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Référendum : Oui, mais ...

Chaïmaa Abdel-Hamid et Chérine Abdel-Azim, Mardi, 18 décembre 2012

Les non officiels 44 % de « non » marquent un recul des islamistes et laissent augurer un nouvel équilibre politique. L’opposition semble satisfaite des premiers résultats, mais les gouvernorats qui n’ont pas encore voté pourraient se prononcer très largement en faveur du « oui ».

Oui

Cela fait plusieurs semaines que la scène se répète presque tous les mardis : des marches de protestation dans les rues du pays à l’appel du Front du salut national incitant les Egyptiens à se mobiliser contre le projet de Constitution, voté à la hâte. « Le Front appelle les Egyptiens à descendre dans la rue mardi afin de défendre leurs libertés, d’éviter les fraudes et de rejeter le projet de Constitution », a-t-il indiqué dans un communiqué dimanche soir, au lendemain des premiers résultats officieux du référendum.

Selon les résultats non officiels du premier tour, basés sur des comptages fournis par des responsables de bureaux de vote dans les 10 régions du pays concernées par le scrutin de samedi, le référendum compterait à 56,5 % de « oui ».

De longues files d’attente ont été constatées devant les bureaux de vote, de 8h à 23h. La première phase du référendum se tenait dans 10 gouvernorats, dont Le Caire et Alexandrie et la région du Sinaï, représentant quelque 26 millions d’électeurs sur un total de 51,3 millions. Les 17 autres gouvernorats voteront le 22 décembre, la commission électorale ayant décidé que le référendum aurait lieu sur deux jours pour remédier au manque de juges. De nombreux magistrats sont engagés dans une fronde contre le pouvoir et refusent de participer à la surveillance électorale.

La participation en chute libre

Pour la première phase, on parle d’un taux de participation (toujours non officiel) d’environ 31,08 %, soit une baisse de 15,26 % par rapport à la participation du référendum de mars 2011.

A 23h, presque tous les bureaux de vote avaient fermé leurs portes pour commencer à trier les bulletins. Le travail a été presque le même dans la majorité des circonscriptions. Pourtant, à l’école Al-Tarbiya Al-Fekriya située à Madinet Nasr (réservée aux femmes), les files d’attente n’en finissaient pas. Ce n’est qu’à 23h45 que le bureau de vote nº13 a fermé ses portes. Puis le conseiller Samiha Al-Cherbini, responsable de ce bureau, a donné ordre d’ouvrir les urnes après avoir demandé aux policiers de quitter les lieux.

Dans la salle, seuls 6 fonctionnaires chargés d’aider le conseiller, ainsi que 2 observateurs, l’un appartenant au Parti Liberté et justice (Frères musulmans) et l’autre au parti d’Al-Masréyine Al-Ahrar (libéral), suivent le processus.

Deux urnes pleines doivent être vidées, après le vote de 2 700 des 5 445 électrices inscrites ici. Les fonctionnaires commencent à faire le tri : les « non » à droite, les « oui » à gauche et les nuls au milieu. « Non, non, non, non, oui ... », entend-on inlassablement. Les bulletins acceptant la Constitution paraissent bien faibles dans cette circonscription, avec un taux de 1 sur 4.

L’un des fonctionnaires tombe même sur un message envoyé au président Morsi par un jeune qui lui demande, aussi bien qu’au guide spirituel de la confrérie, Mohamad Badie, de « laisser le pays en paix ». Un message peu apprécié par l’observateur de la confrérie. Vers 1h, le travail est achevé avec 2 100 « non » et 502 « oui ». Les deux observateurs ne tardent pas à envoyer le résultat par sms.

Une victoire ?

Dès le lendemain du référendum, le Parti Liberté et justice indique sur son site Internet que 56,5 % des électeurs ont voté pour la Constitution. Ils ont fêté leur victoire en annonçant que l’adoption du texte doterait le pays d’un cadre institutionnel stable après la transition tumultueuse qui a suivi la chute de Hosni Moubarak en février 2011.

