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Yémen : Les calculs de l'Egypte

Ahmad Eleiba, Mercredi, 08 avril 2015

Plusieurs raisons ont poussé Le Caire à se joindre à l’opération saoudienne au Yémen. Au-delà des questions géostratégiques, c’est la puissance de l’armée égyptienne qui est réaffirmée dans une lutte contre l’influence iranienne.

Yémen : Les calculs de l
(Photo : Fady Fares)

Yemen
Des maisons en ruine à Sanaa après les frappes aériennes. (Photo : AP)

L’annonce par l’Egypte de sa participation à la Tempête décisive, l’opération menée par 9 Etats arabes et le Pakistan, n’a pas été une surprise, surtout dans le contexte des déclarations du président Abdel-Fattah Al-Sissi concernant la sécurité de la région. Il n’est pas étonnant que l’Egypte fasse partie d’une coalition que d’aucuns considèrent comme le début de la force arabe commune, force prônée par Al-Sissi.

Cependant, les motifs et les calculs qui ont incité l’Egypte à s’allier ainsi à cette opération saoudienne ne cessent de susciter les polémiques. Jusqu’à aujourd’hui, aucun communiqué officiel n’a été promulgué par les Forces armées ou le ministère des Affaires étrangères sur la nature de l’implication de l’Egypte ou même sur l’évolution de l’opération.

Les seules informations rendues publiques parlent de Riyad comme du siège des opérations militaires et mettent l’accent sur le caractère maritime et aérien de l’intervention égyptienne, sans être plus spécifiques. En outre, il a été annoncé que des forces terrestres pourraient intervenir si nécessaire.

Objectifs géostratégiques

Il s’est avéré lors du 26e sommet arabe ordinaire, qui s’est tenu à Charm Al-Cheikh du 26 au 29 mars, que les objectifs de l’opération militaire visent à détruire l’infrastructure militaire du mouvement houthi, à le démilitariser et à redorer le blason des institutions étatiques sous l’emprise des Houthis. Les aspects relatifs au rôle égyptien se sont plus tard concrétisés dans les propos d’Al-Sissi au 7e jour de l’opération qui parlait de la sécurité du Golfe.

Les calculs qui ont poussé l’Egypte à se lancer dans cette opération militaire sont nombreux. Il y a d’abord le détroit de Bab Al-Mandab en mer Rouge (lire page 4). Le Caire tente de réitérer sa souveraineté sur le détroit en envoyant des messages directs aux acteurs régionaux, plus particulièrement à l’Iran, principal soutien des milices houthies.

Une des justifications, comme l’expliquent plusieurs responsables sécuritaires contactés par l’Hebdo, est que l’Egypte intervient en vertu de son droit à protéger la navigation passant par le Canal de Suez. Il semble avoir été convenu avec l’Arabie saoudite que le golfe d’Aden serait le point de déploiement des forces maritimes égyptiennes participant à l’opération.

Renforcer le leadership égyptien

Mais il semble que l’Egypte cherche surtout à redorer son blason de leader arabe et régional avec, en arrière-plan, le maintien des bonnes relations avec l’Arabie saoudite qui soutient l’Egypte, notamment financièrement, depuis le renversement de Mohamad Morsi.

Le Caire a ainsi accepté d’adhérer à la coalition sous la direction de l’Arabie saoudite, tout en poussant à la création d’une force arabe commune pour institutionnaliser de telles opérations.

Mais cette relation privilégiée avec l’Arabie saoudite n’écarte pas certaines divergences notamment sur le dossier syrien. L’intronisation du nouveau souverain saoudien, qui suit une politique parfois opposée à celle de son prédécesseur le roi Abdallah, notamment sur un possible dialogue avec les Frères musulmans, aurait renforcé les points de désaccords.

Contrer l’Iran

La position égyptienne s’inscrit aussi dans une volonté d’affirmer l’identité arabe de la région, particulièrement face à l’Iran. L’Iran a réussi, lors des deux dernières décennies et suite à l’invasion américaine de l’Iraq, à ancrer davantage sa présence dans la région, que ce soit en prolongeant sa mainmise sur les évolutions en Iraq, à travers le portail du Hezbollah, ou par son soutien apporté à Damas. Enfin, au Yémen, l’Iran est présent à travers les Houthis.

Ces soutiens représentent, pour l’Egypte, une possible perte d’influence, notamment culturelle. L’opération Tempête décisive a donc logiquement été perçue comme un conflit sunnite-chiite. La placer sous l’égide d’une force arabe commune aurait pu atténuer ce sentiment, en plaçant le conflit dans le cadre de la « sécurité arabe ».

Mais, selon les déclarations du sommet de Charm Al-Cheikh, c’est bien l’Iran qui est visé. « De nombreux régimes et armées ont subi de violentes secousses à la suite du Printemps arabe. Ce qui a permis à l’Iran d’imposer son hégémonie sur la région et d’encercler les pays du Golfe. Dans tous les cas, les choses ne s’arrêteront pas à l’étape de l’opération militaire », indique une source sécuritaire sous couvert d’anonymat.

La tenue d’une conférence à Riyad à la suite de l’opération militaire est à l’horizon afin d’engager un dialogue yéménite, mais en excluant les Houthis et Ali Abdallah Saleh. Il semble aussi possible que l’Arabie saoudite ne s’accapare pas du dossier. Et si les choses se passent selon la volonté de Riyad dans le dossier yéménite, se passeront-elles selon la volonté du Caire dans le dossier libyen ?

L’intervention au Yémen n’est pas sans rappeler les grandes heures de l’armée égyptienne à l’époque nassérienne. L’Egypte cherche aujourd’hui à réaffirmer la puissance de son armée en menant à bien l’opération Tempête décisive.

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