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Entités terroristes : Une loi qui se veut ferme

May Al-Maghrabi, Mardi, 03 mars 2015

Ratifiée cette semaine par le président Al-Sissi, la loi sur les entités terroristes est entrée en vigueur. Elle étend la notion de terrorisme et crée par la même occasion un débat animé. Explications.

Entités terroristes : Une loi qui se veut ferme
Depuis la destitution de Mohamed Morsi en juillet 2013, l'Egypte fait face à une vague de terrorisme sans précédent. (Photos : AP)

La loi sur les entités terroristes a été ratifiée, cette semaine, par le président Abdel-Fattah Al-Sissi. La loi, qui restera en vigueur trois ans, définit la notion de terrorisme et précise les actes qui s’inscrivent sous cette appellation. Ainsi, est considéré comme terroriste toute organisation et/ou rassemblement qui « sème la terreur parmi les individus, ou met en danger leur vie, leurs libertés et droits ou qui porte atteinte à l’unité nationale, à la paix sociale, ou à la sécurité nationale ». La loi considère également comme terroriste, toute association, organisation ou groupe qui « appelle ou cherche, par n’importe quel moyen, même verbal, à troubler l’ordre public, à nuire à l’intérêt public, à porter atteinte à la sécurité et à l’unité nationale ». Toute personne, « qui entrave ou met en danger les transports publics ou privés » ou qui « empêche les institutions de l’Etat ou les pouvoirs publics d’exercer leurs fonctions », sera considérée comme terroriste de même que toute organisation ou individu qui représente une menace pour la sécurité nationale.

En vertu de la loi, le Parquet général doit dresser une liste de toutes les entités qu’il considère comme terroristes et la soumettre à la Cour d’appel pour approbation. Toute personne inscrite sur cette liste sera privée de l’exercice de ses droits politiques et syndicaux, et sera interdite de quitter le territoire, son passeport sera retiré et ses avoirs gelés. Toute personne ou organisation qui figure sur cette liste peut faire appel de cette décision dans un délai de 60 jours. D’après la loi, le procureur général peut demander à un tribunal pénal de juger immédiatement les personnes figurant sur cette liste. La loi durcit, en outre, les sanctions contre les crimes considérés comme « terroristes ».

Jugée par certains indispensable pour endiguer la vague terroriste qui frappe le pays, la loi fait redouter à d’autres une intimidation des opposants au nom de la lutte contre le terrorisme. L’expert sécuritaire, Talaat Mosallam, se félicite d’une loi qui « a beaucoup tardée » et qui « contribuera à fragiliser les mouvements terroristes ». Il précise que l’absence d’une loi comme celle-ci, a permis à plusieurs formations terroristes d’oeuvrer sous couvert d’activités prédicatives, caritatives ou politiques. « Cette loi donne au gouvernement les dispositions légales et les outils qui lui permettent de lutter contre le terrorisme », affirme Mossallam. Et d’ajouter : « Les définitions précises, citées par la loi, faciliteront la tâche de la Justice qui pourra en fonction de cette loi trancher des procès qui traînent depuis longtemps, faute d’une définition claire du terrorisme. D’autre part, cette loi permettra de resserrer l’étau autour des formations terroristes et d’assécher leurs sources de financement ».

La promulgation de la loi intervient dans un contexte particulièrement tendu. Depuis la destitution du président islamiste, Mohamad Morsi, l’Egypte est secouée par une vague de terrorisme. Les groupes terroristes, comme Ansar Beit Al-Maqdess, opèrent principalement dans le Sinaï et prennent pour cible la police et l’armée. L’Etat accuse par ailleurs les Frères musulmans ou des groupuscules leur étant affiliés, d’être derrière les explosions qui ont eu lieu au Caire et dans plusieurs gouvernorats. « Cette loi vise à combler le vide législatif dû à l’absence d’une réglementation juridique sur le terrorisme. L’article 86 du code pénal définit le terrorisme de manière générale, mais ne définit pas en détail les actes et les entités terroristes. Cette loi permettra de poursuivre toute la filière terroriste et pas seulement les exécutants », explique l’avocat Khaled Abou-Bakr.

Méfiance et préoccupation

Des dangers qui n’empêchent pas des ONG et des activistes d’exprimer leur vive préoccupation, quant à cette législation et son impact. Les opposants à la loi craignent notamment qu’elle se transforme en un moyen de répression, critiquant l’ambiguïté de ses termes. 21 ONG ont ainsi émis un communiqué dénonçant « une loi accordant des pouvoirs excessifs aux autorités et permettant à l’Etat de resserrer l’étau autour du militant anti-régime ».

Mohamad Fouad, membre du bureau politique du mouvement du 6 Avril, rejette la loi qui, selon lui, met dans un seul panier les mouvements terroristes et les mouvements d’opposition pacifiques. « C’est ce genre de loi restrictive qui favorise les organisations clandestines et poussent les jeunes à basculer dans la violence et le terrorisme dans un horizon politique quasi-bloqué. Le gouvernement essaye de profiter des troubles politiques pour intimider ses opposants », accuse-t-il.

Mohamad Zaree, avocat et président de l’Organisation arabe pour la réforme pénale, s’oppose au fait que la nouvelle loi élargit délibérément la définition des « actes terroristes », pour englober un grand nombre de crimes, mais aussi d’actes de nature « légales et pacifiques », qui relèvent de la liberté d’expression comme le droit au rassemblement, à la manifestation ou à la grève. Il donne l’exemple de l’article prévoyant la saisie ou le gel des avoirs des « entités terroristes » et de ceux qui les financent ou les soutiennent, y compris par le discours. « Cela ouvre la voie à la poursuite de quiconque qui défend par exemple la confrérie des Frères musulmans sur Internet, ou qui critique une mesure prise contre eux. Ce qui contredit la liberté de pensée et d’expression garantie par la Constitution ». Il évoque aussi l’article permettant aux autorités d’agir contre tout individu ou groupe représentant une menace pour la sécurité nationale, y compris en perturbant les transports publics. « Il s’agit d’un texte à haut risque. Cet article peut s’appliquer aux grèves ou aux manifestations. Aussi une ONG oeuvrant en faveur des droits des minorités religieuses peut être fermée et ses membres poursuivis au motif que cette organisation porte atteinte à l’unité nationale. Surtout que les termes rhétoriques, comme unité nationale, paix sociale ou sécurité nationale, ne sont pas bien définis pour préciser les actes y portant atteinte. Cette ambiguïté des textes justifie l’inquiétude des forces libérales et révolutionnaires de voir cette loi utilisée pour resserrer l’étau autour de l’opposition ou réprimer toute forme de contestation », avoue Zaree, tout en réaffirmant la nécessité de lutter contre le terrorisme et le droit de l’Etat de maintenir l’ordre public.

Il ajoute que l’inclusion de personnes sur les listes terroristes est un processus délicat qui nécessite des informations vérifiées et surtout neutres. Selon lui, la personne ou l’entité soupçonnée de représenter un danger pour la sécurité nationale doit être soumise à une enquête par le Parquet général et jugé devant la Justice. Des craintes injustifiées, selon Mosallam qui rappelle que la loi garantit le droit de présenter des recours devant la Justice et les procédures de classification de terroriste se basent sur des enquêtes fiables.

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