Alors qu’une course contre la montre est lancée pour parvenir à un accord entre l’Egypte, le soudan et l’Ethiopie sur le barrage éthiopien de la Renaissance avant le second remplissage du barrage prévu en juin, l’Egypte s’active sur la scène africaine pour défendre sa position dans ce litige. Tel était le principal objectif de la tournée africaine du ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, du 19 au 22 avril, dans sept pays africains : Kenya, îles Comores, Congo démocratique, Afrique du Sud, Niger, Sénégal et Tunisie. Selon le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Hafez, l’objectif de cette tournée était de transmettre un message du président Abdel-Fattah Al-Sissi, informant les pays africains de l’évolution des négociations et des résultats de la réunion de Kinshasa sur le barrage de la Renaissance et exprimant le souhait de l’Egypte que les trois pays parviennent à un accord juridiquement contraignant sur le remplissage et l’exploitation du barrage, tenant compte des intérêts des trois pays avant le démarrage de la seconde phase de remplissage prévue en juin prochain.
Le choix de ces sept pays n’a pas été le fruit du hasard. C’est ce qu’assure le professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, Mona Soliman, qui explique que l’Egypte a visé des pays qui ont leur poids et leur influence non seulement au niveau africain, mais aussi au niveau arabe et international. « La visite du Congo démocratique et de l’Afrique du Sud, qui sont respectivement président de l’Union Africaine (UA) et membre de son bureau, vise à inciter l’UA et les pays membres à prendre des positions plus actives et plus tranchantes en se basant sur les accords internationaux de gestion des eaux des rivières, surtout que l’Ethiopie tente d’imposer la politique du fait accompli, ce qui est une violation flagrante de la Charte de l’UA et de l’Organisation de l’unité africaine », explique-t-elle. Et d’ajouter : « La Tunisie, le Kenya et le Niger sont également des acteurs importants au Conseil de sécurité de l’Onu, étant membres non permanents du conseil. Ils peuvent jouer un rôle important pour soutenir la cause de l’Egypte, surtout la Tunisie qui représente la seule voix arabe au sein du conseil ». Choukri avait adressé, la semaine dernière, des lettres au secrétaire général de l’Onu, au président du Conseil de sécurité et au président de l’Assemblée générale sur les derniers développements du dossier du barrage, réclamant qu’elles soient considérées comme des documents officiels soutenant la position de l’Egypte en cas de recours au Conseil de sécurité de l’Onu.
Mona Soliman explique que l’importance de cette tournée réside dans le fait qu’elle arrive à l’un des moments les plus délicats et les plus compliqués des négociations : « Face à l’intransigeance persistante de l’Ethiopie, l’Egypte devait s’assurer de la position des pays africains sur ce dossier, surtout avec l’insistance de l’Ethiopie sur le fait de ne pas faire intervenir des médiateurs internationaux ». Le président kényan, Uhuru Kenyatta, a notamment salué « la confiance de l’Egypte dans la capacité du Kenya en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité représentant le continent africain ». Pour sa part, le président tunisien, Kaïs Saied, a réitéré « la position constante de la Tunisie aux côtés de l’Egypte, en vue de parvenir à une solution consensuelle et équitable dans le dossier du barrage de la Renaissance, préservant les droits historiques du peuple égyptien dans les eaux du Nil », selon un communiqué de la présidence tunisienne.
Poursuites judiciaires
Ces démarches diplomatiques égyptiennes interviennent alors que le Soudan menace de poursuivre en justice l’Ethiopie et la société italienne chargée de la construction du barrage de la Renaissance. « Si le deuxième remplissage est effectué sans accord juridique, le Soudan dispose d’équipes juridiques, soutenues par des cabinets d’avocats internationaux, qui intenteront des poursuites contre la société italienne et le gouvernement éthiopien », a tweeté récemment le ministre soudanais de l’Irrigation et des Ressources en eau, Yasir Abbas, ajoutant que ces poursuites judiciaires se baseront sur le fait que « l’impact et les risques environnementaux et sociaux du barrage n’ont pas été étudiés ». De son côté, la ministre soudanaise des Affaires étrangères, Mariam Al-Sadiq Al-Mahdi, a annoncé qu’elle effectuerait une tournée régionale pour expliquer la vision soudanaise sur l’affaire du barrage. Démentant les prétentions éthiopiennes que le second remplissage du barrage n’affectera pas les deux pays en aval, le ministère égyptien de l’Irrigation a souligné dans un communiqué l’ampleur des dégâts qui peuvent résulter des actions unilatérales éthiopiennes et a réclamé des explications à l’Ethiopie qui s’apprête à fermer les vannes de son barrage pour se préparer au deuxième remplissage, limitant ainsi le passage de l’eau, ce qui aura un impact sur les pays en aval.
Le directeur de l’unité des études des pays du bassin du Nil au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Hani Raslan, affirme que ce communiqué présente des preuves concrètes sur les répercussions négatives sur les pays en aval. Raslan pense que l’Ethiopie ne cherche qu’à gagner du temps pour remplir le barrage sans accord. « Il n’y a plus de temps à perdre. L’Ethiopie doit commencer son remplissage dans 6 semaines. Il est temps de mettre les organisations internationales devant leurs responsabilités et d’imposer à l’Ethiopie un retour à la table des négociations », conclut l’expert.
Lien court: