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Eradiquer Daech : L’intention politique n’y est pas

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 08 juin 2015

Un an après la chute de Mossoul, deuxième ville d'Iraq, aux mains de Daech et presque 10 mois après le déclenchement de la guerre anti-Daech en Iraq et en Syrie orchestrée par Washington, l'organisation terroriste progresse et se renforce rapidement sur le terrain.

Eradiquer Daech : L’intention politique n’y est pas
(Photos : AP)

« dawla, dawla islamiya (Etat, Etat islamique) », la voix qui retentit dans les haut-parleurs couvre toute la ville de Mossoul. Démoralisées après 4 jours de combat, les forces de l’armée iraqienne prennent la fuite devant l’avancée des hommes en noir de Daech, laissant derrière eux tout un arsenal d’armes qui a ensuite renforcé les capacités de ces djihadistes. C’était il y a un an, le 10 juin 2014. Depuis, le drapeau noir de l’EIIL (Etat Islamique en Iraq et au Levant) flotte sur les bâtiments officiels de la ville de Mossoul, la deuxième ville d’Iraq, marquant un tournant majeur dans l’histoire du pays. « Libérer Mossoul », l’un des grands objectifs qui a mobilisé une vingtaine de pays regroupés sous l’étiquette de la coalition internationale anti-Daech, et qui a lancé ses premiers raids contre ces cibles en Syrie et en Iraq en août dernier, semble avoir été remis à plus tard. Après environ 10 mois et 4 000 raids aériens, la coalition n’a pas encore récupéré la ville, ni même freiné les avancées de Daech. L’organisation terroriste administre toujours ses territoires conquis et gagne de nouveaux territoires, des ressources, mais aussi de nouveaux combattants. L’efficacité de la stratégie militaire de la coalition internationale a de plus été mise à mal, après notamment la conquête par Daech de Palmyre et de Ramadi, deux villes-clés de Syrie et d’Iraq, et la prise du dernier poste-frontière entre les deux pays il y a deux semaines.

L’Etat islamique contrôle désormais trois capitales provinciales à travers la Syrie et l’Iraq, alors qu’il n’en contrôlait que deux au début de l’offensive de la coalition. Le déroulement de la chute de Ramadi ressemble à celui de Mossoul : la fuite des forces iraqiennes régulières devant l’avancée de quelques centaines de combattants de Daech, et laissant derrière elles des armes américaines. Cette offensive a eu lieu alors que Bagdad et Washington ne cessaient de répéter depuis février dernier, après la reprise de Tikrit, que la coalition est « à l’offensive » et que le groupe djihadiste « sera vaincu ».

Réunis à Paris le 2 juin dernier, avec comme but de revoir leur stratégie, les pays de la coalition se sont accordés afin de « promouvoir la même stratégie » qui a prouvé jusqu’à présent son échec. Celle-ci consiste en des frappes aériennes, la formation et l’équipement des forces iraqiennes et les combattants syriens pour les affrontements au sol. « Je pense que c’est un échec de la communauté internationale. Concernant le soutien à l’Iraq, il y a beaucoup de paroles mais peu d’action sur le terrain », a martelé le premier ministre iraqien, Haidar Abadi, avant la tenue du sommet de Paris. Cependant, les Etats-Unis défendent toujours cette stratégie en qualifiant la chute de Ramadi de « revers tactique », et niant que la guerre contre l’EI est en train d’être perdue. « Il faudrait probablement une génération ou plus pour vaincre la menace mondiale que représente le groupe EI », admet le général John Allen, le coordinateur américain de la coalition internationale. Au départ, les militaires américains parlaient d’une guerre limitée qui ne dépasserait pas trois ans.

Réaliser des objectifs

Ekram Badr Al-Dine, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, souligne qu’après 10 mois de guerre anti-Daech, la coalition ne parvient pas à faire reculer les djihadistes, « car il n’y a pas de vraie intention, de la part des grandes puissances, d’éradiquer complètement Daech de la scène. Elles font semblant de les combattre, mais au fond, elles profitent de l’existence de ce groupe terroriste pour réaliser des objectifs ». Parmi eux, comme l’avance le politologue : profiter de la baisse du prix mondial du baril de pétrole, qui a perdu à un certain moment 50 % de sa valeur. Et cela à cause de la vente du pétrole détenu par Daech en Iraq et en Syrie à bas prix sur le marché noir. « Les Occidentaux se servent de cette organisation terroriste comme d’un épouvantail pour les pays de la région, notamment ceux du Golfe, les incitant à signer de gros contrats d’armement », ajoute Badr Al-Dine.

