« Les Forces aériennes égyptiennes ont fait ce qui devait être fait en Libye », déclarait le président Abdel-Fattah Al-Sissi dans un discours télévisé diffusé dimanche soir. Le chef de l’Etat faisait allusion aux raids menés contre les sites du groupe Daech dans l’est de la Libye, en réaction au meurtre de 21 coptes égyptiens. Le président a parlé « d’une force arabe unifiée », une nécessité, selon lui, « qui se confirme de jour en jour ». Il a aussi évoqué le soutien apporté à la prise de position de l’Egypte par les pays arabes, notamment l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn. Mais sur le fond, Le Caire ne semble pas entièrement bénéficier de l’appui qu’il sollicitait, après son intervention aérienne en Libye.
(Photos AP)
L’Algérie, à la tête de la commission sécuritaire et militaire des voisins de la Libye, s’est opposée à toute intervention militaire dans ce pays, comme l’a affirmé son chef de diplomatie. Son homologue égyptien, Sameh Choukry, n’a pas tardé à révéler que les positions algériennes vis-à-vis de la crise en Libye étaient « connues dès le départ ». Pourtant, selon l’agence de presse Anatolie, l’Algérie, l’Egypte et la Tunisie ont convenu de « renforcer leur coordination » sécuritaire, en ce qui concerne l’évolution sur le terrain en Libye. L’agence turque précise, en citant une source algérienne, que « cet accord a été convenu lors d’une réunion au Caire, dimanche, entre des responsables de la sécurité des trois pays ».
Le bombardement des positions djihadistes a été aussi l’occasion une fois de plus pour Le Caire et Doha d’étaler au grand jour leur différend. Le Qatar a dénoncé une « action militaire unilatérale » de l’Egypte qui a agi « sans consultations préalables avec ses confrères de la Ligue arabe ». Le représentant égyptien à la Ligue a répliqué en accusant Doha de soutenir le « terrorisme », poussant le Qatar a rappelé son ambassadeur au Caire. A la stupeur de tous, le secrétaire général du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), Abdellatif Al-Zayani, a critiqué les accusations « infondées » du Caire, dans des déclarations publiées sur le site de l’organisation. Dans la soirée, ce communiqué a été retiré et l’organisation, tout en évitant d’évoquer le différend entre Le Caire et Doha, a affiché son soutien à l’Egypte et à son président.
Cela dit, une coalition militaire faite de pays arabes récolte peu de consensus. La position de l’Algérie et du Qatar est en harmonie avec celle des pays occidentaux qui, tout en reconnaissant le droit de l’Egypte à « s’autodéfendre », ne semblent pas, à l’exception de l’Italie, favoriser une option militaire.
Favoriser l'option politique
Les grandes puissances occidentales (Etats-Unis, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Espagne et Italie) ont publié une déclaration commune dans laquelle elles affirment la nécessité d’une « solution politique » en Libye et appellent à la formation d’un gouvernement d’unité nationale, qu’elles sont prêtes à soutenir. Cette déclaration est intervenue à la veille d’une réunion du Conseil de sécurité de l’Onu à la demande de l’Egypte pour discuter de la situation en Libye.
Dans un premier temps, l’Egypte demandait une intervention militaire en Libye de la coalition internationale, déjà engagée en Syrie et en Iraq contre Daech. Mais face au refus des puissances occidentales, L’Egypte a dû revoir à la baisse ses demandes, exhortant l’Onu à lever l’embargo d’armes imposé à la Libye, afin de permettre au gouvernement de « rétablir la stabilité et de lutter contre le terrorisme », selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Dimanche, le ministère a nié dans un autre communiqué le retrait du projet de résolution arabe, affirmant qu’il s’agissait juste d’y introduire des modifications de forme, alors que le Conseil de sécurité s’est réuni au niveau des experts, lundi soir, pour décider du sort de la crise libyenne.
D’après un haut diplomate membre de la délégation égyptienne à New York, « ces négociations vont se poursuivre encore une semaine ». Selon lui, c’est la tradition à l’Onu, deux semaines après le rapport d’un envoyé spécial, le Conseil de sécurité doit le présenter en séance publique et décider ou non de discuter de son contenu avant de se prononcer.
