Les avoirs de Moubarak sont toujours gelés.
Trois ans après la révolution du 25 janvier, les autorités égyptiennes n’ont toujours pas mis la main sur la fameuse fortune accumulée par l’ancien président Hosni Moubarak, sa famille et les membres de son régime dans les banques européennes. Le chef de l’Autorité des gains illicites, le juge Ibrahim Al-Héneidi, a annoncé cette semaine que l’Union européenne a décidé à la demande de l’Egypte de proroger d’un an supplémentaire (jusqu’au 22 mars 2015) le gel des avoirs de l’ancien président Hosni Moubarak et de 18 responsables de son régime.
Plusieurs membres de la famille Moubarak et hauts responsables de son régime disposent de fonds dans les banques européennes, notamment en Suisse. Parmi eux, Alaa et Gamal, les deux fils de l’ancien président, son épouse Suzanne, Habib Al-Adely, ancien ministre de l’Intérieur, Ahmad Nazif, ancien premier ministre, Rachid Mohamad Rachid, ancien ministre de l’Industrie, l’homme d’affaires Ahmad Ezz et Zoheir Garana, ancien ministre du Tourisme.
L’Union européenne avait décidé de geler les avoirs de Moubarak, sa famille et les membres de son régime le 21 mars 2011 après la chute de l’ancien président en février 2011. En Suisse, le Conseil fédéral a publié une ordonnance en ce sens demandant aux banques suisses de rechercher et de geler les avoirs du clan Moubarak. D’après la Banque nationale suisse, fin 2009, les dépôts égyptiens sur les comptes en Suisse atteignaient 3,6 milliards de francs suisses (2,27 milliards d’euros). En juillet 2012, la Suisse a bloqué de nouveaux avoirs appartenant à Moubarak et à son entourage d’une valeur de 700 millions de francs suisses.
Depuis janvier 2011, cependant, les autorités égyptiennes en sont au même stade. La Suisse est, à ce jour, le seul pays de l’Union européenne à geler les avoirs de Moubarak. En Grande-Bretagne, le gouvernement refuse d’annoncer le montant des avoirs de la famille Moubarak en vertu de la loi fiscale dans ce pays, « jusqu’à ce que le gouvernement égyptien présente des copies des jugements condamnant Moubarak et les membres de sa famille ». Des sources officielles britanniques ont affirmé que l’un des problèmes essentiels pour la restitution de ces fonds était le manque de preuves présentées par les autorités égyptiennes. « Le gouvernement britannique ne peut émettre d’ordonnance de blocage sur la seule base de soupçons. Des preuves substantielles sont nécessaires », a prévenu Jeremy Browne, secrétaire d’Etat pour la Prévention du crime.
Moubarak et sa famille disposent de fonds également aux Etats-Unis. Or, les autorités américaines ont refusé jusqu’à présent d’annoncer leur montant. Pourquoi ce statu quo ? Et surtout, quel sera le sort de ces fonds ? Ghada Moussa, professeur à la faculté des sciences politiques de l’Université du Caire, analyse : « Pour avoir une chance de récupérer ces fonds, l’Egypte doit fournir des copies des jugements définitifs des procès dans lesquels sont impliqués Moubarak, sa famille et les membres de son régime ». Mais Moubarak et ses deux fils sont toujours en jugement. Idem pour les membres de son régime, dont certains ont même été libérés. D’où la situation actuelle. « En ce qui concerne le gel de ces avoirs, chaque pays a sa propre loi qui détermine les étapes à suivre pour récupérer ces fonds. Il existe aussi un autre problème, c’est que les avoirs de Moubarak ne sont pas tous en argent liquide. La plupart des fonds détournés sont des actions placées dans des entreprises multinationales. Cela complique les procédures liées à leur restitution. Tout ceci sans compter le fait qu’il n’y a pas d’accords d’entraide judiciaire avec les pays où se trouvent les fonds détournés. C’est le cas par exemple avec Chypre et l’Espagne, où les comptes bancaires appartenant aux responsables de l’ancien régime restent protégés par le secret bancaire en l’absence d’un accord de coopération », ajoute Ghada Moussa.
Le problème est qu’après la chute de Moubarak, aucune accusation d’enrichissement illégal n’a été portée ni contre l’ancien chef de l’Etat, ni contre les membres de son régime. Ils ont eu le temps de camoufler leurs comptes à l’étranger. « Il faut prouver qu’il y a un lien entre ces fonds et les actes de corruption commis par leurs possesseurs. La tâche aurait été beaucoup plus facile à la chute du régime, parce que Moubarak et son entourage n’auraient pas eu le temps de manipuler les documents prouvant leur implication dans des actes de corruption et de gains illicites. Mais maintenant, l’affaire est devenue plus compliquée, surtout que Moubarak et ses fils ont été acquittés dans leur procès pour corruption », explique Hossam Eissa, chef du Comité populaire pour la récupération des avoirs de l’Egypte (aujourd’hui inactif) et professeur de droit commercial à l’Université de Aïn-Chams. Selon lui, la seule issue à cette impasse est de mener des enquêtes et des jugements dignes de ce nom.
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