D’un point de vue militaire, Sameh Rached, spécialiste des affaires régionales à Al-Ahram, estime que l’option militaire menée par la coalition, limitée seulement à des frappes aériennes, est « incomplète et partielle ». « Pour vaincre Daech militairement, il y a plusieurs conditions à remplir que les forces de la coalition ne se montrent pas déterminées à respecter : la première de ces conditions est d'imposer un blocus aérien et maritime à l’espace aérien syrien et d’entamer une opération terrestre élargie et organisée qui encercle Daech en Iraq. Et que cela soit en coordination avec les tribus iraqiennes et les clans de l’ouest, ainsi que les factions armées qui luttent contre Assad en Syrie », dit Rached. Et d’ajouter : « Toutes les expériences militaires du monde montrent que les guerres ne se sont pas tranchées par air, mais sur le sol. Les zones montagneuses des combats au sol en Iraq et en Syrie rendent difficiles pour les avions de frapper les cibles. Sans relais au sol, cette option militaire sera toujours incapable de parvenir à un résultat décisif, même si les bombardements se poursuivent contre Daech pendant de longues années ».

Problèmes internes

L’armée iraqienne de la coalition, pilier de la contre-offensive anti-djihadiste, est faible, annonce Rached, et cela explique l’expansion de Daech en Iraq. « Les forces gouvernementales, que ce soit en Iraq ou en Syrie, manquent d’esprit de combat. Elles souffrent de nombreux problèmes internes : déloyautés multiples, absence de doctrine de combativité ou de sens de nationalisme. C’est ce qu’explique leur lâcheté en se retirant des combats, de Mossoul à Palmyre », explique Rached. Pour l’Iraq, depuis le démantèlement de l’armée iraqienne après l’invasion américaine de 2003, l’entité militaire n’a jamais réussi à se reconstruire. La « débaassification » des cadres, en limogeant les gradés compétents et la nomination de nouveaux militaires, non en raison de leurs compétences, mais de leur allégeance au pouvoir en place à Bagdad, a accentué la tendance. Quant à l’armée syrienne, sans le soutien que lui accordent l’Iran et la Russie, elle serait encore plus affaiblie.

Les seules forces qui luttent aujourd’hui effectivement sur le terrain sont les Kurdes d’une part, et les milices chiites iraqiennes soutenues par l’Iran d’autre part. Toutefois, ces forces sont motivées par leurs propres intérêts. Les Peshmergas kurdes qui résistent le mieux à Daech, en coopérant avec le gouvernement iraqien, aspirent à une indépendance. Ils sont peu désireux d’aller combattre dans des villes qui ne font pas partie des zones qu’ils revendiquent. Réunies sous le sigle des « Unités de la mobilisation populaire » (MP), les milices chiites ne cachent pas leur dépendance de l’Iran, qui leur fournit armes et conseillers. Par ailleurs, selon Rached, l’expérience des régions desquelles Daech a été expulsée par ces milices chiites a été très « négative », comme à Tikrit (Iraq), quand les milices chiites ont empêché le retour des habitants originaires de cette ville. « Les milices chiites sont motivées par une volonté confessionnelle d’étendre l’influence chiite dans la région en suscitant les craintes des sunnites de l’Iraq. C’est autour du rejet de cette influence que Daech a construit toute sa popularité auprès des sunnites marginalisés de l’Iraq », estime Rached.

Dilemme de l’armement

L’un des piliers de la stratégie de lutte contre Daech a été d’armer les tribus sunnites pour les aider à faire face aux terroristes dans leur région. Mais cela n’a en réalité jamais vu le jour. Après la chute de Ramadi, le président américain a déclaré son intention d’« examiner la possibilité d’accélérer la formation et l’équipement des tribus locales dans l’espoir de reprendre Ramadi ». Bien que Washington ait mentionné dans son budget de guerre anti-Daech « la formation et l’armement de 8 000 combattants sunnites dans la ville d’Anbar », cette clause n’a pas été appliquée, puisqu’elle nécessitait auparavant l’aval du parlement iraqien. La dernière réunion à Paris a d’ailleurs fait pression sur le gouvernement iraqien, afin qu’il fasse plus de places aux sunnites dans le combat contre l’EI. Toutefois, le projet de loi de formation d’« une garde nationale dans les régions à majorité sunnite et de l’armement des tribus sunnites reste bloqué par les parlementaires chiites, sous prétexte que les armes pourraient tomber aux mains de Daech. Cette perturbation délibérée a suscité la grogne des tribus sunnites qui combattent depuis un an le groupe terroriste, sans armes, ni soutien de la coalition. Certains d’entre eux ont choisi de rejoindre les rangs de Daech, tandis que d’autres ont préféré prendre une position neutre », dit Rached.

Pour Badr Al-Dine, en parallèle à l’action militaire, le volet d’une solution politique devrait être proposé avec insistance par les pays arabes pour se débarrasser définitivement de Daech. Cela nécessite une transition politique pacifique en Syrie. « Et en Iraq, le gouvernement de Haider Al-Abadi devrait dénoncer les politiques totalement sectaires de son prédécesseur, Nouri Al-Maliki, et poursuivre les réformes nécessaires pour la réconciliation avec les sunnites, pour ne pas donner à Daech l’occasion de profiter de leur mécontentement en Iraq », conclut Ekram.

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