Le drapeau noir de l’Etat Islamique (EI) flotte aujourd’hui sur plusieurs villes libyennes : de Derna à l’est à Sabratha à l’ouest, en passant par Syrte dans le centre. L’organisation terroriste ne cesse d’élargir ses zones d’opération, notamment dans l’est. Derna, cette ville côtière, à 1 300 km à l’est de Tripoli, et qui se trouve entre Benghazi et la frontière égyptienne, est aujourd’hui totalement administrée par Daech, ayant leur propre tribunal et police. Cette ville est le deuxième bastion de l’EI sur le sol du nord africain, après qu’en octobre 2014 le groupe Majilis Choura Chabab Al-Islam lui eut prêté allégeance. Le premier émirat islamique en Afrique du Nord a été en Algérie, avec la dissidence d’Aqmi, sous le nom de Jund Al-Khilafa. A Derna, fief djihadiste historique de la Libye depuis 2000, Daech a aussi installé des camps d’entraînement. L’EI a renforcé également son emprise cette semaine dans l’est du pays, en mettant la main sur la ville de Syrte, à 450 km de l’est de Tripoli, ville où Muammar Kadhafi a été tué. Le groupe a pris, ainsi, le contrôle de l’Université de Syrte, des camps militaires et de tous les sièges des administrations publiques dans la ville. Sa radio locale ne cesse de diffuser des messages du chef de l’EI, Abou-Bakr Al-Baghdadi. S’implanter à Syrte, dans les territoires sous l’emprise de Fajr Libya, qui regroupe des milices islamistes lourdement armées, laisse prévoir une confrontation entre les djhadistes. L’EI ne reconnaît ni ces milices islamistes de Fajr Libya, ni le gouvernement de Tripoli. Il a qualifié même, dans son magazine Dabiq, le premier ministre de Tripoli, Omar Al-Hassi, « d’apostat ».
L’EI est aussi actif à Benghazi, où de nombreux membres d’Ansar Al-Charia font défection pour rallier ses rangs. D’autres cellules existent à Tripoli, où l’organisation a mené plusieurs attaques contre des ambassades et plus récemment contre l’hôtel Corinthia, faisant 9 morts. Le groupe essaye aujourd’hui d’étendre son influence sur les zones pétrolières. Plusieurs dizaines de véhicules aux couleurs de l’EI se sont déployés à Nofilia, sur la côte, à environ 150 km à l’est de Syrte, près des ports pétroliers. Daech est, ainsi, tout près du continent européen à 350 km seulement des côtes italiennes.
Fajr Libya
A l’ouest, Fajr Libya, une coalition islamiste lourdement armée regroupant principalement d’ex-rebelles de Misrata, ainsi que des membres de la Chambre des révolutionnaires de Libye et Bouclier de Libye. Le groupe contrôle depuis août, quasiment toutes les villes côtières, de Misrata, en passant par la capitale Tripoli et une partie de Djebel Nefoussa. Les affrontements sont en cours entre Fajr Libya et les forces de Haftar pour contrôler le passage frontalier de Ras Jédir avec la Tunisie. Fajr Libya est aussi présente dans le sud, à Sebha, capitale de la région historique du Fezzan, située à 660 km au sud de Tripoli, dans une oasis au milieu du désert Libyque. Cette coalition a élargi son offensive à l’ouest de Tripoli. Des combats font rage entre Fajr Libya et des forces de Zenten (ville située à 170 km au sud-ouest de Tripoli) et de leurs alliés, en particulier, autour de la ville de Kekla.
Les forces de Fajr Libya mènent par ailleurs, une opération nommée Al-Shorouk, dans l’est du pays, lancée mi-décembre, avec pour but de contrôler trois terminaux pétroliers dans la région pétrolière du croissant qui comprend les terminaux de Ras Lanouf, de Breïqa et d’Al- Sedra.
Contestant la légitimité du Parlement reconnu par la communauté internationale (et réfugié dans l’est du pays, à Tobrouk), cette puissante coalition a installé un gouvernement et un Parlement, parallèles à Tripoli, dominés par les Frères musulmans.
