
L'ambassade égyptienne en Tunisie a déployé d'intenses efforts pour faire libérer
les pêcheurs égyptiens à Sfax.
Correspondance —
Accusés d’avoir violé les eaux territoriales tunisiennes, les 16 marins pêcheurs égyptiens, arrêtés le 11 janvier par les autorités tunisiennes, sont désormais libres. 14 d’entre eux ont regagné l’Egypte mardi, alors qu’Al-Ahram Hebdo était encore sous presse. Tous vivaient à bord de leur embarcation Malak Al-Bahr (ange de la mer), dans le port de Sfax à quelque 250 km de Tunis, la capitale. L’ambassade égyptienne a déployé d’intenses efforts, avec l’aide de l’homme d’affaires égyptien Karem Al-Géaidi, pour accélérer leur rapatriement. Celui-ci vit à Sfax depuis 23 ans et est considéré comme le « doyen » de la communauté égyptienne en Tunisie. Les deux marins qui sont restés sur place sont le capitaine du bateau et le technicien. Ils attendent le résultat du procès dans l’espoir de récupérer leur chalutier. Ils ne sont tout de même pas sûrs de pouvoir se procurer la somme nécessaire pour procéder au paiement de l’amende qui ne serait pas inférieure à 30 000 dinars (environ 240 000 livres égyptiennes). Au bord de l’« Ange de mer » qui gît au sol, les pêcheurs ont vécu durant trois semaines sur leurs réserves de nourriture ou de ce qui en restait : du pain, des pommes de terre et du riz stockés dans le frigo du bateau. Ils communiquaient régulièrement avec leurs familles via Internet à travers une ligne téléphonique locale et profitaient de leur liberté de circuler dans le port de Sfax pour aller travailler sur d’autres embarcations amarrées à proximité en échange de quelques dinars. Beaucoup n’ont pas souhaité avoir leur photo dans les journaux. Ils disent avoir bien été traités que ce soit par les autorités tunisiennes ou par les autres pêcheurs, et affirment que le seul Egyptien qui s’est donné la peine d’aller les voir est l’homme d’affaires Al-Géaidi.
Pluies et tempêtes

Le capitaine du bateau, Achraf Nassar, 37 ans, est originaire de Kafr Al-Cheikh dans le Delta du Nil. Il explique avoir embarqué le 3 janvier à 11h depuis le port de Rachid avec 15 autres marins pêcheurs à bord. « Une tempête et de fortes pluies ont persisté pendant deux jours et fini par perturber le système de navigation. Nous avons lancé un appel au secours, et au sixième jour, une frégate de la garde maritime tunisienne nous a interceptés et lancé les sommations d’usage. Nous nous sommes arrêtés, puis les soldats sont montés à bord de notre bateau pour procéder à des fouilles, ils n’ont rien trouvé de compromettant. On nous a gentiment avertis de notre intrusion en eaux territoriales tunisiennes. Nous étions au large de la ville de Zarzis, on nous a conduits au port de Sfax. Lors du procès-verbal, j’ai affirmé que je n’étais pas en activité de pêche et j’ai demandé un règlement à l’amiable », raconte Nassar. Selon lui, cinq familles, dont la sienne, se partagent la propriété de ce bateau. Il craint l’accumulation des dettes et la difficulté de les honorer. « A part l’amende, il y a les droits de stationnement, soit 60 dinars par jour, en plus des 700 dinars qu’il faut payer pour transporter le bateau et le remettre à l’eau », note-t-il. Abdallah Rabhi, secrétaire d’Etat tunisien aux Ressources hydriques et à la Pêche, affirme que les arraisonnements des bateaux de pêche égyptiens dans les eaux territoriales de son pays sont devenus très fréquents, notamment dans les cinq dernières années. La recrudescence de ce phénomène inquiète les autorités et les pêcheurs en Tunisie, dit-il. Le président de l’Union régionale de l’agriculture et de la pêche à Sfax, Abderrazak Krichen, est tout aussi d’accord. L’homme d’affaires égyptien, Karem Al-Géaidi, estime de son côté qu’en moyenne tous les trois mois un bateau de pêche égyptien est intercepté dans les eaux territoriales tunisiennes. « Auparavant, c’était un bateau tous les ans. Les Tunisiens sont mécontents de l’extorsion de leurs ressources piscicoles, surtout que chez eux, les autorités imposent des règles strictes aux pêcheurs y compris des périodes d’interdiction de pêche », explique Géaidi.
