Que se passe-t-il à Al-Arich ? Des coptes décapités et d’autres brûlés vifs, des familles fuyant la ville et une guerre des rues entre les forces de sécurité et des éléments armés. Effrayées par l’atrocité des attaques terroristes, au cours des deux dernières semaines, qui ont coûté la vie à 7 coptes, des dizaines de familles chrétiennes ont fui, depuis vendredi, la ville d’Al-Arich. Le dernier de ces attentats a eu lieu jeudi 23 février. Un fonctionnaire copte a été exécuté devant sa femme et ses enfants. Avant de prendre la fuite, les assaillants ont incendié le domicile, mais la famille de la victime a pu s’échapper. Mercredi 22 février, le corps, criblé de balles, d’un chrétien d’une soixantaine d’années et celui de son fils, brûlé vif, avaient été retrouvés derrière une école à Al-Arich. Parmi les 7 coptes assassinés : un enseignant, un vétérinaire et des fonctionnaires.
Cette série d’attentats a été revendiquée par le groupe Ansar Beit Al-Maqdès, branche égyptienne du groupe terroriste Daech. Le 19 février, le groupe avait diffusé une vidéo sur Internet, menaçant d’assassiner tous les coptes du Sinaï : « Dieu nous a donné ordre de tuer les infidèles ». Pour sécuriser les coptes, le gouverneur de la province du Nord-Sinaï avait envoyé aux administrations, aux écoles et aux universités pour leur demander de « considérer les fonctionnaires et étudiants coptes absents comme étant en congé ouvert jusqu’à ce que la situation sécuritaire se stabilise ».
L’Eglise copte a énergiquement condamné ces actes terroristes. Dans un communiqué publié vendredi, l’Eglise a souligné que de tels actes cherchent en vain à « porter un coup à l’unité nationale et déchirer la cohésion face au terrorisme importé de l’extérieur ».
Faire face au complot
Le président Abdel-Fattah Al-Sissi s’est réuni samedi d’urgence avec le premier ministre, le ministre de la Défense, celui de l’Intérieur et le chef des services de renseignements, pour suivre la situation à Al-Arich. Le président a demandé à ce qu’on prenne toutes les mesures nécessaires pour « faire face aux complots contre la sécurité et la stabilité du pays », selon un communiqué de la présidence. Il a de même demandé à ce que l’aide nécessaire soit fournie aux familles coptes pour les héberger. Selon un communiqué de la cellule de crise créée par le Conseil des ministres, 118 familles coptes ont quitté Al-Arich jusqu’à dimanche. Le communiqué précise que ces familles ont été hébergées à Ismaïliya, au Caire, à Assiout et à Qaliyoubiya. Ismaïliya a accueilli environ 90 % des familles, qui ont trouvé refuge à l’église évangélique de la ville. « Les forces de sécurité et les forces armées ne baisseront pas les bras avant d’éradiquer le terrorisme au Nord-Sinaï », a déclaré, dimanche, le ministre de l’Intérieur, Magdi Abdel-Ghaffar. Samedi matin, Ghada Wali, ministre de la Solidarité sociale, s’est rendue à Ismaïliya, affirmant que le gouvernement « étudiera les dossiers des familles coptes » et « répondra à toutes leurs demandes ». Le gouvernement s’engage à leur offrir un logement et à payer les salaires des fonctionnaires du secteur public jusqu’à ce qu’ils reviennent à leur travail. Quant aux étudiants, ils poursuivront leurs études dans les gouvernorats où ils ont été hébergés. Les ministères de la Santé et de l’Agriculture ont aussi envoyé des aides aux familles coptes.
L’exode des familles coptes a été surtout motivé par l’ampleur des crimes commis contre elles. Les vidéos diffusées sur les chaînes privées montrent des familles entières rassemblées dans la cour de l’église avec leurs effets personnels et des couvertures. La peur se lit encore dans les regards de certains. « On n’avait d’autres choix que de quitter une ville où la vie des coptes est menacée. Imaginez-vous qu’un des martyrs coptes a été décapité dans la rue en plein jour. Où étaient les forces de sécurité ? », s’indigne Kamal, un jeune copte accueilli à l’église évangélique d’Ismaïliya. Selon les témoignages de certains coptes, les terroristes avaient placé des marques sur les maisons des coptes, depuis plus d’un mois, et ont distribué des tracts exigeant l’évacuation des coptes et menaçant de les tuer. « Ces menaces n’ont été prises au sérieux ni par les coptes ni par les forces de sécurité. J’habite Al-Arich depuis plus de 20 ans, elle était l’une des villes les plus merveilleuses du Sinaï. Aujourd’hui, l’odeur de la mort et de la destruction est partout, le bruit des armes ne s’arrête pas. La ville s’est transformée en enfer pour tous ses citoyens, surtout les coptes », déplore Hanna Boutros, père de famille copte rapatriée à Ismaïliya.
