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Syrie : Dialogue de sourds

Samar Al-Gamal, Jeudi, 16 avril 2015

Des émissaires du régime de Bachar Al-Assad ont rencontré, cette semaine, des membres de l'opposition syrienne pour un nouveau cycle de négociations, sous l’égide de Moscou. Une rencontre sans résultat.

Syrie : Dialogue de sourds
(Photos : AP)

A l’instar du premier volet de négociations moscovites en janvier dernier, les négociations entre une partie de l’opposition syrienne et des émissaires de Damas se sont achevées sans résultat concret, voire sans aucun signe de déblocage et avec chaque partie blâmant l’autre pour cet échec. L’espoir d’une percée était déjà maigre avant le début de la rencontre, même si le régime de Bachar Al-Assad l’a qualifié de « fécond et plein de perspectives », par la voix de l’ambassadeur syrien en Russie, Riad Haddad. « Nous n’avions pas d’attentes excessives, nous ne nous attendions pas à ce que la rencontre règle la crise syrienne », a, pourtant, affirmé le médiateur russe des rencontres, Vitali Naoumkine, à l’issue des négociations d’une semaine. Les participants ne sont tombés d’accord que sur l’adoption d’un « document de travail » en plusieurs points, qui reprend des principes généraux ayant déjà été adoptés lors des pourparlers de Moscou en janvier, à savoir « le respect de la souveraineté de la Syrie, de son unité et de son intégrité territoriale », « la lutte contre le terrorisme international », « le règlement de la crise syrienne par des moyens politiques et pacifiques conformément aux principes du communiqué de Genève du 30 juin 2012 » et « le rejet de toute ingérence étrangère ». Mais ils ont peiné à approuver les procédures permettant l’établissement « de mesures de confiance » entre Damas et les opposants, notamment la libération des prisonniers, et les délégations se sont séparées sans fixer de date pour une nouvelle rencontre. Fin janvier 2015, des négociations avaient eu lieu sous les auspices du Kremlin, à Moscou, entre 32 représentants de groupes de l’opposition tolérée par les autorités syriennes et 6 représentants du régime de Damas. Cette fois-ci les invités n’avaient pas vraiment changé. Le régime de Bachar a dépêché à Moscou son représentant permanent auprès de l’Onu, Bachar Al-Jaafari, « connu pour ses positions radicales et ses menaces explicites à ceux qui ont participé à Genève 2 », estime l’opposant syrien Salam Kawakibi.

Du côté de l’opposition, n’ont assisté que les opposants tolérés par Damas, ou ceux qui acceptent de coopérer avec le régime. Ainsi le fameux opposant et fondateur du « mouvement de la fondation de l’Etat », Louay Hussein, a été empêché de quitter la Syrie. De quoi pousser Kawakibi à s’exprimer dans un article publié, lundi, sur la rencontre, qu'il a intitulé : « l’illusion renouvelée à Moscou ». Même la Coalition nationale syrienne, basée à Istanbul et qui sert de plateforme à l’opposition syrienne en exil, a boycotté la rencontre, faute de confiance dans les Russes.

Cette dernière n’a pas assisté au « processus du Caire », aux réunions de l’opposition syrienne le mois dernier et n’a pas été invitée à la prochaine rencontre, prévue début mai, dans la capitale égyptienne. Et il semble que, dans certaines des 100 capitales qui avaient reconnu la Coalition comme alternative au régime de Bachar, il y a une ambition de former un rassemblement susceptible d’être une alternative à l’actuelle Coalition syrienne pour ouvrir des négociations avec le régime de Damas.

Le souci du Caire

Des membres de la Coalition avaient, pourtant, pris part aux rencontres du Caire mais à titre individuel, et selon un haut diplomate égyptien proche du dossier, Le Caire avait depuis longtemps un souci avec cette Coalition parce qu’elle n’inclut pas « l’opposition respectée à l’intérieur ». « Nous avions mené des tentatives pour les inclure, mais le problème a augmenté après le 30 juin, car les Frères musulmans sont une principale composante de la Coalition, ce qui est devenu un problème avec l’Egypte », explique le diplomate parlant sous couvert d’anonymat. Il rappelle, ainsi, l’élection de Khaled Khoja à la tête de la Coalition alors qu’il détient la citoyenneté turque et a des liens avec les Frères musulmans. « La direction est ainsi devenue Frère/turc. L’Egypte s’abstient d’inviter Khoja et évite de le rencontrer ailleurs. Il existe une forte tension entre les deux parties et nous pensons qu’il faudrait un éventail plus large et pas nécessairement une nouvelle coalition », avoue le diplomate. A la Ligue arabe aussi, le président de la Coalition était traditionnellement invité à la session d’ouverture du sommet arabe pour prononcer un discours, et cela n’a pas été le cas lors de la rencontre des chefs d’Etat à Charm Al-Cheikh.

Face à la montée en puissance de Daech, certains pays dont les Etats-Unis, qui faisaient du départ d’Assad une condition sine qua non à toute discussion, sont en train de revoir leur position.

Et c’est ici un point de désaccord entre l’Egypte et l’Arabie saoudite. « Riyad estime que la clé de la résolution de la crise est le départ de Bachar surtout qu’elle ne lui a jamais pardonné son discours lors de la guerre au Liban en 2006 qualifiant les dirigeants arabes du Golfe de semi-hommes », précise un diplomate égyptien qui a servi à Damas. L’Egypte croit en une solution « politique » et non « militaire » du conflit syrien, contrairement au Royaume saoudien qui pense que Bachar ne partira que par une intervention militaire. Selon le diplomate, « la position du Caire se résume à certains principes qui visent à éviter un effritement de la Syrie à l’image du Yémen ».

Les responsables égyptiens auraient, dans les discussions avec les pays concernés par la crise, expliqué qu’ils exigaient avant tout « de maintenir la cohésion territoriale de la Syrie et la protection des institutions de l’Etat syrien, et par institutions ils veulent dire avant tout l’armée et les renseignements ».

Une formule à la yéménite, lorsque les Saoudiens ont poussé Ali Abdallah Salah à renoncer au pouvoir et à remettre les rênes à un de ses hommes, Hadi Mansour.

Mais si les Saoudiens ont les moyens, surtout financiers, pour imposer un tel scénario à Sanaa, qui peut le mettre en oeuvre à Damas ? La véritable partie capable de le faire n’est pas la Russie, mais l’Iran. « C’est Téhéran qui décide. Si quelque chose doit être négocié, ce sera autour d’une table avec les Iraniens, et là l’Arabie lève un carton rouge car à ses yeux cela équivaut à une reconnaissance de l’influence iranienne en Syrie », explique le diplomate.

Au bout du compte, il y aura probablement une solution négociée. L’accord-cadre, signé entre l’Iran et le groupe des 5+1, devrait ouvrir la porte au règlement des questions régionales en suspens. Mais pour abandonner Bachar, Téhéran réclamera un prix fort.

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