Armée régulière (Forces de Haftar)
Le siège militaire des forces du général à la retraite Khalifa Haftar se trouve dans la région de la Montagne Verte, et ses milices contrôlent la plupart de l’est du pays dont Tobrouk (à 1 600 km à l’est de Tripoli et proche de l’Egypte), où se trouve le Parlement élu. Haftar est un général du temps de Kadhafi qui a dirigé l’armée libyenne face au Tchad dans les années 1980. Il a été pris comme prisonnier de guerre, puis est parti aux Etats-Unis et est retourné en Libye en 2011. Ses milices sont formées d’anciens militaires qui faisaient partie de l’armée libyenne. Son pouvoir s’est renforcé d’abord à Benghazi (à 1 000 km à l’est de Tripoli) où il se bat encore contre les milices islamistes, et où il se proclame comme contrôlant de la plupart de la ville. Il se bat aussi à Derna contre les djihadistes. Des milices alliées à Haftar se trouvent à Tripoli la capitale. Les forces de Haftar et de Fajr Libya sont en conflit autour du pétrole à Syrte. Haftar appelle ses milices « l’armée nationale libyenne », une armée qui serait soutenue par l’Egypte et les Emirats arabes unis. Le général possède des forces aériennes qui lui permettent de lancer des attaques à Ajdabiya, dans la Montagne Verte, à Misrata, à Syrte et à Tripoli.
Le 16 mai 2014, après l’annonce de la dissolution du Parlement de Tripoli en février, il a déclenché un combat contre les djihadistes à Benghazi dans le cadre de « l’opération Dignité » pour « éliminer les groupes terroristes extrêmes » du pays, selon lui.
Le gouvernement officiel
Le siège de la Chambre libyenne des représentants, élue en juin 2014, se trouve à Tobrouk. Il s’agit du Parlement dont est issu le pouvoir légitime, reconnu par la communauté internationale. Le 28 septembre 2014, un gouvernement qui compte 13 ministres a été approuvé par le Parlement élu, avec Abdallah Al-Thani comme premier ministre. Entre-temps, le gouvernement de Tobrouk a perdu contrôle des institutions de l’Etat à Tripoli, face aux milices islamistes de Fajr Libya, alliées avec les forces de la ville de Misrata. En novembre 2014, la Cour suprême de la Libye a reconnu le Congrès national, basé à Tripoli, comme pouvoir législatif. Reconnu par les islamistes, ce congrès a commencé son mandat en août 2012 et l’a achevé en février 2014.
Le gouvernement parallèle
A Tripoli, en août dernier, le Congrès général national, dominé par les islamistes, dont le mandat a expiré avec l’élection d’un nouveau Parlement le 25 juin, a été réactivé par les milices de Fajr Libya qui ont confié au pro-islamiste Omar Al-Hassi la charge de former un gouvernement parallèle à celui reconnu par la communauté internationale. Ces milices ont contraint par la suite le gouvernement et la Chambre des représentants élue, en juin, à quitter la capitale pour s’installer à Tobrouk. Ce gouvernement parallèle contrôle aujourd’hui quasiment toutes les villes de l’ouest de la Libye. Il est soutenu par 11 entités armées, la plus importante consiste aux forces de Fajr Libya, le bras armé de ce gouvernement, aussi bien que les rebelles de Misrata, le Conseil de la Choura des rebelles de Benghazi, la Brigade de Rafallah Al-Sahati, le Conseil de la Choura des Moudjahidines de Derna, et enfin le Bataillon d’Al-Farouq.
Ainsi, deux pouvoirs existent en Libye, possédant chacun ses institutions. Mais, c’est autour du secteur pétrolier que le conflit fait rage entre les forces des deux gouvernements.
Ansar Al-Charia
Ansar Al-Charia (partisans de la charia) est un groupe islamiste implanté à Benghazi, où il est en guerre contre les forces de Haftar. Il s’agit d’un groupe dont la pensée est proche d’Al-Qaëda. Ce groupe salafiste a joué un rôle significatif lors de la dernière bataille, contre Kadhafi, celle de Syrte en août et septembre 2011. Il est accusé d’être responsable de l’attaque contre le consulat américain à Benghazi en septembre 2012, où l’ambassadeur américain a été tué, une accusation que le groupe rejette. Ansar Al-Charia compte environ 500 membres, dont la majorité se sont enfuis des prisons suite à la révolution du 17 février 2011. Leur dirigeant, Mohamad Al-Zawahi, a été tué en octobre dans des combats à Benghazi. Il avait combattu parmi les rangs d’Al-Qaëda en Afghanistan.
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