Mais s’agit-il vraiment d’une victoire ? Certains spécialistes estiment que contrairement à ce qui peut en avoir l’apparence, et bien que les résultats paraissent jusque-là en faveur du « camp des islamistes », ils reflètent au contraire un succès pour l’opposition.

C’est ce qu’affirme le chercheur Mohamad Al-Agati, directeur exécutif du forum arabe Al-Badaël pour la recherche. Selon lui, les premiers résultats de cette phase du référendum sont une victoire sans précédent pour l’opposition égyptienne. « On parle d’à peu près 56 % contre 44 %. Il s’agit du plus haut pourcentage réalisé par l’opposition en Egypte. L’opposition a su se créer en peu de temps un poids important dans les régions de prise de décision, telles que Le Caire, Alexandrie et Gharbiya ».

Le Caire et Gharbiya ont enregistré, selon les estimations, un pourcentage important en faveur du « non » avec respectivement 57 % et 52 %. « Réaliser des taux aussi importants dans ces gouvernorats est un message important aux islamistes qui, bien que majoritaires, doivent comprendre que leur popularité ne fait que baisser », résume Al-Agati.

Ce sont surtout les gouvernorats les plus pauvres, et qui connaissent un taux élevé de chômage, qui continent à soutenir les islamistes. Les chiffres le prouvent : ce sont surtout les régions du sud de l’Egypte, telles que Sohag et Assiout qui soutiennent encore les islamistes. Al-Agati souligne à cet égard que « ces régions ont tendance à garder leur même orientation de vote. Ils cherchent à s’éloigner des conflits et choisissent les options les plus simples pour soi-disant créer une stabilité. D’autres soutiennent le régime, quel qu’il soit. Ainsi, il existe des gouvernorats qui ont voté Ahmad Chafiq lors de la présidentielle et aujourd’hui pour les décisions de Morsi ».

1 500 plaintes

Les résultats officiels ne seront connus qu’après l’achèvement de la deuxième phase du vote. Mais, pour l’opposition, rien n’est joué. Le Front du salut national, qui regroupe les courants d’opposition, a d’ores et déjà fait savoir qu’il ne reconnaissait pas les résultats avancés par les Frères en raison de nombreuses irrégularités. « Le processus électoral du référendum a été entaché de nombreux violations, irrégularités et manquements », a estimé le Front dans un communiqué. On compte jusque-là environ 1 500 plaintes déposées pour infractions.

Pour Abdel-Ghaffar Chokr, membre du Front national, « il ne faut pas croire que la lutte du Front s’arrêtera avec ces résultats. On poursuivra jusqu’au bout, car l’avenir de l’Egypte ne dépend pas seulement de ces résultats ou même de ceux qui sortiront samedi prochain. Les islamistes doivent reconnaître leur recul et leur faillite à travers ce référendum ».

Des ONG ont aussi dénoncé dimanche des résultats entachés d’irrégularités. Le scrutin de samedi était « un référendum à la Moubarak », a affirmé lors d’une conférence de presse Bahaeddine Hassan, du Centre du Caire pour les droits de l’homme. Hassan lisait un communiqué signé par plusieurs ONG, dont l’Organisation égyptienne des droits de l’homme (EOHR) et le mouvement Chaïfencom (nous vous voyons).

Pendant le scrutin, des observateurs de la société civile ont été empêchés d’entrer dans des bureaux de vote, la supervision judiciaire n’était pas totale et des personnes inconnues se sont fait passer pour des magistrats, toujours selon ces ONG. (voir p.5). Les autres régions voteront samedi. Le « oui » devrai arriver largement en tête : ces localités sont considérées comme plus favorables aux islamistes. Mais il faudra sans doute voir plus loin que ce référendum. « Si les 44% de voix allées à l’opposition se retrouvent dans les élections législatives qui doivent être organisées dans quelques mois — si la Constitution est adoptée — nous aurons un Parlement équilibré avec différents types de courants politiques », conclut Al-Agati.

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