C’est à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Washington, dans la région montagneuse du Maryland, dans la résidence présidentielle de Camp David, que le tête-à-tête entre le président américain et des représentants des monarchies du Golfe doit avoir lieu ce mercredi. Une sorte de camp David III. Dans cette résidence, deux événements d’une portée historique pour les Arabes ont eu lieu. Il s’agit de l’accord de paix de Camp David I, signé le 18 septembre 1978, entre Israël et l’Egypte, et le sommet de Camp David II, en 2000, entre Israël et l’Autorité palestinienne.
Cette fois-ci, la rencontre ne manque pas aussi d’importance puisque selon beaucoup d’observateurs, elle pourrait marquer un tournant décisif dans les relations entre les Etats-Unis et les monarchies du Golfe.
Les chefs des Etats arabes sont animés par des craintes croissantes d’un désengagement américain de la région en faveur de Téhéran. L’accord cadre sur le nucléaire iranien, signé à Lausanne en avril, entre l’Iran et les puissances occidentales, alimente davantage leur méfiance. Quelques jours seulement après la signature de cet accord, le président Obama a adressé des invitations aux pays du Golfe pour « les rassurer » et les convaincre des bienfaits de l’accord avec l’Iran.
Malgré l'absence des monarques arabes annoncée 48 heures seulement avant la réunion, celle-ci a eu une préparation assez intense.
Une réunion extraordinaire des pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) a eu lieu le 4 mai, à Riyad, pour élaborer un agenda commun lors du sommet. Deux réunions ont également regroupé, à quelques heures du sommet, John Kerry avec les pays du Golfe, une à Paris et l’autre à Riyad. La presse américaine, elle, ne cesse de spéculer sur « les garanties sécuritaires » que Washington peut présenter aux monarchies du Golfe à Camp David. En fait, l’avenir de l’alliance historique entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite est aujourd’hui remise en cause. Il y a 70 ans, le 14 février 1945, le premier sommet entre le roi Saoud, fondateur du Royaume saoudien, et le président américain, Franklin Roosevelt, avait lieu sur le croiseur US Quincy, sur lequel les deux pays ont signé un pacte qui positionne Washington comme le garant de la sécurité de la région du Golfe, en échange du pétrole. Une stratégie que les administrations américaines successives ont conservé, au cours des dernières décennies. La doctrine de Carter, ce principe mis au point dans les années 1980 en réponse à la révolution iranienne en 1979 et l’invasion soviétique de l’Afghanistan, veut que toute tentative étrangère de gagner le contrôle de la région du Golfe provoque des représailles militaires de la part des Etats-Unis. Ce principe s’est traduit par l’installation de bases militaires américaines dans la région du Golfe, le développement des capacités des pays du Golfe par les ventes d’armes, ainsi que par la formation et les entraînements militaires. (voir p. 4). Le niveau des ventes d’armes américaines à l’Arabie saoudite a ainsi enregistré 86 milliards de dollars entre 2010 et 2013.
Mais les pays du Golfe ont apparemment commencé à prendre une certaine distance vis-à-vis de Washington, notamment après l’hésitation d’Obama sur l’intervention militaire en Syrie. Riyad estime également que Washington « aurait dû soutenir l’Arabie saoudite », lorsque cette dernière est intervenue au Bahreïn pour mettre fin aux manifestations anti-gouvernementales en 2011. L’Iran et le Hezbollah ont été relevés cette année de la liste des pays et des entités soutenant le terrorisme, dans le rapport annuel remis en février dernier au sénat américain, par les renseignements nationaux, ce qui irrite davantage les monarques du Golfe.
Pour Tareq Fahmi, analyste au Centre régional des études stratégiques (RCSS) : « Le sommet de Camp David serait un sommet exploratoire au cours duquel les monarchies vont tester la politique ambiguë de Washington dans plusieurs dossiers régionaux notamment ceux qui les mettent face à Téhéran ». Mais le Yémen serait, selon Moustafa Kamal Al-Sayed, professeur de sciences politiques, le dossier le plus chaud (voir p 5). Inquiets d’un retour en force de l’Iran dans la région, les pays du Golfe entendent poser un tas d’interrogations au côté américain. La grande interrogation serait : quel rôle va confier Washington à Téhéran ? L’Iran va-t-il devenir le policier du Golfe ? Et quelles sont les concessions américaines pour que l’Iran parvienne à un terrain d’entente avec Washington, autour de son programme nucléaire ?