Le défi sécuritaire
Depuis 2013, les attaques terroristes se multiplient et visent essentiellement l’armée et la police. L’armée mène des opérations militaires intenses qui ont permis la liquidation ou l’arrestation de dizaines d’éléments takfiristes et la destruction de grandes quantités d’armes. Ces campagnes ont certes affaibli ces groupes, mais ne les ont pas anéantis. Le député d’Al-Arich, Hossam Réfai, souligne que le terrorisme vise, depuis trois ans, tous les habitants de la ville et pas seulement les chrétiens. « Environ 300 citoyens d’Al-Arich ont été assassinés par des éléments terroristes. Musulmans et chrétiens font face à l’atrocité du terrorisme. Ce n’est pas un problème sectaire mais un problème de défaillance sécuritaire. Tous les points de contrôle de la police se trouvent dans les environs de la ville, et il y a des quartiers où il n’existe aucune présence sécuritaire », affirme-t-il.
L’expert sécuritaire Khaled Okacha trouve que ces derniers attentats témoignent de l’ampleur des défis à relever. « Eliminer le danger terroriste à 100 % est très difficile », pense Okacha. Nasr Salem, expert militaire, pense qu’il faut mettre en place une nouvelle stratégie sécuritaire à Al-Arich. « Le combat contre le terrorisme dans des zones habitées est beaucoup plus difficile que les campagnes menées dans des régions désertiques », pense Salem. Il propose la construction d’un mur autour de la ville pour pouvoir contrôler ses accès et empêcher l’infiltration des éléments terroristes.
Toujours des interrogations
Gamal Assaad, écrivain copte, pense que ces attaques visent en premier lieu à frapper l’unité nationale. « Les minorités ethniques ou religieuses sont des points faibles que les groupes terroristes ou ceux qui veulent déstabiliser un pays utilisent pour atteindre leurs buts. C’est ce qui s’est passé en Iraq et en Syrie, mais cela est difficile à reproduire en Egypte », affirme Assaad. Une interprétation soutenue par Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes, qui ajoute que les attentats d’Al-Arich sont aussi un acte de représailles, suite à l’opération menée contre les groupes terroristes la semaine dernière à Gabal Al-Halal. L’armée avait mené, il y a plus d’une semaine, une vaste opération militaire réussie dans la région de Gabal Al-Halal, une zone montagnarde à haut risque, bastion des groupes terroristes armés. « Fragilisés par ces coups successifs, au nord du Sinaï, les groupes terroristes veulent montrer qu’ils existent encore. En visant les coptes, ils ont voulu mener une opération qui ait un retentissement à l’étranger, pour relever le moral de leurs membres », décrypte Ban. Il met en garde contre la menace persistante du groupe Ansar Beit Al-Maqdès, qui reste actif en dépit des frappes successives de l’armée depuis plus de trois ans. « Les organisations terroristes peuvent être endiguées, mais tant que la pensée djihadiste persiste, et tant que le flux des armes et de l’argent existe, le terrorisme, même affaibli, reprendra », craint Ban.
Reste que pour Ban, le terrorisme est une idéologie et une doctrine. « Pour que cette guerre mène à des résultats positifs, il faut une stratégie globale et pas une stratégie basée uniquement sur le facteur sécuritaire. Il faut considérer le milieu dans lequel se cachent ces groupes terroristes. L’Etat doit absolument attirer de son côté les habitants de cette région du Sinaï. La guerre contre le terrorisme est menée sans relâche sur le plan sécuritaire, mais il faut une stratégie complémentaire de lutte contre le terrorisme qui prenne en considération les aspects idéologiques », conclut Ban.
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