La pêche, seule source de revenu
Mais qu’est-ce qui pousse ces pêcheurs à prendre de tels risques ? Mohamad Ibrahim, pêcheur originaire de Rachid, apporte quelques éléments de réponse. « On aurait bien préféré travailler dans notre pays, mais la surpêche a gravement entamé nos ressources. Ce métier est ma seule source de revenu et je continuerai à le faire malgré les dangers et les difficultés », confie Ibrahim. Cet homme, âgé de 34 ans et père de trois enfants, est déjà passé par une expérience pareille en 2012. Il a été détenu pendant 67 jours dans le port de Tripoli en Libye pour pêche illicite. Il a dû payer une amende, mais n’a pas encore récupéré son bateau. Son procès est toujours en cours.
« Ce n’est un secret pour personne, les pêcheurs de Port-Saïd et Damiette vont dans les eaux de la Turquie, de Gaza et d’Israël, ceux d’Alexandrie et de Rachid pêchent au large de la Libye et de la Tunisie. Chez nous en Egypte, personne ne respecte l’interdiction de la pêche dans les périodes de reproduction piscicole. De plus, la pollution des eaux a tout détruit », regrette Achraf Nassar, le capitaine du bateau détenu. Et d’ajouter : « Notre gouvernement ne se souvient de nous que quand il s’agit d’impôts, et nous n’avons pas de syndicat pour nous défendre ». Il envie ses camarades tunisiens qui ont droit à un demi-salaire durant les périodes d’interdiction de pêche. Selon les estimations courantes, un voyage de pêche en dehors des eaux territoriales égyptiennes réalise entre 100 et 200 000 L.E. Il s’agit du prix de vente des 8 à 20 tonnes de poissons pêchés, des gains qui seront partagés moitié-moitié entre les pêcheurs et le propriétaire du bateau après la déduction des frais du voyage, notamment le carburant. A proximité d’« Ange de la mer », un autre chalutier égyptien, « Iman Bellah », gît sur le sol depuis le 20 octobre dernier, dix jours après avoir quitté le port de Rachid. Trois personnes de son équipage sont toujours détenues dont le capitaine et copropriétaire, Abdel-Salam Al-Bahnassi, alias Salama, également originaire de Kafr Al-Cheikh. Lui aussi n’en est pas à sa première mésaventure. Il s’est fait arrêter en 2010 à Bengazi. Dans son cas, les autorités tunisiennes ont refusé la réconciliation. « Nous n’avons pas entendu les sommations des garde-côtes tunisiens, ils ont tiré des coups de semonce et c’est là que nous avons été arrêtés. On n’a pas cherché à s’enfuir comme ils nous accusent », se défend-il. Après le rapatriement en Egypte des 13 marins pêcheurs qui étaient à bord de son bateau, il est resté en détention à Sfax. Il attend son procès prévu le 16 février et où il devra répondre aux accusations de pêche illicite et de résistance aux autorités. « D’habitude, ce genre de procès se termine par une amende. Le problème c’est que je ne sais pas comment je vais la payer. Et une fois en Egypte, je risque une suspension de permis de six mois », craint-il. En attendant, il est obligé d’assurer de petits travaux dans le port de Safx pour survivre. C’est un peu le sort que redoutent les pêcheurs d’« Ange de mer ».
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