Le principe d’Obama
Selon Malek Aouni, directeur de rédaction du magazine Al-Siyassa Al-Dawliya, publié par Al-Ahram, la relation entre les Etats-Unis et les monarchies du Golfe connaît des transformations majeures, dont la teneur sera dévoilée au sommet. La première transformation c’est le changement du degré et de la nature de l’engagement américain pour la sécurité de la région du Golfe. « Obama va redéfinir le rôle américain dans la région, en posant de nouveaux fondements de manière à mettre fin à la participation américaine directe aux conflits de la région. Et c’est désormais aux pays du Golfe d’endosser cette charge. En bref, les pays du Golfe seront seuls face aux défis régionaux. C’est le message que Washington va essayer de transmettre aux monarchies à Camp David », dit Aouni. Ce principe d’Obama, ajoute Aouni, explique la passivité américaine en ce qui a trait à l’influence iranienne et dont se plaignent les pays du Golfe.
Un recul progressif de l’importance stratégique de la région, en ce qui a trait au flux de pétrole, serait derrière ce tournant dans la stratégie américaine envers les pays du Golfe, explique Aouni, qui prévoit qu’au cours des 15 années à venir, les Etats-Unis deviendront moins dépendants du pétrole du Golfe, vue les transformations sur le marché pétrolier et l’émergence de plusieurs alternatives au pétrole classique.
Garanties sécuritaires et militaires
5 000 troupes américaines sont stationnées au Koweït. (Photo : AFP)
Les garanties militaires annoncées par John Kerry et que Washington entend présenter aux monarchies du Golfe en guise « d’alternative » à sa présence directe n’apaisent guère les craintes de ces pays. C’est ce qu’affirme Moustafa Kamel Al-Sayed. Lors d’une conférence de presse à Paris, le chef de la diplomatie américaine a déclaré que les Etats-Unis vont proposer aux pays du Golfe un nouvel accord de sécurité. « Aujourd’hui et à Camp David, le 13 mai, nous sommes en train d’étoffer une série de nouveaux engagements qui créeront entre les Etats-Unis et le CCG un nouveau pacte de sécurité », a déclaré Kerry, après sa rencontre avec les ministres des Affaires étrangères des six pays du CCG.
Outre la relance du marché de l’armement américain où les monarchies du Golfe sont les grands clients, la vraie intention américaine, comme indique Aouni, en renforçant la capacité dissuasive des pays du Golfe face à Téhéran, c’est de créer un état d’équilibre entre sunnites et chiites de sorte que la région reste dans un état de divisions permanent et en même temps de garder un certain équilibre entre ces deux puissances régionales en conflit, afin de ne pas permettre qu’une partie impose son hégémonie sur la région.
Nouvelle carte de pression
Selon beaucoup d’analystes, le dossier de la démocratie et des droits de l’homme pourrait figurer aussi à l’ordre du jour du sommet. Un changement de ton sans précédent envers les monarchies du Golfe a été dévoilé lors de l’entretien d’Obama avec Thomas Friedman, publié dans le New York Times : « Les Etats arabes sont plus menacés par leurs peuples mécontents que par l’Iran … Il faut encourager les réformes internes pour offrir aux jeunes une alternative à Daech », disait Obama.
« Utiliser la démocratie comme carte de pression contre les monarchies du Golfe, est la deuxième transformation majeure dans la relation entre les Etats-Unis et les pays du Golfe », explique Aouni. Il ajoute qu’à chaque fois que Washington veut se libérer des charges assumées envers un pays, il utilise cette carte. Aouni donne l’exemple du régime de Moubarak en assurant que les pays du Golfe ne sont pas non plus à l’abri. « Opérer des transformations démocratiques internes et élargir la participation politique, c’est l’option qui se dresse devant les pays du Golfe, afin de se libérer de toutes les pressions internes et externes », affirme Aouni.
« A Camp David, on s’attend à une rencontre difficile », prévoit Fahmi. L’ambassadeur émirati à Washington a même déclaré à quelques jours du sommet que son pays va demander un engagement écrit de Washington pour la sécurité de la région. « Dans le passé, nous avions accepté la parole d’honneur des Etats-Unis concernant la sécurité de la région ... Je pense qu’aujourd’hui, nous avons besoin de garanties de sécurité par écrit ».
Selon un projet d’accord qui a été divulgué par les médias américains et qui est censé résulter de la réunion de Camp David : Washington entend lancer un arsenal défensif dans la région du Golfe et accélérer la procédure de vente et de livraison d’armes aux monarchies. Il est prévu que cet arsenal défensif inclut des missiles Patriot et Thaad, fabriquées par Lockheed Martin, et vont être déployés immédiatement après le sommet.
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