aouni. D’ailleurs, selon Aouni, l’Iran dont les liens directs ont été totalement rompus avec leurs alliés chiites houthis à cause du triple blocus aérien, maritime et terrestre imposé au Yémen, pousse de son côté vers l’accalmie. Il veut assurer à son allié une place dans l’équation politique du Yémen. Autre raison, comme l’avance Aouni, les négociations autour du nucléaire iranien touchent à leur fin et Téhéran désire envoyer un message d’assurance aux parties internationales et régionales, selon lequel tout accord n’ouvrira pas la porte vers plus d’hégémonie dans la région. « Genève pourrait être une courte trêve d’une longue guerre dont personne ne peut prévoir l’issue », conclut Aouni.
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