C’était ainsi le cas du rapport de Bernardino Leon sur la Libye, et « nous ne pouvons pas prévoir le résultat : est-ce que le Conseil se contentera d’une déclaration de presse ou d’un communiqué du président du Conseil (la Chine ce mois-ci) ? Ou est-ce que les 15 membres du Conseil s’accorderont sur un projet de résolution ? », précise le diplomate préférant parler sous-couvert de l’anonymat. « C’est un dossier sensible et chaque mot compte aujourd’hui », dit-il. Mais le cas échéant, d’après ce diplomate, c’est la Grande-Bretagne qui prendra en charge la formulation du texte. Or, Londres a déclaré que la Libye avait besoin d’un gouvernement unifié avant que le Conseil de sécurité ne lève l’embargo sur les armes.
Le Caire apparaît loin d’obtenir ce dont il aspirait dans ce dossier, selon un autre haut diplomate égyptien à Washington, « il a pris à son compte une mission difficile à accomplir, et toutes les idées jusqu’à présent étalées par l’Egypte ont été froidement accueillies », que ce soit la demande d’intervention militaire ou celle d’une levée de l’embargo et d’un déblocage de fonds frappant des dirigeants libyens. Le diplomate évite de parler de « grande surprise » quant à la position des grandes puissances au Conseil de sécurité.
A la recherche d’une solution durable, son collègue à New York estime cependant que l’Egypte a réalisé « une réussite » en convoquant d’abord la réunion du Conseil de sécurité et en exigeant que la Libye y soit représentée par le chef de la diplomatie du gouvernement « légitime », basé à Tobrouq.
Entre Le Caire et Washington
Dans le rapport de 17 pages de ladite « mission de support de l’Onu en Libye », le Secrétaire général « tient à rappeler à toutes les parties qu’une solution durable aux problèmes politiques de la Libye ne peut être atteinte que grâce à un dialogue politique inclusif et significatif, et un engagement à respecter la transition démocratique et le processus politique en Libye ». Et de conclure : « Le spectre des revendications rivales des pouvoirs législatifs et exécutifs ne peut qu’approfondir la crise politique actuelle et saper l’unité nationale du pays ».
Ainsi, comme le révèle le diplomate égyptien à Washington, il a été dit au Caire (qui accuse les Etats-Unis d’adopter une politique de deux poids deux mesures, face au Daech en Iraq et en Syrie et face au même groupe en Libye), « il faudrait un gouvernement d’unité. Nous ne pouvons pas négocier avec un gouvernement qui contrôle uniquement 5 % du territoire libyen ». La solution telle vue par Washington serait des négociations entre les parties rivales qui devraient aboutir à de nouvelles élections et une Constitution.
Aujourd’hui, deux gouvernements se disputent le pouvoir : l’un reconnu par la communauté internationale et l’autre proche des miliciens de Fajr Libya, contrôlant Tripoli et une grande partie de l’Ouest libyen (lire page 5).
L’Egypte, quant à elle, préfère renforcer ce gouvernement des 5 %. Une source sécuritaire a dévoilé que la capitale égyptienne accueillait depuis quelques jours des représentants des factions libyennes « dans l’espoir de les convaincre de soutenir le gouvernement élu ». Environ 120 Libyens se seraient réunis dans un hôtel, près de l’aéroport du Caire, officiellement à l’invitation d’une ONG libyenne « La Libye en premier », et officieusement sous la houlette du Caire. Les Frères musulmans libyens, eux, étant absents, comme dévoile à l’Hebdo le journaliste libyen Al-Hussein Bin Karim, qui a pris part aux rencontres. Un communiqué final de 6 points serait déjà élaboré, selon le journaliste. Le texte parle d’une « Libye unie, forte de toutes ses factions », et appelle au soutien du « Parlement élu comme unique représentant du peuple libyen », tout en écartant toute alternative au processus démocratique.
Bernardino Leon convoquera dans les prochains jours une série de réunions dans le but difficile d’aboutir à la formation de ce gouvernement d’unité nationale.
Un adjoint du chef de la diplomatie égyptienne, Ossama Al-Magdoub, tout en mettant en garde contre « une politique légère face au terrorisme », a affirmé, lundi, que l’Egypte soutenait les efforts de Leon « qui ne sont en rien contradictoires à ceux déployés par Le Caire ».
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